Une affaire traitée par la Cour suprême US pourrait aboutir au financement public des écoles juives
La décision rendue sur les écoles confessionnelles de l'Oklahoma pourrait rendre l'éducation moins coûteuse pour les juifs orthodoxes et permettre un plus grand choix

JTA – Lorsque l’Oklahoma a donné son accord à la demande de l’Église catholique d’ouvrir une école à charte en 2023, des poursuites judiciaires s’en sont rapidement suivies. Les tribunaux de l’État et du gouvernement fédéral se sont prononcés contre, au motif le financement public d’un établissement scolaire faisant la promotion de la religion serait inconstitutionnel.
La Cour suprême des États-Unis s’est depuis saisie de l’affaire et a fait savoir que les juges étaient prêts à revenir sur un précédent juridique ancien protégeant la séparation de l’Église et de l’État.
Si la cour Suprême permet à l’école virtuelle catholique Saint-Isidore de Séville de devenir la première école religieuse financée par le gouvernement aux Etats-Unis, les conséquences pour l’éducation religieuse – y compris pour les écoles juives – pourraient être considérables.
Les partisans de l’école soutiennent que les écoles à charte devraient être autorisées à enseigner la religion parce qu’elles ne sont pas techniquement des institutions gouvernementales. Ils soutiennent également que dans la mesure où les États autorisent les écoles à charte – et presque tous le font – leur exclusion enfreint la protection constitutionnelle de la liberté religieuse.
Dans l’affaire St. Isidore of Seville Catholic Virtual School v. Drummond, le sort de l’école sera réglé par une Cour dont la déjà très large majorité conservatrice ne cesse de donner plus de place à la religion dans la vie publique. La Cour avait en effet déjà statué en faveur d’un entraîneur de football d’un lycée public qui voulait prier avec des élèves sur le terrain et autorisé le financement par le gouvernement de bons d’études pour les écoles religieuses.
Avant d’accepter d’entendre l’affaire St. Isidore, la Cour avait déjà accepté une affaire venue du Maryland traitant du droit – ou non- des parents à s’opposer à ce que leurs enfants suivent les cours sur le thème LGBTQ, et ce pour des raisons religieuses.
Des partisans juifs de saint Isidore pensent que l’affaire pourrait se traduire par des suventions publiques à l’échelle de tout le pays. Cela permettrait de réduire les coûts pour les parents, pour la plupart orthodoxes, qui envoient leurs enfants dans des écoles religieuses juives privées. Pour tous les autres, cela ferait de l’éducation juive une option nettement plus accessible. Selon les estimations, moins de 5 % des enfants juifs non orthodoxes fréquentent en effet des écoles juives.
« Je suis très favorable à ce que fait l’Église catholique ici, et s’ils y réussissent, alors cela pourrait changer la donne pour les Juifs américains et l’éducation juive en Amérique », estime Peter Deutsch, ex-élu Démocrate du Congrès qui a fondé un réseau d’écoles à charte en hébreu en Floride.
À l’origine, Deutsch voyait dans son réseau d’écoles à charte Ben Gamla le moyen de lutter contre l’assimilation des Juifs américains. Ce qu’il n’a pas réussi à faire comme il l’entendait, notamment parce que la séparation de l’Église et de l’État exige que les écoles restent strictement laïques.
Lorsque l’Oklahoma a donné son accord à l’école St. Isidore, Deutsch est allé voir les responsables de l’établissement, dans l’espoir de concrétiser son rêve d’une école juive financée par l’État. Après s’être entretenu avec des rabbins et des parents juifs, il a conclu que la petite population juive de l’État faisait de son idée un projet peu réaliste.
Une décision favorable de la Cour suprême pourrait-elle alors ouvrir la voie à des écoles religieuses à charte dans d’autres États, y compris ceux qui comptent des communautés juives plus importantes ? Compte tenu des nombreux facteurs juridiques et politiques en jeu, les experts sont prudents au jeu des prédictions.

