Un documentaire sur la vie de l’écrivain (juif) Saul Bellow
Diffusion sur PBS de « The Adventures of Saul Bellow », premier documentaire sur le prix Nobel juif, par le réalisateur israélien Asaf Galay
JTA – Compte tenu de sa place dans le gotha littéraire international, il est difficile de croire qu’aucun documentaire n’avait encore été réalisé à propos du prix Nobel juif, Saul Bellow.
C’est désormais de l’histoire ancienne depuis la diffusion, la semaine dernière sur PBS, de « American Masters: The Adventures of Saul Bellow ».
Ce documentaire du réalisateur israélien Asaf Galay, tourné entre 2016 et 2019, qui présente en outre ce qui est considéré comme la toute dernière interview de Philip Roth avant sa mort en 2018, creuse profondément dans la vie personnelle et les sources d’inspiration de Bellow.
Beaucoup connaissent ses romans à succès et ses personnages mémorables (généralement juifs), mais comme le montre le documentaire, Bellow a eu une vie personnelle mouvementée, avec cinq mariages. Certains de ses amis et membres de sa famille se sont sentis trahis ou blessés par sa façon de mettre en scène des personnages peu flatteurs basés sur leur propre histoire.
Ses tendances politiques conservatrices modérées en ont fait un auteur en contradiction avec l’esprit des années 1960, et certains considèrent son évocation de personnages afro-américains comme raciste.
Le documentaire s’attarde longuement – à travers des entretiens avec des universitaires, des romanciers et des membres du clan Bellow – sur le sens profond de l’altérité qui animait Bellow, fils d’immigrants juifs, et la manière dont il a influencé son travail, et comment, à son tour, il a influencé de nombreux écrivains juifs américains. Roth, par exemple, confie à la caméra que Bellow l’a incité à créer des personnages juifs plus complets.
Pour rendre hommage à la sortie de ce documentaire, nous avons parcouru les archives de la Jewish Telegraphic Agency à la recherche d’informations concernant Saul Bellow. Il en ressort le portrait d’un intellectuel juif de premier plan, profondément investi dans le mouvement juif soviétique et Israël, et aimé de la communauté juive américaine malgré sa relation complexe à sa judéité et son refus d’être qualifié d’ « écrivain juif ».
Le mouvement juif soviétique
Bellow naît en 1915, au Canada, de parents d’ascendance lituanienne qui ont immigré de Saint-Pétersbourg, en Russie. Dans les années 1920, Bellow a 9 ans lorsque sa famille s’installe à Chicago.
Dans les années 1950, le sort des Juifs d’Union soviétique – empêchés de pratiquer librement leur religion et d’émigrer – devient le cri de ralliement des Juifs américains.
Comme l’illustre une information de la JTA de 1958, Bellow se passionne pour la question. En janvier de cette année, il adresse une lettre ouverte au New York Times à propos de « la purge des écrivains yiddish, le refus du régime soviétique actuel d’autoriser la renaissance de la culture juive et l’existence d’un système de quotas pour les Juifs dans l’éducation et la fonction publique, entre autres domaines ». Les écrivains juifs Irving Howe, Alfred Kazin et Lionel Trilling sont également signataires de cette lettre.
Il signe une autre lettre au Times sur le même sujet en 1965, et en 1969, il fait circuler un appel en faveur de la liberté culturelle des Juifs auprès de l’Union des écrivains soviétiques, qui recueille la signature d’écrivains éminents tels que Noam Chomsky et Nat Hentoff.
En 1970, le sujet touche le grand public et Bellow demeure très impliqué : avec plusieurs autres leaders d’opinion, il signe une pétition « L’Union soviétique se soucie-t-elle des droits de l’homme ou de l’opinion du reste de l’humanité ? »
Comme beaucoup de Juifs américains, la position de Bellow à l’égard d’Israël est complexe. « Pour être apprécié de tout le monde, mieux vaut ne pas évoquer la politique israélienne », écrit-il un jour.
