Un viol atroce touche Israël, mais des questions se posent sur l’inculpation
L'histoire de Mahmoud Qadusa - d'abord honni et peut-être libéré d'ici quelques jours - éclaire certains préjugés de la justice israélienne envers les Palestiniens

Mercredi, Mahmoud Qadusa a été présenté devant le tribunal militaire d’Ofer pour la toute première fois depuis son inculpation pour le viol d’une fillette israélienne de sept ans.
Mais devant les juges de l’opinion publique, la culpabilité de ce Palestinien âgé de 46 ans, employé dans l’école fréquentée par l’enfant, ne faisait déjà plus de doute dès la levée de l’embargo placé sur le dossier et la révélation de l’enquête par la police, dimanche soir.
Les détails du crime présumé ont secoué le pays tout entier et engendré des milliers de posts sur les réseaux sociaux. Des mères au foyer, de hauts-responsables politiques et de nombreux autres, issus de toutes les catégories de la population, ont exprimé leur indignation devant la détermination du suspect à contraindre une enfant à le suivre à travers la ville contre sa volonté avant de la violer, alors que deux amis, des complices, immobilisaient la fillette au sol, hilares.
Le ministre de l’Education Rafi Peretz, le ministre des Transports Bezalel Smotrich et l’ex-ministre de la Défense Avigdor Liberman ont appelé à ce que Qadusa soit exécuté.
Des rumeurs ont laissé entendre que l’acte d’inculpation, en réalité, était encore plus choquant. Toutefois, quand le document a fuité dans les médias, lundi, le choc a été encore autre avec la prise de conscience du travail médiocre qui avait été réalisé par les enquêteurs.
Et il faut reconnaître qu’au moment où Qadusa a quitté le tribunal de la prison d’Ofer, mercredi en fin d’après-midi, l’accusé était finalement plus proche d’une libération en raison d’un manque de preuves que d’une condamnation à la peine de mort – un dossier qui, selon les experts, est symptomatique de problèmes plus importants dans le traitement des Palestiniens par la police et par les tribunaux, caractérisé par des inculpations hâtives ou des préjugés inhérents.

Fromage suisse
L’acte d’inculpation contre Qadusa s’est appuyé presque exclusivement sur le témoignage de la petite victime de sept ans – sans apport médico-légal pour appuyer son récit. Il n’a pas non plus déterminé le jour, la semaine où même le mois où se serait produit le viol présumé.
Des comptes-rendus d’audiences précédentes ont montré que la police avait même changé son récit concernant le lieu où le crime était survenu et sur la manière dont la fillette avait été emmenée là-bas.
L’affirmation faite par les procureurs selon laquelle le suspect a traîné contre sa volonté l’enfant en sanglots à travers toute la ville, en pleine journée, sans être repéré et sans qu’on lui dise quoi que ce soit, a entraîné la perplexité des résidents de la municipalité ultra-orthodoxe où vit la victime présumée.
Comme dans la majorité des implantations, les Palestiniens n’ont pas le droit d’errer dans les rues à leur guise – alors escorter des enfants…
En plus de ces complications, il y a le témoignage apporté par l’enquêtrice spécialiste des affaires concernant des mineurs, qui s’est entretenue avec la victime et qui a conclu dans un avis juridique qui a été soumis aux magistrats que l’identification par la fillette de son violeur n’était pas fiable et qu’elle pouvait avoir été influencée par la famille.
De plus, l’enseignant – qui, selon les parents de la fillette, se trouvait avec la petite lorsqu’elle avait « spontanément » identifié son agresseur à l’école – n’a jamais été interrogé par la police avant l’émission de l’acte d’inculpation.
Malgré le nombre apparemment préoccupant de failles dans l’enquête – qui a été comparée, par un responsable judiciaire, à un « fromage suisse » – personne, au sein du commissariat local de l’implantation, n’a semblé estimer qu’il pouvait être nécessaire de s’intéresser aux manquements présents dans le dossier avant de prononcer, dimanche, l’inculpation de Qadusa.

