Israël en guerre - Jour 424

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Une experte de la Shoah fustige les liens de Netanyahu avec Varsovie et Budapest

"N'ayez pas la chutzpah de dire qu'Israël est le chef de file dans la lutte contre l'antisémitisme", dit Deborah Lipstadt en critiquant vivement la realpolitik du Premier ministre

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Deborah Lipstadt, historienne basée à Atlanta, à Jérusalem, juillet 2019. (Raphael Ahren/Times of Israel)
Deborah Lipstadt, historienne basée à Atlanta, à Jérusalem, juillet 2019. (Raphael Ahren/Times of Israel)

Deborah Lipstadt, historienne juive de renom, est surtout connue pour son rôle dans la lutte contre la négation de la Shoah, ayant remporté un procès en diffamation contre David Irving, qui l’avait traduite en justice pour l’avoir qualifié de négationniste de la Shoah.

Mais lors d’une interview à Jérusalem, la chercheuse basée à Atlanta s’est concentrée sur une cible très différente : le gouvernement israélien.

Lipstadt, généralement une fervente partisane de l’Etat juif, a dénoncé la politique de rapprochement du Premier ministre Benjamin Netanyahu avec certains Etats d’Europe centrale qui, comme elle le dit, « blanchissent » leur rôle dans la destruction systématique du peuple juif pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Pour Israël, prétendre combattre l’antisémitisme puis embrasser chaleureusement les gouvernements nationalistes à Budapest, Varsovie et Vilnius est « hypocrite », a-t-elle dénoncé.

« Je veux comprendre comment vous pouvez avoir tout un ministère consacré à la lutte contre l’antisémitisme et le BDS [le mouvement anti-israélien de boycott, de désinvestissement et de sanctions], et un gouvernement dont la politique est de se montrer gentil avec le gouvernement polonais, qui essaie de réécrire l’histoire de la Shoah, et avec un gouvernement hongrois qui s’est lancé dans l’antisémitisme, a déclaré Lipstadt au Times of Israel, la semaine passée, dans son hôtel à Jérusalem.

« J’ai dit à ça, feh ! Je réponds à cela : Oui, je ne suis pas Premier ministre et je n’ai pas à faire de la realpolitik. D’après mes déclarations, la vie d’aucune personne ne sera menacée ou améliorée. J’ai cru comprendre que vous avez des calculs différents. Mais n’allez pas jouer avec les Polonais, les Hongrois et les Lituaniens, puis revendiquez pour vous-même d’être la principale adresse pour combattre l’antisémitisme dans ce monde. Ça ne marche pas. »

N’ayez pas l’audace, l’absolue ‘chutzpah’, de prétendre combattre l’antisémitisme

Dans une apparente tentative destinée à renforcer le soutien diplomatique à Israël au sein des Nations unies, de l’Union européenne et d’autres organismes internationaux, Netanyahu cherche depuis quelque temps à renforcer ses liens avec les pays d’Europe centrale, ignorant les politiques controversées des dirigeants des pays concernés à l’égard du souvenir de la Shoah.

« Vous couchez avec des gens qui ont pratiqué l’antisémitisme, qui ont réécrit l’histoire du rôle de leur pays dans la Shoah, qui blanchissent l’histoire de leur pays », a dit Lipstadt, professeur Dorot au Modern Jewish History and Holocaust Studies de la Emory University.

« Vous les élevez, vous leur donnez un tampon casher. Et les Juifs de ce pays sont sous le choc. »

Par exemple, Netanyahu s’est rendu à Budapest et a fait l’éloge du Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui a été critiqué pour avoir joué avec les stéréotypes antisémites et pour avoir glorifié le dirigeant de son pays pendant la guerre et allié nazi, Miklos Horthy.

Benjamin Netanyahu (à droite) et son homologue hongrois Viktor Orban durant une conférence de presse conjointe au bureau du Premier ministre de Jérusalem, le 19 juillet 2018. (Crédit : Marc Israel Sellem/POOL)

L’année dernière, Israël et la Pologne ont publié une déclaration commune dont les critiques soutiennent qu’elle a marginalisé le rôle des Polonais dans les atrocités commises contre les Juifs.

« Bien sûr, la première responsabilité du Premier ministre israélien est d’assurer la sécurité des citoyens israéliens. Mais dites-moi, embrasser Orban est-il vraiment crucial [pour la sécurité d’Israël] ? » demanda Lipstadt rhétoriquement.

