Washington sanctionne finalement la Turquie pour l’achat des S-400 russes
Le Congrès a approuvé une mesure donnant 30 jours à l'exécutif pour sanctionner Ankara pour des missiles incompatibles avec les systèmes de l'Otan dont la Turquie est membre
Après des mois d’atermoiements, les Etats-Unis ont annoncé lundi des sanctions à la Turquie pour son acquisition du système de défense aérienne russe S-400, tout en laissant la porte ouverte au dialogue avec Ankara.
Washington interdit désormais l’attribution de tout nouveau permis d’exportation d’armes à l’agence gouvernementale turque en charge des achats d’armement, le SSB, et interdit le territoire américain à ses dirigeants, a annoncé le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo.
« Les mesures prises aujourd’hui signalent clairement que les Etats-Unis (…) ne tolèreront pas de transactions significatives avec les secteurs russes de la défense et du renseignement », a précisé le secrétaire d’Etat dans un communiqué.
Washington a invoqué une loi de 2017 dite « contrer les adversaires de l’Amérique à travers les sanctions » (Caatsa), qui prévoit notamment des sanctions automatiques dès lors qu’un pays conclut une « transaction significative » avec le secteur de l’armement russe.
La menace de sanctions américaines planait sur la Turquie depuis qu’elle a pris livraison de ces missiles l’an dernier, mais le président Donald Trump, qui entretient de bons rapports personnels avec M. Erdogan, s’était abstenu jusqu’ici de les déclencher.
Or le Congrès a approuvé vendredi à une large majorité la loi de financement du Pentagone qui contient une mesure donnant 30 jours à l’exécutif pour sanctionner Ankara pour les S-400, des missiles incompatibles avec les systèmes de l’Otan dont la Turquie est membre.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait pris les devants en affirmant vendredi que des sanctions américaines contre son pays seraient « un manque de respect de la part des Etats-Unis envers son allié très important au sein de l’Otan ».
« Les Etats-Unis avaient clairement fait savoir à la Turquie, aux plus hauts niveaux et à de multiples reprises, que l’achat des systèmes S-400 représenterait un danger pour la sécurité des technologies et du personnel militaires américains et qu’il apporterait des fonds importants au secteur russe de la Défense tout en lui donnant accès aux forces armées et à l’industrie de Défense de la Turquie », a souligné M. Pompeo.
« La Turquie a pourtant décidé de procéder à l’achat des S-400 et de les tester, bien qu’il existe des alternatives compatibles avec les systèmes de l’Otan pour répondre à ses besoins de défense », a-t-il ajouté.
Sanctions « injustes »
En réaction à la livraison de la première batterie l’été dernier, les Etats-Unis ont suspendu la participation de la Turquie au programme de fabrication de l’avion de guerre américain dernier cri F-35, estimant que les S-400 pourraient en percer les secrets technologiques.
Washington a toutefois laissé la porte ouverte au dialogue avec la Turquie.
« Nous regrettons beaucoup que ceci ait été nécessaire et nous espérons vraiment que la Turquie va coopérer avec nous pour régler le problème du S-400 », a indiqué à la presse le secrétaire d’Etat adjoint chargé de la sécurité internationale et la prolifération, Christopher Ford.
« Si l’on tient compte de l’éventail de sanctions qui auraient pu être imposées et si on considère que sur une échelle de 1 à 10 celles visant l’Iran sont à 10 et celle contre la Russie sont à 3, alors celles-ci (visant la Turquie) sont en-dessous de 0,5 », estime l’expert Timothy Ash, analyste à BlueBay Asset Management.
« La bonne nouvelle pour les marchés est que la question de sanctions a été évacuée et cela ouvre la voie à Biden pour remodeler les relations bilatérales quand il prendra ses fonctions », ajoute-t-il.
Ozgur Unluhisarcikli, directeur du bureau d’Ankara de l’institut américain German Marshall Fund, estime que « l’incertitude » qui a régné pendant plusieurs mois sur l’étendue des sanctions américaines à venir avait déjà pénalisé l’économie turque.
Il convient toutefois que la Turquie a échappé à des sanctions plus dures « comme une exclusion du circuit de virement bancaire international Swift ou des mesures contre les banques impliquées dans la transaction (d’achat d’armes) avec la Russie ».
« Je pense que c’est beaucoup mieux pour la Turquie que ces sanctions aient été décidées pendant les derniers jours de l’administration Trump. Maintenant Erdogan peut choisir entre ouvrir une nouvelle page avec Biden, ou l’escalade », ajoute-t-il.
La Turquie et la Russie ont dénoncé ces sanctions.
« Nous invitons les Etats-Unis à revoir cette décision injuste de sanctions (…) et nous réaffirmons être prêts à traiter la question par la voie du dialogue et de la diplomatie, conformément à l’esprit de l’alliance », a déclaré le ministère turc des Affaires étrangères.
« Il s’agit d’une nouvelle manifestation d’une attitude arrogante à l’égard du droit international, une manifestation des mesures coercitives unilatérales et illégitimes que les États-Unis utilisent depuis de nombreuses années, depuis des décennies à droite et à gauche », a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
Le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, le républicain Jim Risch, s’est félicité de l’annonce de l’exécutif.
« La Turquie a eu largement le temps et l’opportunité d’abandonner son achat russe », a-t-il noté. « Ces sanctions, de même que l’exclusion de la Turquie du programme du F-35, sont le résultat inévitable de la décision du président Erdogan de faire passer ses relations avec le Kremlin avant celles avec l’Otan ».
L’UE a adopté vendredi le principe de sanctions contre la Turquie pour ses explorations gazières controversées en Méditerranée orientale et ses démonstrations de force dans des eaux disputées avec la Grèce et Chypre.