Un descendant des fondateurs du kibboutz Beeri n’est pas sûr de vouloir y revenir
Le père de Yuval Haran a été tué et sept proches ont été pris en otage - six ont depuis été libérés ; il se bat dorénavant pour que son beau-frère soit relâché
Yuval Haran se tient dans l’espace noirci, carbonisé, de ce qu’était, il n’y a pas si longtemps, la maison rêvée par ses parents au kibboutz Beeri. Les seules couleurs qui se distinguent encore dans ces ténèbres sont celles de photographies posées sur un sol qui disparaît sous les décombres, des photographies qui montrent les sept membres de la famille de Haran qui ont été kidnappés et pris en otage dans la bande de Gaza.
La cuisine où ses parents adoraient préparer de bons petits plats se réduit dorénavant aux carcasses métalliques détruites d’un four et d’un lave-vaisselle. La porte a été arrachée, la pièce est remplie de vaisselle cassée, dont les éclats craquent sous les pas.
Un chat est assis sur la porte béante du lave-vaisselle, faisant sa toilette dans les ruines laissées derrière eux par les terroristes du Hamas qui avaient lancé des explosifs à l’intérieur de la maison, le 7 octobre.
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« Ce n’est pas facile pour moi d’amener des gens dans la maison où mon père a été tué », a dit Yuval, évoquant Avshalom ‘Avsha’ Haran, assassiné par les hommes armés lors de ce Shabbat noir. « Mais c’est important pour moi qu’on sache ce qui est arrivé ici. Et ce n’est qu’une parmi de nombreuses maisons. Chaque maison a son histoire, une histoire qui raconte en elle-même un monde tout entier ».
Lorsque les terroristes avaient attaqué, 12 membres de la famille Haran passaient ensemble le week-end de la fête de Simchat Torah – et notamment les parents de Yuval, Avshalom et Shoshan Haran, sa sœur, Adi, qui était accompagnée de son mari Tal Shoham et des deux enfants du couple, Yahel, 3 ans et Naveh, 8 ans, ainsi que la tante de Yuval, Sharon Avigdori et sa fille de 12 ans, Noam.
La sœur et le beau-frère de Shoshan Haran, Eviatar et Lilach Kipnis, étaient également présents, explique Haran en parlant de sa tante et de son oncle dont la maison, qui a été réduite en cendres également, se trouve juste en bas de la rue. « Ils étaient les gens les plus hospitaliers du monde », se souvient-il.
Lors de cette journée funeste, alors que les terroristes avaient attaqué Beeri en tuant plus de cent personnes et en prenant 25 otages, le père de Yuval, Avshalom, 66 ans, était mort. Sa tante et son oncle avaient aussi été tués, tout comme l’aide-soignant qui prenait en charge ce dernier, Paul Castelvi qui n’aura pas vu naître son fils.
Yuval, 37 ans et sa conjointe, Annalee, n’étaient pas à Beeri, le 7 octobre. Ils étaient – par chance – à Eilat, où ils s’étaient rendus à un festival de musique. « On ne pouvait pas être plus loin », dit-il.
Au début de la matinée, ce jour-là – pendant le tir de barrage de roquettes qui avait marqué le début de l’attaque, précise Haran, son père avait fait entrer tout le monde dans la pièce blindée tandis que sa mère avait préparé du chocolat chaud pour ses petits-enfants. Il avait été rapidement établi qu’il ne s’agissait pas de l’une de ces attaques habituelles à la roquette, des informations laissant entendre que les terroristes avaient attaqué le kibboutz et que des familles étaient prises d’assaut, que des maisons étaient incendiées, que les résidents étaient brûlés vifs, mutilés ou exécutés de sang-froid.
Le père de Yuval avait pris un couteau de cuisine et il s’était tenu aux abords de la pièce blindée jusqu’à ce que son épouse et sa sœur parviennent à le convaincre de les rejoindre à l’intérieur.