Il est possible qu’Israël ferme les yeux sur les efforts de certains pays pour minimiser leur rôle dans l’extermination des Juifs par les nazis en vue de gains politiques réels, a-t-elle admis. Mais elle a ajouté : « N’ayez pas la chutzpah de dire qu’Israël est le leader dans la lutte contre l’antisémitisme. »

Au lieu de cela, l’universitaire née à New York, qui agrémente sa conversation avec des phrases en hébreu, a exhorté le gouvernement israélien à « adopter une position plus ferme » contre les efforts des pays d’Europe centrale pour blanchir leur bilan.

Varsovie admet que des Polonais ont été impliqués dans des crimes contre les Juifs, mais rejette résolument toute accusation de « complicité » dans les massacres nazis, une position que Lipstadt qualifie de « négationnisme softcore ».

L’historienne de 72 ans s’est particulièrement opposée à la déclaration commune du 27 juin 2018 que Netanyahu et son homologue polonais, Mateusz Morawiecki, avaient signée pour mettre fin à une dispute bilatérale entre les deux pays sur une loi polonaise controversée qui criminalisait toute accusation selon laquelle la Pologne était « responsable ou co-responsable des crimes commis par le troisième Reich ».

Elle déclarait que l’expression « camps de la mort polonais » est « manifestement erronée » et que le gouvernement polonais en exil en temps de guerre « tentait d’arrêter cette activité nazie en essayant de sensibiliser les alliés occidentaux au meurtre systématique des Juifs polonais ».

Participants à la Marche des vivants au camp d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne, alors qu’Israël célèbre la Journée annuelle de Yom HaShoah, le 1er mai 2019. (Yossi Zeliger/Flash90)

Le plus controversé est qu’elle condamnait « tous les cas de cruauté envers les Juifs perpétrés par les Polonais pendant… la Seconde Guerre mondiale », tout en soulignant « les actes héroïques des nombreux Polonais, notamment les Justes parmi les nations qui ont mis leur vie en péril pour sauver le peuple juif ».

Cette déclaration était une « fadikha majeure », a-t-elle dit, utilisant un terme d’argot hébreu pour désigner une erreur, ou une gêne/honte. « C’était une connerie. Lisez la déclaration de Yad Vashem à ce sujet. C’est la première fois que j’ai entendu parler de l’entrée de Yad Vashem dans l’arène politique. Yad Vashem dit souvent que ce n’est pas une arène politique. »

En effet, le musée de la Shoah et le centre de recherche sur la Shoah de Jérusalem à l’époque ont publié une rare déclaration dans laquelle il était dit que la déclaration commune polono-israélienne contenait « de graves erreurs et tromperies » ainsi qu’ « une formulation hautement problématique qui contredit les connaissances historiques existantes et acceptées dans ce domaine ».

Pour Netanyahu, le fait d’endosser cette déclaration « était une honte », a accusé Lipstadt. « C’était plus qu’un embarras – pour les gens qui étaient attaqués, les savants, les juifs et les non-juifs – c’était comme un coup de couteau dans le dos. »

Elle a souligné qu’elle n’exhortait pas Israël à rompre ses relations avec la Pologne, la Hongrie ou la Lituanie, ni à prendre d’autres mesures radicales. Mais « vous n’avez pas à les couvrir sur cette question », a-t-elle dit, faisant référence à l’approche de ces pays à l’égard de la Shoah.

Néanmoins, Lipstadt a félicité Israël pour avoir refusé d’établir des liens avec les partis d’extrême droite d’Autriche et d’Allemagne – le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) et l’Alternative pour l’Allemagne, respectivement.

« Je pense que c’est une chose très positive », a-t-elle dit.

Les deux partis sont accusés de ne pas en faire assez pour se débarrasser des antisémites dans leurs rangs.

(De gauche à droite) Johann Gudenus, chef du groupe parlementaire du Parti de la liberté autrichien (FPO), Yehuda Glick (Likud) et Karin Kneissl, ministre autrichienne des Affaires étrangères, s’entretiennent avec la presse le 13 février 2018 à Vienne , L’Autriche. (Crédit : AFP / APA / HERBERT PFARRHOFER / Autriche OUT)

Soit dit en passant, le cousin de Lipstadt, Yehudah Glick, ancien membre du Likud et député, a poussé Israël à établir des relations avec le Parti de la liberté quand il était législateur, faisant valoir que ses dirigeants avaient désavoué l’antisémitisme et que l’État juif en proie à des troubles avait besoin de tous ses alliés possibles.

