Une pétition “sans précédent” force la Cour suprême à juger sa propre conduite
La tentative de forcer les juges à assister à un évènement célébrant les implantations menace d’aggraver le fossé entre les pouvoirs législatif et exécutif de l’Etat
Une longue bataille entre ce qui a été décrit par certains comme le gouvernement le plus à droite d’Israël et ce qui est perçu par d’autres comme une Cour suprême catégoriquement libérale a connu son paroxysme mercredi avec une pétition sans précédent contre ces deux entités. Sans surprise, la Cour a jugé en sa faveur, malgré les protestations du gouvernement, mettant fin à une lutte juridique particulière, mais le conflit fondamental est plus intense que jamais.
Sur le papier, la pétition semblait bancale, peut-être même mesquine. Elle appelait la Haute cour de Justice et la Cour suprême à décider si un évènement particulier devait être classifié comme une cérémonie publique officielle ou pas, et par conséquent déterminer si les représentants de l’Etat devaient obligatoirement y assister.
Mais la pétition, portée par l’association pro-implantation Regavim contre le gouvernement, le Premier ministre et deux autres ministres ainsi que leurs ministères, la Cour suprême, sa présidente et enfin « la branche judiciaire », était tout sauf triviale.
Et l’évènement en question, une cérémonie organisée mercredi soir pour commémorer les 50 ans d’implantations israéliennes en Cisjordanie et sur le plateau du Golan financée à hauteur de 10 millions de shekels par les ministères de la Culture et de l’Education, s’est transformée en paratonnerre politique.
La plupart de la communauté internationale considèrent que les implantations de Cisjordanie sont illégales et fait régulièrement pression sur Israël pour qu’il cesse les constructions à l’est de la Ligne verte. Les Palestiniens affirment que l’entreprise d’implantations est l’un des obstacles majeurs à la conclusion d’un accord de paix.
La plupart des implantations sont légales aux yeux de la loi israélienne, même si Israël n’a jamais appliqué sa souveraineté en Cisjordanie, et de nombreux Israéliens considèrent que la région revient de droit historique et biblique à l’Etat juif.
Après deux jours d’aller-retour politique, la cour a annoncé mercredi soir, moins d’une heure avant le début de la cérémonie, que la pétition, dont elle et sa présidente étaient deux des cibles, avait été rejetée.

La pétition était essentiellement une tentative destinée à forcer la présidente de la Cour, Miriam Naor, à annuler une décision de boycotter l’évènement et de l’obliger à envoyer l’un des juges de la Cour à la cérémonie.
La pétition affirmait que « la participation de responsables des trois branches du gouvernement aux cérémonies publiques officielles fait tout autant partie du ‘protocole constitutionnel’ accepté qu’il est contraignant. » Si l’évènement est une cérémonie publique officielle, ce qui était le cas de celle de mercredi soir, le système judiciaire devait y avoir au moins un représentant, ont affirmé les demandeurs.
Naor a annoncé mardi qu’elle annulait la participation du juge Neal Hendel à la cérémonie, disant qu’il serait « inapproprié » qu’il y assiste. Sa décision, venue répondre à une demande du député du Meretz Issawi Freij, a été immédiatement critiquée par des députés de droite, des ministres l’accusant de parti-pris politique, de sectarisme, et même d’anti-sionisme.
Et même si la pétition avait été portée contre la Cour et contre le gouvernement, les réponses des deux institutions ont mis en évidence, et peut-être même aggravé, le fossé entre les deux organes, sur la hiérarchie entre eux, et sur la possibilité que la Cour puisse être forcée, dans certains cas, à suivre la ligne idéologique du gouvernement.
Dans sa réponse de mercredi, quelques heures avant la cérémonie, Naor a persisté dans sa décision, affirmant que le système judiciaire ne devait pas être impliqué dans des événements politiques « controversés », et qu’il serait inapproprié que l’un des juges assiste à une cérémonie « dédiée à une partie. » Elle a ajouté que forcer un juge de la Cour suprême à assister à l’évènement violerait les règles d’éthique de la Cour.
Mais plutôt que de défendre son co-accusé, le gouvernement a pris parti pour les demandeurs, soutenant que parce que l’évènement était une cérémonie publique officielle, il ne devait pas être considéré comme politique.

