Tisha BeAv testera le sérieux de Lapid sur le pluralisme religieux au mur Occidental
Suite aux incidents avec des fanatiques, Lapid a réitéré le droit des juifs non orthodoxes de prier sur le lieu saint, mais la police va-t-elle coopérer samedi soir ?

Samedi soir, de nombreux Juifs se rassembleront dans la section égalitaire du mur Occidental pour lire le Livre des Lamentations, qui décrit avec force détails la destruction du temple juif il y a environ 2 600 ans – ou du moins, c’est ce qu’ils espèrent.
L’année dernière, le jour du jeûne de Tisha BeAv, des extrémistes orthodoxes avaient envahi la place égalitaire, également appelée Ezrat Yisrael ou Arche de Robinson, pendant la lecture des Lamentations, connues en hébreu sous le nom de Eikha. Les faits ont particulièrement choqué car Tisha BeAv commémore la destruction des deux temples juifs, dont le second aurait été détruit à cause de la Sinat hinam [haine gratuite] entre les Juifs de l’époque. Les analogies entre la « haine gratuite » qui a conduit à la destruction des temples et la « haine gratuite » manifestée l’année dernière ne manquent pas.
Il y a un peu plus d’un mois, un autre groupe de jeunes orthodoxes radicaux sont aussi venus semer le trouble lors de cérémonies de bar et de bat mitzvah organisées par des familles américaines à Ezrat Yisrael, déchirant des livres de prières, traitant les fidèles de « nazis » et de « chrétiens » et utilisant des sifflets pour couvrir les offices de prière. Les policiers qui se trouvaient sur les lieux se sont essentiellement abstenus d’intervenir, se contentant de réagir uniquement en cas de risque immédiat de violence, mais ne faisant rien pour mettre un terme aux perturbations.
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Entre ces deux incidents, des activistes orthodoxes ont installé à plusieurs reprises une barrière de séparation des sexes, ou mehitza, dans la section égalitaire en guise de protestation contre les offices de prière non orthodoxes.
Les incidents de Tisha BeAv et du 30 juin dernier n’ont suscité en Israël que des critiques modérées. Toutefois, après ce dernier incident, et principalement suite aux pressions exercées par d’importantes organisations juives américaines et internationales, les responsables politiques israéliens, dont le Premier ministre Yair Lapid, ont fermement dénoncé les perturbations et les protestations violentes.
« Je suis opposé à tout acte de violence au mur Occidental contre ceux qui souhaitent venir y prier selon leur foi. Cela ne peut pas continuer », avait déclaré Lapid après l’incident de fin juin.

Le Premier ministre avait aussi téléphoné à l’un des garçons qui célébrait sa bar mitzvah et dont la cérémonie avait été perturbée, pour lui dire que ce qui s’était passé « ne représentait pas l’État d’Israël, le peuple d’Israël ou le gouvernement d’Israël », selon une source qui se trouvait en ligne.
Au cours de l’appel téléphonique, Lapid avait qualifié les violentes protestations de « scandaleuses » et avait déclaré que chaque Juif devait pouvoir prier comme il l’entendait, toujours selon la même source qui s’est confiée au Times of Israel sous couvert d’anonymat.
Samedi soir, nous verrons si les remarques de Lapid étaient fondées sur de réelles intentions de garantir le droit des Juifs non orthodoxes à prier sans être dérangés dans la section égalitaire du mur Occidental ou s’il ne s’agissait que de paroles en l’air.
« Le Premier ministre et le gouvernement d’Israël ont la responsabilité de maintenir la sécurité des fidèles en Israël, y compris au Kotel« , a récemment déclaré au Times of Israel le rabbin Jacob Blumenthal, chef de la United Synagogue of Conservative Judaism (USCJ).

« Ce sont des temps qui exigent des dirigeants courageux », a-t-il déclaré.
L’une des principales critiques formulées suite aux évènements du 30 juin concernait l’inaction de la police, qui avait laissé les manifestants, pour la plupart ultra-orthodoxes ou haredi, perturber les offices de prière sans broncher.
Il existe en Israël des lois qui criminalisent l’insulte à la religion d’autrui – ce que les manifestants ont ostensiblement fait en déchirant des livres de prière et en traitant les fidèles de chrétiens – ou le fait de « délibérément perturber un groupe de personnes légalement rassemblées pour un office de prière », ce que les manifestants ont également fait.
Mais ces lois ne sont pas vraiment applicables dans les cas susmentionnés, car la prière non-orthodoxe n’est en règle générale pas reconnue comme légitime par le gouvernement israélien et n’est donc pas protégée par ces lois, explique Yizhar Hess, ancien membre du mouvement Massorti en Israël et actuel vice-président de l’Organisation sioniste mondiale.
Au lieu de cela, ce type de manifestation, le plus souvent non violente, organisée par des extrémistes haredi, tombe dans une zone grise juridique où la police pourrait potentiellement intervenir, mais pourrait aussi décider qu’il s’agit d’une manifestation légale. En l’absence d’orientations et de volonté politique claires pour réprimer ce type de perturbations, la police a tendance à opter pour la seconde option.
« D’un côté, les directives actuelles permettent à la police de ne pas intervenir. Vous pouvez donc vous rendre sur place et faire ce que vous êtes autorisé à faire dans tout espace public. Mais d’un autre côté, on sait que lorsque la police veut intervenir, elle sait comment le faire. Les troubles à l’ordre public peuvent être évités sans que des directives spéciales soient nécessaires », avait déclaré Hess au Times of Israel le mois dernier.
Pour tenter de remédier à cette situation, le bureau du Premier ministre a adressé une lettre à la Société pour le développement et la rénovation du quartier juif, organisme officiellement responsable de la gestion de la section de l’Arche de Robinson, afin de « clarifier » qu’il était interdit de placer une mehitza dans la zone et qu’il incombait à la police de faire respecter cette interdiction.
Même si cette mesure permettrait d’éviter les manifestations de type « prise de contrôle » comme celles qui ont eu lieu dans le passé, au cours desquelles des activistes tentent de transformer la zone en un espace de prière orthodoxe, elle est loin, très loin, de donner à la police les directives nécessaires pour protéger la prière mixte et arrêter ceux qui cherchent à la perturber. Cette directive du cabinet du Premier ministre n’aurait pas été suffisante pour empêcher les perturbations qui ont eu lieu lors des bar et bat mitzvah du mois de juin, par exemple.