Lipstadt, qui a publié plus tôt cette année son dernier livre, Antisemitism : Here and Now a également critiqué la réaction du gouvernement israélien à une attaque meurtrière contre des Juifs aux États-Unis l’année dernière.

Après le massacre de la synagogue Tree of Life à Pittsburgh en octobre 2018, perpétré par un antisémite suprémaciste blanc, Netanyahu a félicité le président américain Donald Trump pour avoir « condamné sans équivoque ce crime odieux et s’être engagé à combattre ceux qui veulent détruire le peuple juif ».

Israël est le seul pays étranger à avoir envoyé son ambassadeur, Ron Dermer, sur les lieux de l’attaque en même temps que Trump, ce qui contredit les sentiments de nombreux Juifs américains, qui critiquent le président, selon Lipstadt.

Jared Kushner (g) salue le rabbin de la synagogue Tree of Life, Jeffrey Myers (d), le 30 octobre 2018. Ivanka Trump se tient aux côté de l’envoyé israélien aux États-Unis, Ron Dermer. (Crédit : AP/Andrew Harnik)

Lipstadt, Démocrate, accuse Trump de ne pas condamner avec assez de force les tenants de la suprématie blanche et les néo-nazis, surtout après  la marche « Unite the Right » à Charlottesville en 2017. Elle ne prétend pas qu’Israël doit critiquer ouvertement le président américain, « mais se pointer et lui faire des éloges et des courbettes – je pense que c’était déplacé », a-t-elle expliqué.

« C’était entièrement politique. Que faisiez-vous là-bas, alors que vous offrez en même temps une couverture aux Polonais ? Que faisiez-vous là-bas en même temps que vous couvriez Orban et le déclariez leader dans la lutte contre l’antisémitisme ? Que faisiez-vous là-bas lorsque vous couvriez les Lituaniens ? », a-t-elle dit. « Je suis désolé, mais c’est hypocrite. »

Lipstadt est venue en Israël la semaine dernière pour prononcer un discours lors de la cérémonie de remise des prix annuelle du B’nai B’rith World Center pour le journalisme de diaspora. Son discours s’intitulait « Vieux vin dans de nouvelles bouteilles : l’antisémitisme dans le monde contemporain ».

S’adressant au Times of Israel avant l’événement, Lipstadt a déclaré que les « principes d’organisation » du mouvement BDS et sa tentative de « toxification d’Israël » étaient antisémites, soulignant que ceux qui soutiennent le boycott d’Israël pour des raisons politiques ne sont pas tous des haïsseurs de Juifs.

« Beaucoup de personnes qui adhèrent au BDS ne sont pas nécessairement antisémites, mais y voient un moyen très fructueux d’amener Israël à changer une politique inhumaine contraire aux droits de l’homme », a-t-elle postulé. « Je ne pense pas que ce soit le cas ; cela ne fonctionne pas. Je ne pense pas que le boycott devrait être la solution ».

Cependant, qualifier tous les partisans du BDS d’antisémites est « non seulement incorrect, mais aussi stratégiquement stupide », a-t-elle déclaré. « Peut-être qu’ils sont juste idiots ou naïfs. »

Illustration : Mouvement BDS en France. (CC BY-SA, Odemirense, Wikimedia commons)

La résolution du Parlement allemand contre le BDS du 17 mai, qui dénonçait les méthodes du mouvement de boycott comme étant antisémites, était contre-productif en ce sens qu’elle « a fait monter la mise du BDS et lui a donné un statut d’honneur », selon Lipstadt.

Bien que la simple critique des politiques israéliennes ne soit pas nécessairement antisémite, une personne ayant un point de vue unique qui n’accuse qu’Israël pour tous les problèmes de la région l’est probablement, a-t-elle expliqué.

Lipstadt a également critiqué modérément le fait qu’Israël ait un ministère entier – le ministère des Affaires stratégiques de Gilad Erdan – dédié à la lutte contre le BDS, car cela pourrait donner au mouvement autrement marginal plus d’importance qu’il ne mérite réellement.

On pourrait en dire autant d’elle et de son livre sur les négationnistes de la Shoah, a-t-elle reconnu, notant qu’elle n’a fait des recherches sur le sujet que lorsque des historiens de haut rang en Israël l’y ont incitée, et que la question est devenue publique seulement après avoir été attaquée par Irving, le négationniste britannique de la Shoah.

« À un certain niveau, il y a un temps pour parler, et il y a un temps pour se taire », a-t-elle dit. « Et il y a un temps pour parler tranquillement. »

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