Starmer a remporté les élections. Mais qu’est-ce que sa position sur Gaza lui a coûté ?
Le parti Travailliste britannique a remporté les dernières élections mais perdu une grande partie des suffrages musulmans. Selon les analystes, son soutien à Israël n'en est pas l'unique cause
LONDRES – Avec la victoire écrasante du Premier ministre britannique Keir Starmer au début du mois, la seule ombre au tableau a été l’élection de plusieurs candidats indépendants favorables à Gaza dans des circonscriptions traditionnellement remportées par le Labour.
Alors que l’un des principaux alliés de Starmer, Jonathan Ashworth, a été évincé à Leicester South, une forte baisse du soutien au parti parmi les électeurs musulmans traditionnellement fidèles a causé la défaite du Parti travailliste à Blackburn, Dewsbury et Batley, ainsi qu’à Birmingham Perry Barr.
« C’est grâce à Gaza. Je ne peux pas nier que je suis ici grâce à un vote de protestation contre le génocide », admet Adnan Hussain, un avocat de 34 ans, au lendemain de sa victoire à Blackburn, un siège précédemment détenu par les travaillistes, avec plus de 18 000 voix.
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Le malaise qui afflige le Parti travailliste est encore aggravé par le fait qu’il n’a pas pu empêcher son ancien chef de parti radical et anti-Israël, Jeremy Corbyn, de conserver son siège dans le nord de Londres sur une liste indépendante.
Le Parti a subi d’autres revers inquiétants : le nouveau secrétaire à la Santé, Wes Streeting, a failli être battu par Leanne Mohamad, une Britanno-Palestinienne de 23 ans, à Ilford North, dans le nord-est de Londres. De même, Jess Phillips, nommée par Starmer au poste de ministre adjoint de l’Intérieur, a battu de justesse le Workers’ Party, parti d’extrême gauche et farouchement anti-Israël, dans sa circonscription de Birmingham Yardley, avec une marge de 700 voix.
Une nouvelle analyse publiée ce mois-ci suggère toutefois que la baisse d’influence du parti travailliste dans le monde musulman n’est pas uniquement liée à sa position sur Gaza.
« Il semble que Gaza ait eu un effet similaire à celui du Brexit dans le désancrage des électeurs travaillistes du Red Wall [NDLT : Les circonscriptions des Midlands et de Northern England acquises de longue date au Parti Travailliste] — en tant que déclencheur du mécontentement », indique un rapport intitulé « Change Pending : The Path to the 2024 General Election and Beyond [NDLT : Des changements en perspective : La trajectoire des élections générales de 2024 et au-delà] », rédigé conjointement par le think tank, More in Common, et le Policy Lab de l’University College London.
« De même que le Brexit n’a jamais porté que sur l’Union européenne, le vote des indépendants pour Gaza dépasse Gaza, et signale qu’ils en ont assez que leur parti traditionnel de prédilection néglige leurs priorités », écrivent les auteurs.
Gaza semble avoir eu un effet similaire à celui du Brexit dans le désancrage des électeurs travaillistes du Red Wall, en tant que déclencheur de mécontentement
Un nombre étonnamment élevé de Britanniques ont voté pour des candidats indépendants – avec, pour l’essentiel, un programme pro-Gaza dans des circonscriptions fortement musulmanes –, ce qui porte à un niveau record le nombre d’élus de ce type à la Chambre des communes depuis 1945.
Même s’il dispose grosso modo d’une majorité de 172 sièges similaire à celle obtenue de Tony Blair en 1997, le Parti travailliste a perdu les suffrages d’un demi-million d’électeurs musulmans.
Une attention démesurée portée à un conflit étranger
Alors que les travaillistes appellent à un cessez-le-feu à Gaza, Starmer a soutenu à plusieurs reprises le droit d’Israël à se défendre et a abandonné l’engagement antérieur du parti de reconnaître « immédiatement et unilatéralement » un État palestinien.
Face à la montée de l’antisémitisme et à des mois de manifestations anti-Israël dans les villes britanniques, l’élection d’indépendants sur des programmes pro-Gaza a achevé de déstabiliser la communauté juive du Royaume-Uni.
