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Visée ou non, la communauté juive de Vienne sur le qui-vive

550 incidents antisémites, dont près de la moitié attribués à des militants d'extrême droite, ont été signalés en 2019 en Autriche, un chiffre qui a doublé en cinq ans

Un policier armé monte la garde devant la synagogue de la Seitenstettengasse à Vienne, 24 heures après les fusillades qui ont eu lieu dans plusieurs secteurs du centre de Vienne, le 3 novembre 2020. (Crédit : Hans Punz/APA/AFP)
Un policier armé monte la garde devant la synagogue de la Seitenstettengasse à Vienne, 24 heures après les fusillades qui ont eu lieu dans plusieurs secteurs du centre de Vienne, le 3 novembre 2020. (Crédit : Hans Punz/APA/AFP)

Shalom Berntholz ne ferme jamais son restaurant casher du centre de Vienne, mais à la veille du confinement, il avait décidé de prendre les devants. C’est donc devant sa vitrine éteinte que les premières balles ont été tirées lundi par un jihadiste qui a tué quatre personnes.

« Normalement on est ouvert 365 jours par an, même pour Shabbat et les fêtes juives. Exceptionnellement on a fermé. C’est ce qui nous a sauvé la vie », raconte-t-il à l’AFP.

Son restaurant, « Alef Alef », est situé au rez-de chaussée d’un bâtiment blanc typiquement viennois qui abrite les bureaux de l’IKG (Israelitische Kultusgemeinde Wien), association représentant la communauté juive de Vienne – la plus grosse du pays, avec quelque 8 000 membres.

L’assaillant « a commencé juste au pied de ce bâtiment, il a peut-être vu qu’il n’y avait rien de notre côté et il a tiré juste en face et tué cette pauvre serveuse. On peut penser que c’était aussi la communauté juive qu’il visait, mais en vérité on ne saura jamais », confie M. Berntholtz.

L’auteur de l’attaque, né à Vienne et dont les parents sont originaires de Macédoine du Nord, a été tué lundi soir par la police. Sous l’oeil affolé de dizaines de passants, Kujtim Fejzulai, 20 ans, avait ouvert le feu aux alentours de 20h00 sur cette placette pavée, où sont situés, outre les bâtiments de la communauté juive, plusieurs bars et restaurants prisés des noctambules.

« Le bâtiment était fermé à ce moment de la journée et ce quartier est LE quartier animé de la ville », souligne le rabbin Schlomo Hofmeister, qui « ne peut pas exclure » un motif antisémite.

L’enquête n’a pas pu déterminer pour l’instant si l’assaillant ciblait les lieux juifs de la place ou avait choisi cet endroit pour sa vie nocturne.

Des policiers restent en position dans les escaliers nommés « Theodor Herzl Stiege » près d’une synagogue après que des coups de feu aient été entendus, à Vienne, le lundi 2 novembre 2020. (Crédit : AP Photo/Ronald Zak).

« Scènes traumatisantes »

L’attaque revendiquée par le groupe jihadiste Etat islamique, qui a fait quatre morts et plusieurs blessés, s’est aussi produite à quelques dizaines de mètres d’un bâtiment emblématique de la foisonnante histoire juive de la ville : le « Stadttempel », flamboyante synagogue du XIXe siècle.

Elle est la seule synagogue de Vienne à avoir échappé aux destructions de la « Nuit de Cristal » nazie du 9 au 10 novembre 1938.

Avant la Deuxième guerre mondiale, la communauté juive d’Autriche comptait 192 000 personnes, soit presque 4 % de la population.

Quasiment réduite à néant par la déportation ou l’exil, elle a très lentement retrouvé une place apaisée dans l’Autriche d’après 1945.

Mais l’attaque ravive surtout le souvenir des attentats contre cette synagogue perpétrés en 1979 et 1981 par des groupes terroristes palestiniens. Le dernier attentat, en pleine prière, avait fait deux morts. Il y en a eu un contre un bureau de la compagnie aérienne israélienne El-Al à l’aéroport de Vienne.

Le Congrès juif européen a ainsi apporté mardi son soutien à la communauté locale qui est, selon elle, amenée à « revivre des scènes traumatisantes d’il y a 40 ans ».

Yoav Ashkenazy, 38 ans, un Israélien établi à Vienne depuis six ans pour y faire des études de philosophie, a fait un détour sur le chemin de la salle de sport pour voir de ses yeux la scène de l’attentat. Il affirme ne pas vouloir céder à la peur.

« Les gens se baladent ici avec une kippa sans problème, Vienne est une ville à taille humaine, provinciale et très à gauche, ici, notamment en raison d’une sensibilité post-Shoah. Personne, même de la communauté musulmane, n’a l’idée de toucher à un cheveu d’un Juif », estime-t-il.

« Il s’agit d’une action d’ampleur, organisée, comme on en n’avait plus vu depuis les années 1980, à l’époque des groupes palestiniens, un véritable test de résistance pour l’Autriche (…) un douloureux rappel que nous sommes désormais également en première ligne », écrivait dans son éditorial du jour d’après le journal libéral Der Standard.

« Je ne suis pas surpris que cela arrive maintenant à Vienne étant donné que cela s’est produit à Nice, à Berlin ou à Bruxelles », analysait le professeur de Sciences politiques Thomas Schmidinger.

Selon ce spécialiste du jihadisme, « toute cette nébuleuse (de l’Etat islamique) est déjà présente depuis un certain temps à Vienne ». Mais sans passer à l’action, jusqu’à cette attaque qui a été pensée et menée selon lui « pour faire le plus de victimes possible ».

Intégré dans un programme de « déradicalisation », il avait réussi à « tromper » les personnes chargés de son suivi, a déploré le ministre autrichien de l’Intérieur Karl Nehammer.

« Il est évident que l’assaillant, malgré tous les signes extérieurs d’intégration dans la société, faisait exactement le contraire » de ce qu’il voulait montrer en privé, a ajouté le ministre en référence à la « Taqiya », la technique de « dissimulation », prônée par certains recruteurs jihadistes.

Selon le ministère de l’Intérieur, entre 2011 et 2018, quelque 300 candidats au jihad ont quitté ou tenté de quitter le territoire pour aller combattre en Syrie et en Irak, dont 50 ont été interpellés en route, 40 ont trouvé la mort sur place et 90 sont rentrés en Autriche.

« Ce que l’on peut affirmer, c’est qu’il s’agit de terrorisme domestique, commis par une personne qui a grandi à Vienne et est ensuite passée à l’acte ici », estime Thomas Schmidinger.

La communauté juive de Vienne partage – contrairement à celle de Paris, Bruxelles, Copenhague ou d’Allemagne – le sentiment généralisé de vivre dans un pays sûr, jusqu’ici épargné par la violence et la menace directe des islamistes.

Pourtant 550 incidents antisémites, dont près de la moitié attribués à des militants d’extrême droite, ont été signalés en 2019 en Autriche, un chiffre qui a doublé en cinq ans.

Le Chancelier autrichien Sebastian Kurz lors d’une visite au mémorial de la Shoah de Yad Vashem à Jérusalem, le 10 juin 2018. (Hadas Parush/Flash90)

« La triste vérité est que même si nous avons la chance de vivre dans un pays essentiellement sûr, malheureusement, nous ne vivons pas dans un monde sûr », a fait valoir Sebastian Kurz dans son adresse aux Autrichiens.

Le chancelier conservateur a exhorté mardi soir, dans un entretien au quotidien allemand Die Welt, l’Union européenne à lutter contre l’ « islam politique », une « idéologie » qui représente un « danger » pour le « modèle de vie européen ».

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