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Reportage

Une synagogue russe reconstruite 80 ans après la Nuit de Cristal

Une petite communauté d'environ 3 000 personnes est déterminée à redonner une vie juive à Kaliningrad

Environ 1000 invités lors de l'inauguration de la Nouvelle synagogue de Koenigsberg à  Kaliningrad, en Russie, le 8 novembre 2018 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Environ 1000 invités lors de l'inauguration de la Nouvelle synagogue de Koenigsberg à Kaliningrad, en Russie, le 8 novembre 2018 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

KALININGRAD, Russie (JTA) — Sur le trajet de l’école, Michael Wieck passe devant l’un des lieux de culte juif les plus imposants d’Europe : la nouvelle synagogue de Koenigsberg.

Cette synagogue de style ésopien, a été construite en 1896 dans la ville portuaire prospère de Kaliningrad. Ses deux énormes clochers ont été éclipsés par le dôme de la synagogue, encore plus imposant.

« Cette synagogue n’a jamais été vide », raconte Wieck, un nonagénaire survivant de la Shoah, dans une interview téléphonique accordée au JTA, depuis son domicile de Berlin. « C’était une communauté juive très diversifiée. Nous avions une belle vie. »

En effet, la Nouvelle Synagogue symbolisait la belle vie, l’intégration et la sécurité des juifs de Koenisgsberg, que les Russes ont capturée aux Allemands en 1945.

C’est pourquoi la destruction et l’incendie de la synagogue par les nazis lors des progroms de la Nuit de Cristal, qui ont commencé le 9 novembre 1938, ont particulièrement choqué Wieck et les milliers de juifs qui vivaient dans la ville.

« Nous avons vu les ruines de notre synagogue historique chaque jour, comme un mémorial silencieux, accusateur, un mémorial de la souffrance », avait écrit Wieck en 2003, dans son autobiographie.

80 ans après la flambée de violences contre les juifs et leurs institutions, dans une Europe alors contrôlée par les nazis, une autre communauté juive est sur le point d’ouvrir une réplique exacte de l’édifice, au service des fidèles juifs. La restauration vise à asseoir la présence juive et son retour dans un endroit longtemps associé à la destruction.

« C’est la seule synagogue de Russie qui a été détruite pendant la Nuit de Cristal », a déclaré le rabbin Alexander Boroda, président de la fédération des communautés juives de Russie, affiliée au mouvement Habad. « Sa reconstruction à l’identique est très symbolique, parce que nous la reconstruisons exactement telle qu’elle était. Nous ne lui redonnons pas simplement sa gloire : nous l’augmentons ».

Jeudi, des centaines de locaux se sont réunis aux abords de la synagogue pour regarder sur un écran géant le rabbin Berel Lazar, l’un des deux grands rabbins de Russie, souffler dans le shofar devant environ 1 000 invités lors de la cérémonie de re-consécration. Des diplomates et des responsables du gouvernement se sont joints aux fidèles dans le sanctuaire.

Le rabbin Berel Lazar fixe une mezouza sur la porte de la Nouvelle synagogue de Kaliningrad, le 8 novembre 2018 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

Il y avait dans le passé trois synagogues à Koenigsberg, ancienne capitale de l’Etat allemand en Prusse orientale.

Prise en étau entre la Pologne et la Lituanie, l’enclave prussienne accueillait une population germanophone et une communauté juive très différente de celles dont la langue maternelle était le yiddish qui vivaient autour de la Prusse dans des hameaux ruraux pauvres – les shtetls.

Comme les juifs de Berlin et de Munich, la communauté de Koenigsberg était très éduquée, libérale et assimilée.

Elle se sentait tellement chez elle que l’éruption de violence lors de la Nuit de Cristal – cinq ans après l’accession au pouvoir des nazis – « nous a pris complètement par surprise », raconte Wieck.

La Nuit de Cristal fut une campagne de terreur orchestrée par les nazis suite à l’assassinat à Paris d’un diplomate allemand, Ernst vom Rath, tué par un jeune juif, Herschel Grynszpan.