« Ils ont entendu des voix et ils ont entendu les terroristes qui riaient à l’extérieur. Ils ont vu les balles voler », dit Yuval.
Après plusieurs heures passées à se cacher sous le lit, dans la pièce, alors que le massacre se déroulait – des heures rythmées par les textos reçus et par les bruits qui permettaient de deviner ce qui était en train de se passer à l’extérieur – la famille avait décidé de se rendre aux terroristes, raconte Yuval.
Les derniers mots prononcés par son père, selon sa famille, ont été : « Ca y est, c’est fini ».
La famille avait été sortie de la pièce blindée par les hommes armés, passant par la fenêtre. Sa mère, sa sœur, sa nièce et son neveu, sa tante et son cousin avaient été séparés de son père et de son beau-frère.
Les terroristes avaient tenté de séparer aussi les deux enfants de leur mère, Adi, mais elle avait lutté pour pouvoir rester avec eux. Tous les six avaient marché jusqu’à la clôture du kibboutz, un peu plus loin, passant devant les maisons de leurs amis et de leurs voisins.
« Ils ont ainsi pu voir tout ce qui était arrivé autour d’eux », indique Yuval, qui n’a appris les détails des événements que bien plus tard, lorsque certains membres de la famille ont été relâchés de captivité.
Les otages ont été emmenés dans la direction de Gaza, vers les champs du kibboutz qui sont si beaux sous la lumière du crépuscule – c’est l’une des vues les plus appréciées de Beeri.
« C’est l’un des plus jolis endroits du kibboutz. C’est absurde, parce que mon épouse et moi-même allions voir le coucher du soleil, presque tous les soirs, dans les mêmes champs », s’exclame Haran. « C’est une dissonance pour moi que vous ne pouvez pas imaginer ».
Pendant une semaine toute entière, Yuval n’a eu aucune information sur le sort réservé à sa famille. Pendant les premiers jours, il a pensé que peut-être, ils se cachaient toujours, tous – et qu’ils attendaient que les forces de sécurité aient contrôlé leur maison. Puis le corps sans vie de son père a été retrouvé et il s’est avéré que le reste de la famille était retenue en captivité à Gaza.
Yuval et sa jeune sœur, Shaked, ont pleuré leur père qui a été inhumé le 18 octobre à Omer, le quartier où il était né et où il avait grandi à Beer Sheva. Yuval est rapidement devenu le visage de sa famille prise en otage, un visage fatigué, assombri par le chagrin, lors de la longue série de manifestations et de marches où il portait une bannière, avec d’autres, avec des photos des siens – ceux qui ont été enlevés et se trouvent à Gaza, et ceux qui ne reviendront plus jamais.
49 jours après l’attaque, le 26 novembre, six de ses proches ont recouvré la liberté dans le cadre d’une trêve temporaire conclue entre Israël et le Hamas : la mère de Yuval, sa sœur, sa nièce et son neveu, sa tante et son cousin.
« Leur retour m’a donné tant de force », raconte-t-il.
Son beau-frère, Tal Shoham, thérapeute de métier, « l’esprit le plus serein, le plus aimable que je connais », est encore entre les mains du Hamas. Yuval ne peut pas donner les quelques détails qu’il connaît dorénavant.
« Il faut que je sois convaincu qu’il est encore vivant », déclare Yuval. « Quand ils étaient tous là-bas, nous ne savions rien et je me disais que tant que je ne savais rien, il était permis de croire qu’ils reviendraient et c’est ce que je crois aussi en ce qui concerne Tal – mais chaque journée qui passe rend les choses plus dures ».
Haran continue à se battre en première ligne, pour la famille, en faveur de la libération de Tal. Il montre et il parle de l’habitation de ses parents et du kibboutz ; il sert de guide aux visiteurs – en allant des journalistes à Jerry Seinfeld.