« Aucune autre question de politique étrangère dans laquelle la Grande-Bretagne n’est pas directement impliquée n’a, de mémoire récente, attiré autant d’attention, paralysé nos rues semaine après semaine, ébranlé bon nombre de nos institutions et favorisé l’élection de députés indépendants au Parlement au détriment de candidats des partis traditionnels », explique Campaign Against Antisemitism dans son analyse post-électorale.
La forte perte d’influence du Parti travailliste auprès de l’électorat musulman est indéniable. Comme l’a souligné l’analyste électoral Lewis Baston, dans les 21 circonscriptions où plus de 30 % de la population est musulmane, les travaillistes ont perdu 29 % de leurs voix, passant de 65 % en 2019 à 36 % en 2024. Le taux de participation dans ces circonscriptions a chuté davantage que la moyenne nationale.
En outre, le magazine The Economist estime que le parti aurait perdu environ 0,7 % de voix par pour cent de la population musulmane dans les circonscriptions remportées par les travaillistes.
La position du Parti Travailliste sur Gaza a également aliéné de nombreux électeurs musulmans. Comme le note Baston, les députés travaillistes qui se sont opposés à la décision de Starmer de ne pas soutenir le cessez-le-feu à Gaza semblent s’en être mieux sortis que les autres. C’était évident, par exemple, dans l’East End de Londres, qui compte une importante population musulmane. À Bethnal Green et Stepney, Rushanara Ali, loyaliste à Starmer, a vu son vote chuter de près de 40 points de pourcentage. Dans le district voisin de Poplar et Limehouse, par contre, la chute des voix subie par Apsana Begum, une rebelle de gauche, a été beaucoup moins prononcée, avec 17% seulement.
Le Parti travailliste a néanmoins remporté 46 des 50 circonscriptions comptant le plus grand nombre d’électeurs musulmans. Il s’est vengé de l’humiliation subie lors d’une élection spéciale à Rochdale, en mars dernier, en évinçant George Galloway, le leader incendiaire du Parti travailliste, après seulement quatre mois de mandat. Il a par ailleurs remporté deux sièges conservateurs dans le sud de l’Angleterre – Wycombe et Peterborough – où les électeurs musulmans représentent près de 20 % de l’électorat.
Les conversations entre More in Common et les groupes de discussion composés d’électeurs musulmans tenues au cours de l’année indiquent toutefois que la désillusion à l’égard du parti travailliste ne peut être attribuée à la seule question de Gaza. « Nos entretiens se sont rapidement portés sur des sujets plus globaux, comme par exemple le fait que le Parti Travailliste considère les suffrages musulmans comme acquis et néglige leurs communautés », indique le rapport.
Il note que bon nombre des circonscriptions qui ont basculé le plus fortement en faveur des candidats indépendants pro-Gaza sont aussi celles qui ont été le plus « laissées pour compte » dans le pays. Par ailleurs, la plupart de ces circonscriptions élisaient habituellement des députés travaillistes.
Gaza n’est pas la seule explication
Gaza n’était pas la seule motivation des électeurs musulmans qui ont soutenu les candidats indépendants dans ces régions. Selon More in Common, les participants aux groupes de discussion ont davantage évoqué le manque d’opportunités, la criminalité et le fait que personne ne les écoutait que la situation à Gaza.
Il ne sert à rien de lutter pour la paix dans le monde si la région dans laquelle vous vivez est un trou à rats.
Comme l’a dit un électeur musulman de Rochdale : « Cela ne sert à rien de vouloir lutter pour la paix dans le monde quand le quartier où vous vivez est un trou à rats ». En effet, nombre de musulmans qui se sont détournés du Parti Travailliste estiment que la réticence du parti à changer de position vis-à-vis de Gaza est le « symbole » de sa surdité face à leurs préoccupations.
More in Common note, par ailleurs, que si les candidats indépendants favorables à Gaza ont placé le conflit le cœur de leur campagne, ils ont également réussi à recueillir un soutien plus large. « Les gens ont voté pour des candidats indépendants susceptibles d’être considérés comme des porte-étendards de leur communauté et de mieux les défendre que le Parti Travailliste. »
Baston reconnaît que la perte d’influence du parti travailliste au sein de la communauté musulmane est multifactorielle. « Gaza est une cause immédiate, mais il y a aussi d’autres facteurs : Les électeurs musulmans ont eu l’impression que le Parti travailliste les tenait pour acquis, une stratégie travailliste évidente et voulue pour 2024 », explique-t-il.