Selon le procureur général Avichai Mandelblit, qui a répondu au nom du Premier ministre Benjamin Netanyahu, du gouvernement et des ministères, l’évènement avait une « importance particulière » et « il est approprié qu’un représentant de la Cour suprême y assiste. »
La décision finale a, sans surprise, favorisé la position de Naor, et estimé que la Cour ne devait pas envoyer de représentants à la cérémonie.
Barak Medina, professeur de droit constitutionnel à l’université hébraïque de Jérusalem, a indiqué que la motion présentée à la Cour était une situation embarrassante, pas parce qu’elle devait juger contre le gouvernement, mais parce que si elle ne le faisait pas, elle aurait jugé contre elle-même.
« Il n’y a pas de réel précédent à cela dans l’histoire judiciaire israélienne », a-t-il dit, soulignant que même si des pétitions ont déjà été présentées contre la Cour, elles portaient toujours sur des questions de procédure concernant d’autres affaires, et n’ont jamais demandé à ce qu’elle juge sur son propre comportement en dehors de la salle d’audience.
« Au final, la pétition n’aura aucun effet pratique sur la relation entre le gouvernement et la cour, a dit Medina, mais le symbolisme est immanquable. »
L’impasse s’est présentée après plusieurs jugements de la Cour suprême qui ont défait des législations adoptées par la Knesset, notamment le projet de loi révisé par le Parlement sur l’enrôlement au sein de l’armée israélienne des ultra-orthodoxes, ses politiques sur la détention des migrants africains, son budget de deux ans, un projet du ministère des Finances sur la taxation du troisième bien immobilier, et la révocation du statut de résidence permanente de quatre parlementaires palestiniens de Jérusalem Est liés au Hamas il y a dix ans.
Parallèlement, la Cour a fait face à des tentatives de la droite, et notamment de la ministre de la Justice Ayelet Shaked (HaBayit HaYehudi), de maîtriser ses pouvoirs et de changer le processus de nomination des juges pour intégrer plus de magistrats ayant des opinions conservatrices.
La semaine dernière, Shaked et Naftali Bennett, le président du parti HaBayit HaYehudi, ont proposé un projet de loi pour « restaurer l’équilibre » entre les pouvoirs législatif et judiciaire et contourner les décisions de la Haute cour de Justice si elles annulaient une législation de la Knesset.

La Cour suprême a fréquemment irrité les politiciens de droite avec son ethos interventionniste, mis en place par Aharon Barak, président de la Cour entre 1995 et 2006. Barak avait étendu les domaines de compétence de la Cour, estimant que le besoin de protéger les droits des individus contre d’autres branches judiciaires et de surveiller le gouvernement était crucial.
Les partisans de la Cour affirment que ses pouvoirs se sont développés pour remplir le vide laissé par une Knesset notoirement incapable de trancher des questions vitales de droit et de société, et qui évite régulièrement de se prononcer sur les sujets de liberté religieuse, de droits civiques et de droits des Palestiniens.
La décision rendue mercredi par la Cour va probablement déclencher d’autres appels à limiter son pouvoir.
Un porte-parole du ministère de la Justice, qui a présenté la réponse de l’Etat mercredi, a déclaré que la pétition portait un conflit d’intérêts pour la Cour. « Ils jugent sur eux-mêmes », a-t-il dit.
Il a ensuite cependant reconnu qu’il n’existait aucun autre mécanisme pour répondre à la pétition. « Ils sont la Cour. Ils décident », a-t-il déclaré, avant d’ajouter « pour l’instant. »
Jacob Magid a contribué à cet article.
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