Zuroff : « Lapid est tombé dans le piège que les Polonais lui ont tendu »
Un éminent historien de la Shoah déplore la vive réaction du chef du parti centriste Yair Lapid
JTA – Le projet de loi du Parlement polonais visant à sanctionner l’utilisation du terme « camps de la mort polonais » et à interdire la condamnation des Polonais pour les crimes commis pendant l’Holocauste, a suscité une avalanche de critiques en Israël de la part des dirigeants et du public qui ont averti qu’il était excessif, et risque de faire obstacle aux recherches sur l’Holocauste.
Après l’adoption vendredi du projet de loi au Sejm, la chambre basse du Parlement polonais – le projet attend toujours l’approbation du Sénat et du président. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a qualifié le projet de loi « sans fondement ». Des historiens, dont certains du musée de la mémoire de l’Holocauste de Yad Vashem, se sont joints à lui pour s’y opposer.
Dans un communiqué, Yad Vashem a déclaré que, « s’il ne fait aucun doute que l’expression ‘camps de la mort polonais’ est une fausse représentation historique », la loi proposée est néanmoins « susceptible de brouiller les vérités historiques concernant l’aide que les Allemands ont reçue de la population polonaise pendant l’Holocauste ».
Des protestations moins vigilantes en Israël ont allégué que certains des opposants polonais de l’expression « camps de la mort polonais » brouillent les vérités historiques, et qu’il est nécessaire de mieux comprendre les sensibilités autour de la question en Pologne, en Israël et au-delà.
Le centriste Yair Lapid, chef du parti d’opposition Yesh Atid – et selon certains sondages récents, le député le plus susceptible de remplacer Netanyahu en cas d’élections – s’est beaucoup répandu à ce sujet sur les réseaux sociaux.
Dans une série de posts publiés sur Facebook, Lapid a déclaré : « Il y avait des camps de la mort polonais et aucune loi ne pourra jamais changer cela », ajoutant : « Des centaines de milliers de Juifs ont été assassinés sans jamais avoir rencontré un seul Allemand ».
« La Pologne était associée à l’Holocauste », a-t-il écrit.
Les déclarations de Lapid sont historiquement inexactes à plusieurs égards, selon Efraim Zuroff, éminent historien de l’Holocauste et directeur du Centre Simon Wiesenthal pour l’Europe de l’Est.
« Je comprends sa colère, mais Lapid est tombé dans le piège que les Polonais lui ont tendu, d’une certaine manière », a dit Zuroff.
L’allégation selon laquelle il y avait des camps de la mort polonais est « trompeuse », a déclaré M. Zuroff. Cette affirmation n’est vraie que dans la mesure où il y avait des camps de la mort nazis sur le sol polonais.
« Les Polonais ont peut-être été responsables de la mort de plusieurs milliers de Juifs, mais les appareils d’État polonais n’ont pas été intégrés dans la machine de génocide nazie contre les Juifs et, en ce sens, la Pologne est en fait une exception par rapport à de nombreux autres pays d’Europe occupés par les nazis », a déclaré Zuroff.
Affirmer que « la Pologne était partenaire de l’Holocauste » est également faux, car « il n’y avait pas de Pologne » sous l’occupation allemande. La souveraineté polonaise a été démantelée et le pays a été soumis au régime nazi.
L’affirmation selon laquelle des centaines de milliers de Juifs sont morts en Pologne sans avoir vu un seul Allemand est « absurde », a dit Zuroff.
« Je ne sais pas d’où Lapid a tiré cette information », a-t-il ajouté.
Selon le grand rabbin polonais Michael Schudrich, environ 2 500 Juifs sont morts aux mains des Polonais pendant ou immédiatement après l’Holocauste. Zuroff conteste cette estimation : il estime que le chiffre exact est « plusieurs milliers » de personnes, y compris dans au moins 15 villes de l’est de la Pologne, où des non-juifs ont massacré leurs voisins juifs.