« Le parti a l’habitude de s’appuyer sur les leaders communautaires pour obtenir du soutien, mais cela suppose que l’engagement envers le parti est facile à rompre. »
La perte de « sièges sûrs »
Les difficultés politiques du Parti travailliste dans les circonscriptions où l’électorat musulman est important reflètent également le fait que le soutien au parti dans ses circonscriptions les plus sûres a chuté de manière générale.
« Le Parti travailliste s’est fortement appuyé sur une stratégie d’efficacité électorale pour cette élection, ce qui signifie qu’il s’est concentré sans relâche sur la conquête de nouveaux électeurs dans les circonscriptions détenues par les conservateurs, tout en se préoccupant moins des électeurs travaillistes de longue date dans les circonscriptions sûres du parti », explique Ed Hodgson, directeur de recherche chez More in Common. « Du point de vue électoral, cela a été un énorme succès, car cela a permis aux travaillistes de gagner 211 sièges tout en n’augmentant leur part de voix que de 1,6 %. »
La contrepartie, cependant, a été une forte baisse de la majorité travailliste – et quelques défaites – dans ses circonscriptions les plus sûres, souvent fortes d’une importante population musulmane. En moyenne, les Travaillistes ont perdu 7,1 % des voix dans leurs circonscriptions.
Hodgson signale par ailleurs que l’on ignore l’impact qu’une position travailliste différente sur Gaza aurait pu avoir.
« Ce qui est difficile à quantifier, c’est le rôle que la position du Parti travailliste sur Israël et Gaza a joué dans la conquête d’électeurs dans les circonscriptions que le Parti a ravies aux Conservateurs, de Plymouth à Portsmouth et d’Altrincham à Aldershot », explique-t-il.
Ceux qui ont voté Conservateur en 2019 l’ont fait, en partie, par crainte de voir un gouvernement dirigé par Corbyn.
« Éloigner le parti des positions de Corbyn, en particulier en matière de politique étrangère, a été l’une des priorités de Starmer pour rendre le parti Travailliste plus attrayant aux yeux des électeurs Conservateurs indécis », explique Hodgson.
Ce n’est pas la première fois que les électeurs musulmans tirent un coup de semonce contre le Parti Travailliste. En 2005 déjà, nombre d’entre eux s’étaient révoltés contre le gouvernement de Tony Blair, dans les urnes, suite à la participation de la Grande-Bretagne à la guerre en Irak.
Cinq ans plus tard, avec la guerre passée au second plan politique et la première perspective d’une victoire des Conservateurs depuis 1992, le soutien musulman au Parti Travailliste s’est fortement redressé.
Pour ce qui est de l’avenir, Hodgson estime que la situation pourrait changer à bien des égards lors des prochaines élections générales. Les électeurs désillusionnés pourraient « suivre le chemin de Rochdale », où, après avoir élu Galloway sur une liste clairement pro-Gaza lors d’une élection spéciale, ils sont revenus aux travaillistes lors des élections générales quatre mois plus tard.
« Il est clair que dans cinq ans, la guerre à Gaza sera moins importante et que les électeurs voudront sans doute voir leurs représentants parlementaires jouer un rôle plus important au sein du gouvernement et travailler sur des questions nationales, au lieu de s’y opposer en leur qualité de candidats indépendants », explique Hodgson. « L’histoire montre que les candidats indépendants n’ont généralement qu’une seule chance de gagner, surtout s’ils ne sont pas en mesure d’apporter des améliorations au niveau national. »
Hodgson a aussi mentionné une autre possibilité, moins rassurante, pour les partis traditionnels. Si la fragmentation des électeurs britanniques de gauche se poursuivait et que les partis populistes de gauche plus organisés émergeaient, il serait aisé d’imaginer un leader de droite capable de « mobiliser le vote musulman mécontent, en s’inspirant du langage et des tactiques utilisés par les candidats indépendants lors de ces élections ».
La balle est toutefois dans le camp du nouveau gouvernement.
« Ce scénario pourrait toutefois être évité si le parti travailliste parvenait à mettre en œuvre les politiques importantes aux yeux des citoyens, tout en leur montrant qu’il respectent leurs priorités, » a ajouté Hodgson.
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