Dans les années 1970, les articles de la JTA montrent qu’il suit de près la diplomatie israélienne et soutient l’État juif face aux critiques internationales.
En 1974, lors d’une conférence de presse, il appelle au boycott de l’UNESCO, l’agence des Nations unies chargée du patrimoine culturel, très critique à l’égard de la politique israélienne.
En 1984, Bellow rencontre le Premier ministre israélien de l’époque, Shimon Peres, en visite d’État aux États-Unis.
Pour autant, Bellow ne soutient pas aveuglément Israël : en 1979, il signe une lettre de protestation contre l’expansion des implantations en Cisjordanie, qui est lue lors d’une manifestation suivie par 30 000 personnes à Tel Aviv.
En 1987, alors qu’il se trouve à Haïfa pour une conférence consacrée à son œuvre, il critique le gouvernement israélien pour son traitement de l’affaire d’espionnage autour de Jonathan Pollard, soulevant une question encore vive dans le dialogue entre Israël et sa diaspora, comme dans la politique américaine.
« Je pense que les Juifs américains sont très sensibles à cette question de double loyauté, et c’est probablement une erreur de la part d’Israël d’insister sur cette question, très souvent reprise par les antisémites », déclare Bellow.
Le Prix Nobel
Après avoir remporté plusieurs National Book Awards et un Pulitzer, Bellow remporte le prix Nobel de Littérature en 1976. L’article que la JTA consacre à cette nouvelle rappelle que le dernier livre en date de Bellow, publié au moment de l’annonce du prix, est consacré à son séjour, en 1975, à Jérusalem, intitulé « Retour de Jérusalem ».
L’article précise : « Deux de ses livres, ‘Herzog’, publié en 1964 et ‘La planète de Mr. Sammler’, qui lui a valu le National Book Award en 1971, ont été traduits en hébreu et acclamés par la critique israélienne et les lecteurs. »
(Bellow n’est pas le seul Juif à remporter un prix Nobel cette année-là, car Milton Friedman se voit décerner le prix d’économie, Baruch Blumberg le prix de médecine et Burton Richter celui de physique.)
Un « écrivain juif » ?
L’Anti-Defamation League (ADL) décerne un prix à Bellow en 1976.
Selon un article de la JTA, Seymour Graubard, président national honoraire de l’ADL à l’époque, déclare alors que Bellow « refuse systématiquement l’appellation d’ ‘écrivain juif’. Il trouve dans sa judéité les fondements de l’humanité qui font partie de nous tous : c’est là que réside sa grandeur d’écrivain américain. »
La question de savoir s’il convient ou non de qualifier Bellow d’ « écrivain juif », et ce que cela signifie, le poursuit une grande partie de sa carrière.
À sa mort en 2005, à l’âge de 89 ans, une nécrologie du New York Jewish Week évoque « un géant de la littérature qui a toujours refusé d’être qualifié d’écrivain juif ».
« Pour M. Bellow, être considéré comme un écrivain juif avait quelque chose de restrictif, même si ses tout premiers romans, notamment ‘La victime’, en 1944, traitent de l’antisémitisme et mettent en scène des personnages qui parlent yiddish et russe », écrit Steve Lipman.
Le biographe de Bellow, James Atlas, ajoute dans la nécrologie : « Il a toujours dit qu’il était avant tout un écrivain, américain et juif ensuite. Ce sont ces trois facettes de sa personnalité qui expliquent son génie. Sa plus grande réussite a été d’écrire des fictions avec une grande profondeur philosophique. »
Dans un texte publié par la JTA au moment de la mort de Bellow, l’universitaire et écrivain de fiction John J. Clayton écrit : « Aucun bon écrivain ne souhaite être catalogué ou limité dans sa portée. Bellow est profondément un écrivain juif, et pas seulement de naissance. »
« La culture juive, la sensibilité juive, le sens juif de la sainteté du quotidien, tout ceci imprègne grandement son oeuvre. »