Strasbourg inaugure un jardin mémoriel et un mur des noms à l’endroit d’une synagogue brûlée par les nazis
Construite en 1898, la synagogue du quai Kléber a été brûlée pendant la Seconde Guerre mondiale et 1 896 personnes dans le département ont été victimes de la déportation dans les camps nazis

La place des Halles à Strasbourg est connue pour son vaste centre commercial situé à deux pas du centre historique de la ville. Chapitre plus sombre et moins connu de l’histoire, la place abritait autrefois l’ancienne synagogue du quai Kléber, incendiée en 1940 par les nazis juste après l’annexion de l’Alsace-Moselle, puis démontée pierre par pierre à partir de 1941. La place des Halles accueille désormais un mémorial qui replace l’histoire au cœur de la cité.
Lundi 27 janvier, un mur sur lequel sont inscrits les noms des 1 896 victimes de la déportation dans le Bas-Rhin a été dévoilé par la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian (Les Écologistes) et le président du consistoire israélite du Bas-Rhin, Maurice Dahan, selon le journal local les Dernières Nouvelles d’Alsace.
En 2016 déjà, une reproduction miniature en bronze de la synagogue avait été réalisée par le galeriste Christophe Fleurov et exposée à l’entrée de la synagogue de la rue de la Paix. Ce projet avait vu le jour à l’initiative de Thierry Roos, vice-président honoraire du Consistoire.
« Mon père venait prier dans cette synagogue, il me parlait de l’odeur du bois », avait-il raconté au moment de l’annonce du projet, il y a un an, expliquant que l’édifice était alors situé au « cœur du quartier juif de Strasbourg ».
La mairie de Strasbourg a voulu aller plus loin en inaugurant un jardin mémoriel, où le bronze pourrait élire domicile, à l’endroit-même où se dressait la synagogue autrefois.
Les études préparatoires ont démontré « que le lieu et le projet peuvent être plus grands » que ce qui était initialement prévu, a affirmé Jeanne Barseghian au journal. « Le projet prend alors une ampleur inespérée en termes d’espace et de symbole. »
« Des murs des noms, il y en a, mais que dans les cimetières. Qui va les voir ? », a estimé de son côté Maurice Dahan qui a conclu en affirmant « qu’un mur des noms dans le domaine public, c’est, je pense, unique en France. »
« Le but, à terme, c’est que ce lieu permette un parcours mémoriel avec les scolaires, mais aussi qu’il devienne un incontournable pour nos visiteurs. Et qu’il interpelle les Strasbourgeois qui viennent aux Halles pour faire leurs courses », a expliqué la maire de Strasbourg, estimant que l’enjeu est de taille face à la « recrudescence des actes antisémites ».

Le Conseil représentatif des institutions juives de France a annoncé le 22 janvier qu’un total de 1 570 actes antisémites avaient été recensés en 2024 sur l’ensemble du territoire. France 3 Grand Est a précisé que Strasbourg est à la 3e place du classement des villes les plus touchées par l’antisémitisme, juste après Paris et Marseille.
Avec 51 incidents antisémites enregistrés l’année dernière, le Bas-Rhin est le 9e département le plus touché en France.
L’inauguration a eu lieu le jour du 80e anniversaire de la libération du camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau, en présence de la ministre déléguée à la Lutte contre discriminations, Aurore Bergé, et du secrétaire-général du Conseil de l’Europe Alain Berset.
Au-delà des 1 896 noms inscrits sur le mur inauguré, s’ajoutent les noms des 86 Juifs gazés en 1943 par les nazis au camp du Struthof, seul camp de concentration nazi érigé sur le territoire français, en Alsace alors annexée de fait par l’Allemagne.

Ce mur des noms « se dresse face au fléau du négationnisme, de l’effacement », a déclaré Jeanne Barseghian, lors de cette cérémonie qui coïncide avec le 80e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.
Présente lors de l’inauguration, Aurore Bergé, a appelé à agir face à un antisémitisme qui se « renouvelle ».
« L’antisémitisme n’a pas disparu, il est toujours là », a déclaré la ministre, « il se renouvelle dans toutes ses formes, se cachant aujourd’hui derrière le paravent de l’antisionisme ».
« Depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023, l’antisémitisme a même explosé », a déclaré Aurore Bergé. « Face à l’antisémitisme, il ne peut y avoir ni compromis ni ambiguïté. »
« C’est à nous d’agir en condamnant les actes et en sanctionnant les auteurs, en dénonçant publiquement les discours de haine, en apportant un soutien concret aux victimes, en renforçant l’éducation et la formation, en étant d’une vigilance absolue et d’une sévérité exemplaire », a-t-elle poursuivi.
Il y a 80 ans, le camp d'Auschwitz-Birkenau était libéré. L’humanité, terrassée par la barbarie, retrouvait un souffle fragile.
A Strasbourg, sur les ruines de l’ancienne synagogue, un jardin mémoriel est né aujourd'hui.
Parce que la vie doit l'emporter.
Parce que la mémoire ne… pic.twitter.com/fgN1uIBgV1— Aurore Bergé (@auroreberge) January 27, 2025
Aurore Bergé a confirmé qu’elle relancerait les assises de lutte contre l’antisémitisme « pour que toute la République soit mobilisée ». Celles-ci seront organisées le 13 février, date anniversaire de la mort d’Ilan Halimi, un jeune juif de 23 ans torturé et tué en 2006.
« Que ce jardin soit un lieu de paix, un lieu de transmission et un lieu d’éveil », a souhaité Harold Avraham Weill, grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin. « Il nous rappelle toujours de ne jamais détourner le regard, de ne jamais nous cacher et de toujours répondre présent à l’appel de l’histoire et de l’humanité. »
Dans l’après-midi, Aurore Bergé a rendu visite à des élèves du collège Mathias Grünewald et du lycée Alfred Kastler de Guebwiller (Haut-Rhin), pour saluer leurs travaux sur la mémoire de la Shoah.
« C’est formidable de voir qu’on a autant de jeunes, collégiens, lycéens, enseignants, qui s’engagent et se mobilisent pour que cette mémoire reste extrêmement actuelle », a commenté Aurore Bergé.
« On est sur une date très symbolique aujourd’hui, la libération d’Auschwitz, mais au-delà de cette date, l’idée c’est que tous les jours on ait des enseignants, collégiens, lycéens, qui transmettent cette mémoire. C’est ce dont on a besoin parce que les témoignages [de rescapés], on en aura de moins en moins. Ça veut dire qu’on devient nous-mêmes les témoins des témoins, on va devoir continuer à passer cette mémoire », a-t-elle conclu.