« Je pense que des milliers d’écoles, catholiques et d’autres confessions, vont se transformer en écoles à charte partout dans le pays d’ici un an ou deux », a écrit dans un essai paru le mois dernier Michael Petrilli, président de l’Institut Thomas B. Fordham, think tank conservateur spécialisé dans la politique éducative. « Mais ce n’est pas gagné, et pour plusieurs raisons. »
Les autorités pourraient prendre des règlements rendant difficile la conversion des écoles religieuses aux chartes, explique Petrilli, ou décider purement et simplement d’accréditer de nouvelles écoles.
Selon un rapport de 2019, il existait alors plus de 900 écoles juives aux États-Unis, dont la grande majorité fréquentées par des élèves issus de communautés orthodoxes. La possibilité de convertir l’une d’entre elles en écoles à charte, ou d’en ouvrir de nouvelles, pourrait varier d’un État à l’autre.
Selon la National Alliance for Public Charter Schools, qui s’oppose aux écoles à charte religieuse, sur les 45 États dotés d’écoles à charte, six – y compris New York – imposent des plafonds stricts qui limitent de facto les opportunités de création. Six autres États, dont la Californie et le New Jersey, ont des plafonds de croissance modérés, tandis que les 33 autres n’imposent aucune limite au nombre d’écoles physiques à charte.
Pour autant, Starlee Coleman, PDG de la National Alliance for Public Charter Schools, estime qu’il est trop tôt pour dire à quel endroit les écoles religieuses à charte seraient plus susceptibles de se développer.
« Pour l’heure, il est impossible de dire où ces écoles religieuses à charte pourraient ouvrir – pour autant qu’elles deviennent légales – parce que nous ne savons pas dans quel sens les lois de l’État pourraient changer suite à la décision [attendue de la Cour Suprême] », explique Coleman dans un courriel.
De l’avis de Michael Helfand, professeur de droit à l’Université Pepperdine spécialiste des rapports de l’Église et de l’État et conseiller juridique de la Teach Coalition, ONG orthodoxe favorable au financement public des écoles religieuses, l’un des principaux obstacles à l’expansion de ces établissements est l’exigence que les écoles à charte soient ouvertes à tous. En application de cette règle, une école juive ne pourrait pas devenir une école à charte si elle réservait l’accès aux élèves juifs.
Peu de responsables juifs du secteur de l’éducation évoquent dès maintenant les conséquences possibles de l’affaire Saint Isidore. Cela n’a pas été le principal sujet de la conférence organisée la semaine dernière par Prizmah : Center for Jewish Day Schools, et le PDG du groupe, Paul Bernstein, a dit en avoir eu connaissance en étant lui-même contacté par la Jewish Telegraphic Agency.

Lors de cette conférence qui a attiré plus de 1 200 dirigeants d’écoles de jour et d’enseignants juifs venus de partout, les présentations faites sur les moyens de rendre ces écoles plus abordables se sont concentrées sur la limitation des coûts ou les aides au sein des communautés juives pour limiter l’impact des frais de scolarité.
Mais les écoles juives et leurs défenseurs tiennent généralement compte des réglementations gouvernementales et du financement public au moment de fixer leurs priorités et leur développement.
Par exemple, l’augmentation des fonds publics pour les écoles non publiques est l’un objectif majeur de l’Union orthodoxe. Le groupe soutient la candidature de St. Isidore, explique Nathan Diament, son directeur des affaires publiques.
« Nous croyons dur comme fer que les parents sont les mieux placés pour décider de la manière dont leurs enfants doivent être éduqués », assure Diament lors d’une interview. « Et par souci d’équité, les parents contribuables de la communauté juive orthodoxe ou catholique – ou de toute autre communauté religieuse – devraient pouvoir recevoir une aide de l’État pour la scolarité de leurs enfants. »
Deux organisations juives ont soumis des mémoires en soutien à Saint Isidore dans le cadre de l’examen par la Cour suprême de la recevabilité de l’affaire.
