Une nuit du Ramadan dans la ville d’Umm al-Fahm
La visite guidée d'une ville arabe israélienne, au nord du pays, permet de découvrir de nouvelles saveurs culinaires, culturelles... et le goût de la coexistence

Il est minuit passé et un joyeux brouhaha règne à Umm al-Fahm. Les enfants détalent dans les ruelles venteuses et étroites alors que leurs parents dévalisent les boutiques prises d’assaut. Et c’est là qu’un groupe – sidéré – d’environ 50 visiteurs hébréophones sont accueillis par des klaxons amicaux et aux cris réjouis de « Salam Aleikum » de la part des habitants de la ville – au moment où les familles festoient pour marquer la fin d’une nouvelle journée (particulièrement chaude) du jeûne du Ramadan, qui dure un mois.
« Au cours du Ramadan, les journées se transforment en nuits et les nuits se transforment en journées », s’amuse Shireen Mahajna, habitante d’Umm al-Fahm et guide de cette visite organisée appelée les Nuits du Ramadan.
Mahajna et son associé Udi Volichman formeront un couple déconcertant tout au long des errances du groupe dans les rues de cette ville arabe israélienne. Lui, cinquantenaire, de grande taille, est un Juif laïc et elle, petite, la tête recouverte d’un voile, est une musulmane de 38 ans. Tous les deux font office de guides, au moins trois visites hebdomadaires d’immersion dans la ville chaque année, pour une organisation qui porte le nom de « Sikkuy: L’Association pour l’Avancée de l’Egalité civile en Israël ».
Cette organisation a été fondée en 1991 pour promouvoir davantage d’interactions entre les populations juives et arabes israéliennes et pour prôner l’égalité des droits et des opportunités. Les graines de l’initiative de « tourisme régional partagé » – qui visait initialement à faire venir les touristes juifs dans les quartiers arabes des villes –
ont été semées en 2006 et à Umm al-Fahm. Cette initiative a été financée par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) en 2012.

Cette idée de visite des « Nuits du Ramadan » a commencé comme une « idée folle » visant à changer l’image de la région de Wadi Ara – habituellement envisagée à travers les gros titres comme étant une poudrière de fondamentalisme islamique et de troubles – en invitant les groupes touristiques juifs.
« Les habitants ont ri et ils ont dit : ‘Quoi ? Là où les Juifs ne viendraient pas le jour, ils viendraient pendant la nuit ?' », explique Mahajna.
Et il s’est avéré que cela a été le cas : Trois groupes avaient été prévus. Ils ont finalement été sept.
Au cours des dix dernières années, des milliers de Juifs israéliens ont depuis visité des villes arabes lors des circuits touristiques organisés pendant les fêtes annuelles des nuits du Ramadan. Selon Volichman, un habitant de la ville voisine de Katzir qui a organisé des visites au cours des cinq dernières années, le groupe de jeudi soir est représentatif de ce mélange d’individus curieux de découvrir les coulisses du mois sacré musulman.
Dans ce groupe hétéroclite, des activistes étrangers âgés d’une vingtaine d’années mais aussi des retraités israéliens, même si la majorité des participants ont entre 40 et 50 ans. Tous reconnaissent se situer plutôt à gauche de l’échiquier politique. D’une certaine façon, comme le dit un visiteur, la guide délivre son prêche devant le choeur, avec un choeur de toute évidence ravi de ce qu’il est en train d’écouter.
Le point commun entre les participants est le désir d’apprendre à connaître la ville et sa population en allant au-delà des gros titres : Umm al-Fahm est la ville natale de Raed Salah, le chef de la branche nord du mouvement islamique en Israël – dorénavant illégal – et une partie significative de ses habitants ont soit commis des actes terroristes, soit tenté de rejoindre le groupe de l’Etat islamique. Pour certains de ces Israéliens, leur présence ici est un moyen de dépasser les préjugés – et même un léger sentiment d’appréhension.

« Cela fait quarante ans que j’habite à côté et je n’étais jamais venue », explique une sexagénaire. « Je suis sûre que je reviendrai ».
La visite a commencé dans une mosquée locale, où les participants ont ôté leurs chaussures et se sont assis, les jambes croisées, sur le tapis beige. Mahajna, qui s’exprime couramment en hébreu avec une voix tonitruante qui contraste avec sa carrure légère, explique rapidement les cinq piliers de l’Islam, se concentrant sur le Ramadan et sur les traditions variées associées à la pratique de cette fête qui dure un mois entier.
A partir de là, la visite prend des airs de montagnes russes à travers les brusques virages de la ville, s’arrêtant enfin dans une rue où est installé un marché. Là, les visiteurs vont apprendre quels sont les produits alimentaires traditionnels consommés lors de la rupture du jeûne nocturne et lors du repas du matin, qui sera pris avant l’aube.