« Nous remercions le bureau du Premier ministre d’avoir publié une lettre réitérant l’interdiction de placer des mehitzot dans la section et précisant la juridiction de la police si cela devait se produire. Mais je pense que nous avons besoin de meilleures définitions de ce qui est interdit et où la police peut intervenir », a déclaré Blumenthal.
« Nous espérons que le gouvernement clarifiera cette question et veillera à ce que nous puissions assurer un office de prière respectueux au Kotel », a-t-il ajouté, en utilisant le terme hébreu pour désigner le mur Occidental.
L’interdiction de la mehitza est également loin d’être définitive, comme on a pu le constater la semaine dernière lorsqu’un haut responsable de la police du mur Occidental a été interrogé à ce sujet par des militants orthodoxes.
« Il n’y a pas de loi à ce sujet. Vous pouvez revendiquer la ‘liberté de religion’, ils peuvent revendiquer la ‘liberté de religion’. Chacun a sa liberté », leur a répondu l’officier filmé.
Rien n’indique non plus que la police ait changé son interprétation de ce qui est considéré comme une perturbation de la prière non-orthodoxe, en y voyant un acte criminel plutôt qu’un acte de protestation légal.
Le mois dernier, le secrétaire du cabinet Shalom Shlomo a rencontré les chefs des mouvements réformés et Massorti en Israël et les a informés que les mesures prises par la police en la matière ne seraient pas modifiées.
« Nous avons été choqués d’apprendre que la police israélienne se déchargeait de sa responsabilité de garantir la paix des fidèles à… Ezrat Yisrael », a déclaré un porte-parole du mouvement réformé.
Il n’y a pas que la police
Blumenthal a souligné que les mesures de sécurité prises dans la section égalitaire, bien qu’importantes, ne sont qu’une petite partie du combat plus large pour la représentation des non-orthodoxes au mur Occidental.
« Nous ne voulons pas nous concentrer uniquement sur la sécurité. Tout cela fait partie d’une discussion plus large sur l’application de l’accord du Kotel. Le fait que l’accord n’ait pas été appliqué permet que cela se produise », a déclaré M. Blumenthal.
Il faisait référence à un accord généralement appelé « compromis du mur Occidental », qui prévoyait, entre autres, d’accorder une légitimité officielle aux prières non orthodoxes dans la section égalitaire et de donner aux confessions non orthodoxes un rôle dans la gestion du mur Occidental.
Le gouvernement avait accepté de mettre en œuvre l’accord en 2016, mais à la dernière minute, en raison de pressions exercées par les partis ultra-orthodoxes, le Premier ministre de l’époque, Benjamin Netanyahu, avait interrompu le processus, qui est resté gelé depuis lors, malgré le soutien public de l’actuel Premier ministre Lapid au compromis.
Au début du mandat du gouvernement actuel, les Juifs non orthodoxes espéraient que l’accord se concrétiserait, mais l’opposition interne exprimée par certains membres de droite au sein de la coalition, qui s’est effondrée depuis, rend toute tentative en ce sens irréalisable dans un avenir proche.
Que va-t-il se passer samedi soir ?
On ignore encore comment se dérouleront les événements sur la place égalitaire du mur Occidental. assistera-t-on à une lecture émouvante et sans histoire d’un livre décrivant de manière accablante la destruction du Premier Temple et la chute de Jérusalem ou, au contraire, à une nouvelle série d’affrontements et de protestations ?
Le Centre Liba, un groupe orthodoxe extrémiste, responsable des manifestations de l’année dernière à la section égalitaire du mur Occidental, a indiqué qu’il ne prévoyait pas nécessairement de recommencer.

S’adressant au Times of Israel le mois dernier, le chef du groupe, Oren Henig, a déclaré que la protestation à la section égalitaire l’année dernière était un « faux pas » et a déclaré qu’il n’y avait aucun plan pour « se battre avec » les Juifs progressistes sur le site cette année.
Mais si le Centre Liba est responsable de l’altercation de l’année dernière, il n’est pas directement à l’origine de la manifestation du 30 juin. Celle-ci a été organisée par un groupe d’adolescents et de jeunes hommes très peu coordonnés, et il n’y a aucune indication claire qu’ils ne reviennent pas.
Les partis politiques d’extrême droite, notamment le parti Noam, ont également appelé leurs partisans à organiser une prière séparée pour les hommes et les femmes dans la section égalitaire, afin de protester contre la directive du cabinet du Premier ministre interdisant la mehitza.
Face à cette situation, le mouvement Massorti en Israël – et les groupes affiliés – ont appelé leurs partisans à remplir la section égalitaire samedi soir afin qu’il ne reste plus de place pour les manifestants.
« En ce Tisha BeAv, nous remplissons la section familiale du mur Occidental et diffusons un amour inconditionnel », a déclaré le mouvement dans une publication sur Facebook.
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