L’histoire de ce qu’a vécu sa famille, en ce samedi terrible, est toute l’histoire de Beeri, un kibboutz fondé il y a 77 ans, en 1946, où la quatrième génération, depuis ses fondateurs, élève maintenant ses propres enfants.
C’était le paradis sur terre, dit Haran. Aujourd’hui, alors qu’il est aux côtés de ses proches à Herzliya où ils sont logés pour le moment, il dit ne pas être sûr qu’ils retourneront à Beeri. Et si c’est le cas, ce ne sera probablement pas pour longtemps, ajoute-t-il.
« Nos vies sont entre parenthèses depuis le 7 octobre », note-t-il. « Nous attendons Tal. C’est tout. »
Sa sœur, Adi, a grandi avec Tal, qui vivait au kibboutz Holit, à proximité, et ils étaient dans la même classe à l’école. C’était le cas également d’Itay Svirsky, un ami et un voisin qui se trouvait aussi là à l’occasion du week-end de fête et qui a, lui aussi, été pris en otage – tandis que ses parents, Orit et Rafi, qui étaient divorcés, ont tous les deux été assassinés.
« Tous les autres ont été tués dans ce quartier », s’exclame Haran. « Je peux en parler sans mentionner des noms, mais si je pense à ceux qui vivaient dans chacune de ces maisons… » Il déglutit avec difficulté, baisse le regard, incapable de terminer sa phrase.
Jusqu’au 7 octobre, Yuval et Annalee vivaient en face de l’habitation de sa grand-mère paternelle, âgée de plus de 80 ans, qui a survécu au massacre. Elle est maintenant dans une maison de retraite de Beer Sheva.
Toutes les maisons de Beeri étaient occupées par quelqu’un que connaissait Haran. En fait, en tant que gestionnaire des technologies de l’information au sein de la communauté, il les connaissait toutes. C’est lui qui a défini les mots de passe de la majorité des ordinateurs que possédaient les résidents, se rappelle-t-il.
Il avait aussi passé trois ans hors de Beeri, à Tel Aviv, mais il avait décidé avec Annalee de s’y réinstaller et d’y vivre. Adi et Tal vivaient aussi à Beeri après leur mariage mais ils ne supportaient plus les tirs de roquettes et ils étaient partis, il y a trois ans. Ils étaient venus pour le week-end quand les terroristes avaient lancé leur attaque, le 7 octobre.
A une courte distance des maisons détruites, certaines parties du kibboutz ressemblent encore à ce qu’elles ont toujours été – à une communauté calme, bien entretenue, prospère grâce à la réussite commerciale de son entreprise locale, Beeri Print. Le père de Yuval, économiste, était le directeur-général du Kibbutz Economies Group, et il était impliqué dans l’administration de l’imprimerie.
Shoshan, la mère de Yuval, était la fondatrice de Fair Planet, un projet applaudi à l’international qui vise à aider les agriculteurs, et qui a fourni à environ un million d’Africains une source fiable d’alimentation.
Marchant dans la communauté, Yuval s’arrête à la salle culturelle du kibboutz où une série de sculptures en métal qui viennent d’être terminées représentent plusieurs fondateurs de la communauté et notamment sa grand-mère maternelle, Rena Havron, née en Israël. Avec son mari, elle avait établi Beeri.
Elle est morte il y a deux ans et son époux, le grand-père de Yuval, s’est éteint l’année dernière.
Ils étaient de vrais kibboutznikim, se souvient Yuval, et ils étaient tellement habitués à la vie communautaire que sa grand-mère « ne savait même pas comment cuire un œuf ».
« Je suis si heureux qu’ils n’aient pas assisté à ça », dit-il. « Le kibboutz reprendra vie, les gens reviendront. Je ne suis pas sûr, pour ma part, que nous reviendrons. Des gens que je connaissais depuis toujours ont été assassinés sur le devant de ma porte ».
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