Presque 180 personnes étaient mortes et des milliers d’autres avaient été blessées lors des représailles anti-juives survenues en Autriche et en Allemagne au cours des pogroms. De nombreux spécialistes estiment que la Nuit de Cristal a été un tournant décisif dans l’histoire de la Shoah dans la mesure où elle a marqué la toute première vague de violences d’ampleur – dirigée par les nazis – contre les juifs.

Wieck se souvient que le jour qui a suivi le premier pogrom de la Nuit de Cristal, ses parents étaient « à la fois bouleversés et inquiets ».

« Ils ne m’ont pas permis d’aller à l’école ce jour-là et ils m’ont dit que la synagogue – et elle était aussi notre école – avait été incendiée », dit-il.

Quelques années plus tard, note-t-il, Koenigsberg était réduite en cendres brûlantes par les Soviétiques et par les bombardements alliés.

« Certains pouvaient considérer ça comme le jugement divin », dit Wieck. « Ce n’était pas mon cas. Ce qui est arrivé nous a punis nous et d’autres de la même manière – et souvent plus durement que ceux qui étaient réellement coupables ».

Wieck explique « ne pas avoir de mots » pour qualifier ses sentiments lors de l’inauguration de la nouvelle synagogue.

« Il y a eu de trop nombreuses émotions, avec trop de nuances », dit-il, la voix tremblante.

Nehama Drober, autre survivante aujourd’hui nonagénaire qui a vécu la Nuit de Cristal à Koenigsberg, est venue tout spécialement pour la re-consécration du lieu de culte depuis Israël, où elle vit depuis 1991.

« C’est comme boucler une boucle, une mesure de compensation », commente Drober, quatre fois arrière-grand-mère, qui a perdu ses deux parents pendant la Shoah. « De plus, il fallait qu’il y ait une synagogue dans cette ville. Les juifs doivent avoir un endroit où prier, et ici très précisément ».

La restauration a coûté des millions de dollars qui ont été largement versés par un philanthrope local, Vladimir (Dan) Katsman, à la tête d’un conglomérat alimentaire. Elle a exigé une ingénierie massive et des opérations de restauration qui ont compris la coulée, le transport et l’installation complexe d’un dôme en métal de 23 tonnes au début de l’année.

Le bâtiment en est aux derniers stades de sa construction. Il y a encore des des fils et des tuyaux à nus qui apparaissent sur les murs, et le jardin est encore essentiellement un chantier. Même la façade impressionnante présente des tuiles manquantes. Le toit de tuiles à moitié construit, au-dessus de l’entrée, montre que les délais n’ont pas été respectés et que le bâtiment a été ouvert à la hâte pour célébrer cet anniversaire historique.

Et pourtant, à la veille de son inauguration, le vitrail de la base octogonale du dôme imposant de la synagogue domine d’ores et déjà les quais de la promenade du fleuve Pregolya, avec ses pittoresques ponts en bois enjambant l’eau et qui, en automne, sont couverts de feuilles mortes jaunes et oranges.

Mais la nouvelle construction est plus qu’un monument, explique Boroda. Kaliningrad, l’une des quelques villes soviétiques où les juifs étaient admis sans problème au sein de l’université, est devenu un pôle juif où plus de
3 000 membres de la communauté vivent aujourd’hui – approximativement le même nombre qu’en Lituanie et en Pologne, ajoute Boroda. Des offices et des activités sont organisés dans une structure temporaire, ce qui fait de la synagogue la première institution en son genre à avoir ouvert dans la municipalité depuis des décennies.

Alors que la synagogue originale était un simple lieu de culte agrémenté d’une salle de classe, la nouvelle est à la fois une synagogue et un centre communautaire juif avec des salles d’activités, des ordinateurs mis à disposition et un auditorium qui peut accueillir des centaines de personnes.