L’affirmation de Lapid est également offensante pour de nombreux Polonais, a dit Zuroff. En effet, en plus d’avoir tué trois millions de juifs polonais, les nazis ont tué trois millions de non-juifs polonais (les millions de victimes juives de l’Holocauste qui restaient ont été tuées soit dans l’ex-Union soviétique, soit dans des camps en dehors de la Pologne).
« Les nazis considéraient les Polonais comme des êtres inférieurs », note Zuroff.
Ce qui explique en partie pourquoi « l’opposition polonaise à l’expression ‘camps de la mort polonais’ est justifiée », a ajouté M. Zuroff, même s’il a également déclaré qu’il n’était pas favorable à sa pénalisation.
Alors pourquoi les politiciens israéliens et les autorités représentant l’Holocauste s’opposent-ils à ce point ?
La raison, selon M. Zuroff, est que le projet de loi fait partie d’un effort plus vaste du gouvernement de droite polonais, dirigé par le parti Droit et Justice, pour rejeter « toute critique de la façon dont les Polonais se sont comportés pendant l’Holocauste », a-t-il déclaré.
Selon Zuroff, à l’exception des Pays-Bas, la Pologne était le seul pays d’Europe occupée où des résistants ont mis sur pied une organisation spéciale dédiée à la protection des Juifs. Mais en même temps, des groupes de résistance polonais, comme l’Armée de l’Intérieur, refusèrent souvent d’accepter les Juifs – et parfois les tuèrent.
« Tout le monde sait que des milliers de Polonais ont tué ou dénoncé leurs voisins juifs aux Allemands, causant leur mort », a dit Zuroff. L’État polonais n’était pas complice de l’Holocauste, mais de nombreux Polonais l’étaient. Le pays était aussi un foyer d’antisémitisme avant l’Holocauste. Il serait stupide de l’ignorer ».
Pourtant, cela n’a pas empêché les historiens et les fonctionnaires polonais de le faire.
En 2016, un an après la grande victoire électorale de Droit et Justice, la ministre polonaise de l’Education Anna Zalewska déclarait qu’il y avait « différents scénarios » sur ce qui s’était passé à Jedwabne, une ville de l’est de la Pologne où, en 1941, des habitants polonais ont massacré entre 1 500 à 2 500 de leurs voisins juifs, apparemment sans intervention des Allemands (les historiens révisionnistes polonais le contestent depuis des décennies).
En 2001, la publication d’un livre sur Jedwabne par l’historien de Princeton Jan Gross a déclenché un débat public sur la question.
En 2016, il fut convoqué par la police pour avoir dit que les Polonais ont tué plus de Juifs que les Allemands pendant l’Holocauste. Il a été soupçonné d’insulter l’honneur de la nation polonaise, ce qui est illégal dans le pays.
Dans le cadre d’un autre débat, mais qui n’est pas totalement déconnecté, certains représentants des juifs polonais ont accusé le parti Droit et Justice d’ignorer la montée des ultra-nationalistes en Pologne, ce qui, selon eux, crée un problème de sécurité pour la communauté et un « mauvais signal » par rapport à son histoire. D’autres dirigeants juifs polonais ont rejeté ces allégations comme faisant partie d’une « guerre politique » contre le gouvernement.
« Avant que Droit et Justice ne remporte les élections, on avait le sentiment que des progrès avaient été accomplis, les chefs d’État polonais successifs reconnaissant que, parallèlement à l’héroïsme de certains Polonais qui sauvèrent des juifs, d’autres les assassinaient et les dénonçaient. Mais il semble désormais que le gouvernement polonais est en train de renverser la tendance et cela suscite beaucoup de colère, comme on peut le voir dans la réaction de Lapid », a dit Zuroff.
L’ambassade de Pologne en Israël, pour sa part, a évoqué sur les réseaux sociaux les « déclarations intolérables » de Lapid. Ils montrent, a dit un porte-parole de l’ambassade, « à quel point l’enseignement de l’Holocauste est nécessaire, même ici en Israël ».
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