La Coalition for Jewish Values [NDLT : Coalition pour les valeurs juives], qui dit parler au nom de 2 500 « rabbins orthodoxes traditionalistes », a déposé un mémoire d’amicus curiae avec le Conseil général des Assemblées de Dieu, un groupe pentecôtiste.
« Cette affaire ne concerne pas seulement une école catholique de l’Oklahoma », indique le mémoire. « Il ne s’agit pas non plus seulement de la viabilité des écoles religieuses. Il s’agit de la capacité des entités religieuses de tous bords à interagir avec le gouvernement et à intervenir sur la place publique. »
La Jewish Coalition for Religious Liberty [NDLT : Coalition juive pour la liberté religieuse], ONG liée avec le conservateur Tikvah Fund, a déposé un mémoire conjoint avec un groupe qui avait tenté d’ouvrir une école islamique à charte dans le Minnesota.

Le mémoire évoque surtout le procureur général républicain de l’Oklahoma, Gentner Drummond, défavorable au financement public des écoles religieuses et qui a intenté une action en justice contre St. Isidore devant un tribunal d’État. En juin, la Cour suprême de l’Oklahoma a statué en sa faveur, en affirmant que les écoles catholiques financées par le gouvernement ne respectaient pas la Constitution américaine.
Le mémoire estime que Drummond n’a, lui-même, pas respecté la Constitution en exprimant son hostilité envers les minorités religieuses, disant en substance que l’État pourrait un jour devoir financer des écoles religieuses que la plupart des habitants de l’Oklahoma trouvent « répréhensibles ». Drummond a publiquement cité « l’islam radical » et l’Église de Satan comme exemples.
« Aujourd’hui, les habitants de l’Oklahoma sont déjà obligés de financer le catholicisme », déclarait Drummond lors d’une conférence de presse l’année dernière. « Demain, nous pourrions devoir financer des enseignements musulmans radicaux comme la charia. »
Les propos de Drummond sont dans la droite ligne d’un argument de droite en faveur de la séparation de l’Église et de l’État – principe que de nombreux Juifs américains ont historiquement soutenu, surtout du point de vue libéral.
Des organisations comme l’American Jewish Committee, l’Anti-Defamation League ou l’Union for Reform Judaism soutiennent depuis longtemps qu’une sphère publique laïque protège à la fois la liberté religieuse et la communauté juive. Ces organisations ne se sont pas impliquées dans l’affaire de Saint-Isidore, mais la fédération juive desservant Oklahoma City a déclaré que le concept de charte religieuse était inconstitutionnel.
Aujourd’hui, la voix juive la plus influente contre saint Isidore est celle de Rachel Laser, cheffe des Americans United for Separation of Church and State [NDLT : Américains unis pour la séparation de l’Église et de l’État]. Elle voit derrière ce projet le bras du nationalisme chrétien et pense que l’érosion du principe de séparation de l’Église et de l’État est préjudiciable aux Juifs comme aux autres minorités religieuses.
« Les écoles publiques religieuses à charte font partie du programme nationaliste chrétien destiné à faire entrer une bonne dose de christianisme au sein des écoles publiques », expliquait Laser dans un communiqué, en 2023.
« Nous assistons à une attaque frontale contre le principe de séparation de l’Église et de l’État et contre l’éducation publique – les écoles publiques religieuses à charte sont la prochaine étape. »
Selon Deutsch, cet argument ne tient pas la route. Il en veut pour preuve le faible niveau de connaissances juives et l’assimilation croissante des Juifs américains.
« Si vous pensez qu’il existe une parfaite continuité entre le peuple juif et la foi, regardez les Juifs américains d’aujourd’hui : il est impossible de dire que c’est une réussite », assure-t-il. « A l’évidence, pris isolément, les Juifs savent trè bien mener leur barque mais la communauté juive est dans une spirale infernale. La seule façon d’empêcher ce qui se passe, c’est l’éducation. »
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