« C’est plus qu’une restauration, c’est une résurrection », dit Boroda, utilisant le mot de nombreux émissaires Habad pour décrire la croissance des infrastructures de la communauté juive sous Vladimir Poutine, le président russe.

Poutine est accusé par ses critiques d’adopter des lois et une rhétorique homophobes et xénophobes pour promouvoir son agenda populiste afin de rendre à la Russie son statut de superpuissance sur la scène mondiale, avec des références à son passé tsariste et communiste. Il a transformé la Russie en ce qui ressemble dorénavant, selon de nombreuses personnes, à un Etat policier.

Malgré cela, Poutine a toujours poursuivi son engagement à réduire l’antisémitisme.

Sous son autorité, l’Etat a donné des millions de dollars de financement à des institutions juives. Les leaders régionaux ont rendu – majoritairement au mouvement Habad – des dizaines de biens qui avaient été saisis aux juifs sous le communisme, et notamment le terrain pour la synagogue de Koenigsberg.

Nehama Drober, 91 ans, assise, sur la gauche, attend de pouvoir entrer dans la synagogue restaurée de Kaliningrad, le 8 novembre 2018 (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

Lazar, grand rabbin affilié au mouvement Habad, qualifie la période « d’âge d’or » pour les juifs russes qui « n’ont jamais connu une autorité plus amicale » en Russie.

L’exemple de Poutine et la gestion agressive par le système judiciaire des crimes de haine antisémites les ont rendus plus rares en Russie. A une époque où le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne enregistrent des centaines d’incidents antisémites par an, la Russie en connaît très peu.

Un rapport publié le mois dernier par un groupe de défense des droits de l’Homme critique du Kremlin, le centre SOVA, a suggéré que le nombre de crimes de haine antisémite répertoriés en Russie lors de la première moitié de l’année 2018 était inférieur à 10.

Mais l’enquête précise qu’il ne s’agit pas d’un déclin majeur des sentiments antisémites en Russie – un pays où les juifs ont été persécutés des siècles durant.

Lorsque le centre Pew a demandé à des milliers d’adultes russes s’ils accepteraient un juif dans leurs familles, seuls 40 % des sondés ont répondu oui. Le chiffre en Europe occidentale pour la même question s’élève à 96 % aux Pays-Bas, 57 % en Italie.

De nombreux Juifs russes, qui s’interrogent sur leur avenir dans la Russie post-Poutine.

Un nombre croissant de juifs russes quittent le pays – en particulier les grandes villes de Moscou et de Saint-Pétersbourg, où vivent la majorité des juifs russes, dont le nombre est estimé à 250 000.

L’année dernière, l’immigration russe vers Israël [alyah] a augmenté, atteignant le chiffre de 7 224 nouveaux arrivants, soit le nombre le plus élevé depuis plus d’une décennie. Ce chiffre fait de la Russie le plus grand pourvoyeur d’Olim – ou immigrants en Israël – sous les termes de sa loi du retour pour les juifs et leurs parents.

Cette année, l’alyah de Russie s’est élevée à 6 331 nouveaux arrivants au cours des huit premiers mois de 2018 contre 4 701 pour la même période en 2017.

Cette recrudescence est due en partie à la crise économique qui frappe la Russie en résultat des prix du pétrole en chute libre et aux sanctions imposées suite au conflit territorial avec l’Ukraine.

Natan Sharansky, président de l’Agence juive pour Israël, avant la réunion hebdomadaire du cabinet dans les bureaux du Premier ministre, à Jérusalem, le 25 juin 2017. (Crédit : Marc Israel Sellem/Pool/Flash90)

Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire, a expliqué l’année dernière l’ancien refusenik Natan Sharansky, ex-président de l’Agence juive en Israël, à JTA.

Face à l’érosion de la démocratie en Russie, a-t-il noté, les « hommes d’affaires juifs, ceux qui appartiennent à l’intelligentsia craignent de se retrouver encore une fois retranchés du monde libre ».

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