Un regard inégalitaire
La conduite de la police dans ce dossier a mené certains à s’interroger et à se demander si une telle précipitation dans l’inculpation aurait eu lieu si le suspect avait été Juif.
« La différence dans les droits judiciaires entre Juifs et Arabes en Cisjordanie, c’est le jour et la nuit », estime Mordechai Kremnitzer, expert en droit pénal et constitutionnel au sein de l’Institut israélien de la démocratie.
Il affirme qu’en tant que non-citoyens, les Palestiniens ne disposent pas d’une « influence significative sur leur vie, placés sous la gouvernance d’une force étrangère ».
Et même pire, ajoute-t-il, la police et le système judiciaire sont amenés à considérer les Israéliens avec sympathie tout en assignant les Palestiniens à un statut « qui est davantage celui d’un rival, ou d’un ennemi ».
« Il est difficile de croire que cette réalité n’influence pas la manière dont les Palestiniens sont traités par le système judiciaire et par les forces de l’ordre… Je crois qu’il est possible de dire sans crainte que leur traitement n’est pas l’égal de celui que vivent les Israéliens », continue-t-il.
Et il ne s’agit pas seulement de la police. Des années de conflit impliquent que les Israéliens moyens peuvent avoir, eux aussi, intégré certains préjugés, ce qui facilite pour eux la croyance qu’un Palestinien serait en effet capable de commettre un crime aussi atroce – contrairement à leurs compatriotes juifs, poursuit-il.
Chacun de ces facteurs permet un scénario, selon Kremnitzer, dans lequel la police s’est hâtée d’inculper le suspect avant d’être contrainte à faire demi-tour et à faire savoir qu’elle rouvrirait l’enquête sur le viol présumé pour vérifier les soupçons contre Qadusa.
« Je n’avais jamais entendu parler de quelque chose de semblable après la soumission d’un acte d’inculpation. On est supposé vérifier les informations avant l’inculpation », a-t-il expliqué.

Deux systèmes judiciaires pour deux peuples
Peut-être même pire que les préjugés : le fait que les Palestiniens soient obligés d’affronter un système judiciaire qui leur est défavorable et qui limite toujours plus leurs droits, selon l’avocate Roni Pelli de l’Association pour les droits civils en Israël.
Tandis que les Palestiniens et les Israéliens, en Cisjordanie, pourraient se retrouver sous la compétence des mêmes forces de police, les Juifs israéliens sont presque toujours jugés au civil tandis que les Palestiniens sont poursuivis devant un tribunal militaire, dont les règles sont différentes.
Ces différences apparaissent tout de suite après une arrestation. La loi israélienne exige qu’un suspect soit présenté devant un juge moins de 24 heures après avoir été arrêté. Pour les Palestiniens placés sous la loi martiale en Cisjordanie, ce chiffre est multiplié par deux.
Durant cette première audience, les juges militaires peuvent ordonner qu’un suspect soit placé en détention durant 20 jours après la mise en accusation initiale – soit cinq jours de plus que ce que sont autorisés à réclamer les procureurs au civil.
Pelli explique que les procureurs militaires finissent presque toujours par demander à ce qu’un suspect reste derrière les barreaux jusqu’au terme de la procédure, une tactique qui n’est employée au civil que si le suspect peut potentiellement fuir ou poser un risque sécuritaire.
« Les procureurs militaires sont convaincus que les Palestiniens ne se représenteraient pas d’eux-mêmes devant le tribunal », affirme-t-elle.
Qadusa se trouvait en prison depuis plus d’un mois avant que le public n’ait entendu parler du dossier et que des questions puissent enfin être soulevées. Devant une cour civile, une telle situation serait presque impossible dans des affaires non-liées de manière claire à un acte terroriste.

Pelli clame également que la nature des procès militaires – qui, pour les Palestiniens, se déroulent dans une langue étrangère et devant un juge portant l’uniforme de l’armée – crée un déséquilibre supplémentaire en défaveur de l’accusé.
Le taux de condamnation des Palestiniens jugés devant des cours martiales, en 2017, s’élevait à 99,1 %, selon le Bureau central des statistiques. Pour les Israéliens qui ont comparu devant un tribunal civil, ce taux s’établissait, la même année, à 82,3 %.
Indifférence au mal
Pour le groupe Jewish Community Watch, une ONG qui lutte contre la pédophilie, l’enquête en cours a été à l’origine d’une frustration particulière.
Tandis qu’elle condamne la police pour avoir raté son enquête, la directrice de JCW, Shana Aaronson, blâme surtout le public israélien en général et ses représentants, les accusant de ne prêter attention aux violences faites aux femmes que si elles présentent un aspect nationaliste possible.
« La réalité, c’est que personne n’aurait entendu parlé ou ne se serait préoccupé de ce dossier [si le suspect avait été Juif], et c’est quelque chose qui en dit long sur la communauté et sur les politiciens de ce pays, qui ne s’inquiètent du viol d’un enfant que lorsque le violeur est Arabe », commente-t-elle, établissant par ailleurs clairement ne pas vouloir minimiser la gravité du dossier.
Selon des statistiques issues du bureau du procureur d’Etat, collectées par l’Association des centres de crise en charge du viol en Israël, la police s’est investie dans 821 dossiers pour viol présumé en 2017 et des milliers d’affaires de harcèlement ou d’agression sexuels – notamment à l’encontre de mineurs.
Peu de dossiers ont été ainsi mis en avant – sans même parler de leur impact dans le débat national – et une vaste majorité d’entre eux ont été clos, sans que le grand public n’y ait connaissance.
« Cela fait des années que nous tentons de faire en sorte que les autorités prennent enfin au sérieux le problème des viols de mineurs dans ce pays », déplore Aaronson, « et pourtant nos demandes tombent dans l’oreille d’un sourd et, trop souvent, se heurtent à une totale indifférence ».
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