Une nouvelle anthologie de films retrace l’évolution des relations arabo-juives
"The Voice of Ahmad", le troisième court-métrage de la trilogie du réalisateur Renen Schorr, propose sept instantanés de vie commune en Israël, de façons concrète et abstraite
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Impossible de ne pas être frappé par le caractère poignant et la pertinence de « The Voice of Ahmad » [La Voix d’Ahmad], une anthologie de sept courts-métrages sur des Arabes travaillant en Israël, axée autour du premier de la collection, « I Am Ahmad » [Je suis Ahmad], datant de 1966.
Le film original, du réalisateur Ram Loevy, fut la première œuvre cinématographique à se pencher sur l’existence compliquée des Arabes en Israël. Utilisant le noir et blanc, il aborde la vie d’Ahmad, un ouvrier arabe de Tel Aviv, qui se met en quête d’un travail et d’un logement et songe au manque d’opportunités qui l’ont poussé à quitter son village pour la ville.
À l’époque, le film avait donné lieu à une vaste controverse et fut perçu par certains comme « un coup de poignard dans le dos de la nation », relate Ram Loevy dans « I Am Ram Loevy », un court-métrage sur lui et par lui qui relève également de l’anthologie.
Cette dernière a été rassemblée par Renen Schorr, l’ancien président et fondateur de l’école de cinéma et de télévision Sam Spiegel, et la réalisatrice Ayelet Menahemi. Le projet leur aura pris trois années entières.
L’anthologie d’une durée totale de 85 minutes est la troisième de la trilogie de films israéliens de Renen Schorr — les deux premières étaient « Footsteps in Jerusalem » et « Voiceover » — et avec l’ajout de « The Voice of Ahmad », le projet complet marque le 30e anniversaire de l’école.
Les sept courts-métrages qui la composent vont du concret à l’abstrait, explique Ayelet Menahemi. « Nous avons dû faire un travail de curation, tout en planifiant le travail de création pour que l’œuvre soit bien coordonnée et la plus complète possible ».

« Certains films font davantage figure de vrai documentaire et sont très communicatifs, tandis que d’autres ont un côté plus poétique. Les gens y réagissent de façon très différente », ajoute-t-elle.
L’anthologie, en hébreu et arabe accompagnée de sous-titres en anglais et en hébreu, aborde les relations arabo-juives en Israël sous de nouveaux angles, forçant les spectateurs à s’interroger sur certains aspects de la vie dans le pays.
Les trois premiers films de l’œuvre sont liés à l’histoire vraie d’Ahmad, ou Ahmad Yusuf Maswara pour être précis.
« I Am Ahmad » est ainsi suivi de « I Used to be Zvi » [J’étais Zvi] de David Ofek et Ayelet Bechar, qui étudie le passé d’Ahmad. Le film donne un bref et fascinant aperçu d’une expérience menée dans les années 50 au Kibboutz Yakum, à laquelle Ahmad pris part adolescent. En 1953, âgé de 14 ans, Ahmad a été conduit au kibboutz pour y vivre et y étudier. Il apprit alors l’hébreu et fut impliqué dans le travail et la communauté du kibboutz, un projet qui dura environ une dizaine d’années et qui concerna près de 1 000 adolescents arabes.
Quelques années plus tard, Ahmad tenta de trouver du soutien pour fonder des kibboutz pour les Arabes et fut surpris et consterné de n’en recevoir que très peu.
Le troisième film, « Sky of Concrete » [Ciel de béton] réalisé par Shadi Habib Allah, suit Ahmad aujourd’hui se souvenant d’un ami mort dans un accident de chantier et se rendant dans un chantier pour discuter et écouter des ouvriers arabes. En équilibre sur des poutres en hauteur de la tour d’habitation qu’ils construisent, buvant du café turc et déjeunant, les ouvriers lui confient leurs rêves envolés, leurs peurs au travail et leurs espoirs pour leurs enfants.

« I Am Ram Loevy », quatrième court de la série, suit le metteur en scène Ram Loevy réaliser un film en collaboration avec des pairs arabes et juifs à Jaffa.
« C’était quelque chose qui a cimenté le tout », explique Ayelet Menahemi. « Chaque film doit être lié au suivant, cela doit avoir du sens ».
Les trois derniers films penchent vers le surréalisme, mais ont toujours un lien fort avec le thème d’ensemble, à savoir que les choses ont peu changé depuis la réalisation du « I Am Ahmad » original.

Le court-métrage de Noam Kaplan « I Am Humus » suit l’intéressé tentant de faire du houmous maison, dont les Juifs et les Arabes raffolent, et le partager avec ses voisins arabes de son quartier délabré de Tel Aviv.
L’abstrait mais intelligent « I Am Ecclesiastes » de Dan Geva puise dans les visions fantasmagoriques du prophète de l’époque biblique pour s’intéresser à la vie dans la Tel Aviv actuelle, s’inspirant de ce qu’Ahmad y avait vu dans les années 60 et de ce qu’on peut y observer aujourd’hui.
Enfin, « The Helsinki Accord » de Mamdooh Afedela et Iddo Soskolne, des diplômés de l’école Sam Spiegel, l’un arabe, l’autre juif, qui vivent tous les deux en Finlande en raison de leurs conjoints. Pendant sept minutes, on peut ainsi les voir plaisanter de la façon dont résoudre le conflit israélo-arabe tout en se baignant dans des fjords et suer à grosses gouttes dans un sauna.
« Si l’anthologie s’était finie sur un autre film, cela l’aurait rendue complètement différente », estime Ayelet Menahemi.
« The Voice of Ahmad » est visible dans les cinémathèques israéliennes et sera présenté au Moma de New York en avril prochain dans le cadre de la trilogie de Schorr.