De retour dans les mini-bus – les bus taille standard sont bien trop larges pour les ruelles très étroites de la plus vieille section de la ville, dont l’édification remonte à 800 ans – la visite permet de découvrir un étonnant poste de guet où tout un chacun peut « dire adieu au soleil », comme l’explique Mahajna avant de manger une datte et de boire un verre d’eau après son jeûne de la journée.
Rassemblé dans une cour aux abords d’une toute nouvelle mosquée en verre colorée – l’une des 35 de la ville – le groupe a l’occasion d’en apprendre davantage sur les objectifs de Sikkuy alors que quelques hommes, qui vont faire la prière, murmurent des paroles de bienvenue.
« Pourquoi les gens ne connaissent-ils pas davantage de choses sur cette initiative ? » s’interroge une résidente de Tel Aviv, la cinquantaine, pendant le dîner à notre arrêt suivant, alors que Volichman informe les participants sur les programmes de coexistence mis en place dans la zone avec notamment une école juive et arabe florissante ouverte dans la ville arabe de Kfar Kara appelée ‘de l’autre côté de l’Oued’, qui a été distinguée cette année par un prix remis par le ministère de l’Education. « Pourquoi n’entendons-nous pas parler de tels programmes de partenariats dans les médias ? » demande-t-elle encore tandis qu’une équipe de télévision filme la scène.

La nourriture, préparée et servie au domicile de Muhammed et de Manal Karaman, a été consciencieusement assemblée avec un menu à prédominance végétalienne – outre quelques morceaux de viande kebab placés sur chaque table. Depuis le riz traditionnel maqluba aux feuilles de vigne farcies et à une soupe de lentille légère et orangée, les plats sont satisfaisants tout en restant légers (après avoir rapidement vidé leurs rations, la vingtaine de membres de l’Israël Project s’est généreusement resservi en Kebab et en riz auprès des tables des participants moins voraces).
« Léger » n’est toutefois pas le mot qui permet de décrire le dessert du Ramadan, constitué d’amandes écrasées dans une sorte de beignet au beurre. Un paradis jusqu’à l’écoeurement toutefois.

Après un autre voyage sur les collines du parc d’attraction d’Umm al-Fahm, dans les vallées avec ses virages en épingle à cheveux, le groupe a repris d’assaut les rues de la ville pour pouvoir ressentir cette vibration festive unique du Ramadan.
Le coeur de cette visite tourbillonnante est l’énergie dégagée par Mahajna, semblable à celle d’un réacteur nucléaire. Etudiante en doctorat en archéologie, son parcours ne représente guère celui des conservateurs de sa ville. Mais grâce à un sourire charmant et à une détermination en acier, sa ville l’a adoptée avec bonheur – la preuve en est la multitude d’individus qu’elle est amenée à saluer – et elle a le désir de rester là avec son mari Jordanien, récemment « importé ».
Expliquant sans en avoir l’air les coutumes et l’histoire locales, notamment un chapitre mentionnant le long passage au poste de maire d’Umm al-Fahm de Salah, le charisme de Mahajna n’a pas d’équivalent pour aider à changer l’image de sa ville, au-delà encore de l’impact même de cette visite dans les rues venteuses.

« Je suis venu deux fois à Umm al-Fahm pour affaires et ce soir, j’ai découvert des choses que je n’avais jamais vues », s’exclame un « voisin » juif.
Une jeune femme, ravie par les derniers moments de la visite – ou par la dose de sucre consommée à la boulangerie locale – implore tout le monde de « donner toutes les informations au sujet de cette initiative. Et un ami le dira à un ami. Tout le monde doit être au courant ».
Un participant habitant Jérusalem, tout aussi enthousiaste, déclare : « je veux inviter tous les habitants d’Umm al-Fahm à mon domicile pour le dîner du vendredi soir ».
Mais dans le silence qui a suivi les éclats de rire du groupe, aucune invitation officielle n’a toutefois été confirmée.
L’auteur de ce reportage était invitée par l’organisation « Sikkuy: L’Association pour l’avancée de l’égalité civique en Israël ».
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