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1 500 propriétaires de Jérusalem concernés par une vente secrète de terrains de l’Eglise

Dans une histoire kafkaïenne combinant religion, politique et immobilier, le Patriarcat grec orthodoxe vend des terrains à des investisseurs privés

Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Le quartier Rehavia de Jérusalem sous la neige, le 10 janvier 2015. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)
Le quartier Rehavia de Jérusalem sous la neige, le 10 janvier 2015. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Quelque 1 500 propriétaires des quartiers les plus riches de Jérusalem ont découvert que certains des terrains sur lesquels se trouvent leurs biens ont été vendus en secret à des sociétés immobilières privées.

Ils craignent qu’à la fin de leur bail – certains prennent fin d’ici 18 ans – ils ne doivent choisir entre payer d’importantes sommes d’argent pour renouveler le bail, où devoir vendre et déménager.

Alors que la valeur de leurs biens a déjà baissé de 30 % en raison de la fin en approche du bail, ils craignent aussi un scénario dans lequel des promoteurs achèteraient leurs maisons au plus bas, avant de les raser et de les reconstruire ou d’y ajouter des étages et de les revendre, avec le terrain, en réalisant d’importants bénéfices.

Dans une histoire kafkaïenne qui entremêle immobilier, propriété, mystérieux comptes en banque offshore, religieux et politique, il semble que l’Eglise orthodoxe grecque ait vendu des terrains importants de la capitale à des investisseurs privés.

Les accords auraient non seulement été passés dans le dos des propriétaires, mais aussi dans celui du Fonds national juif (FNJ – KKL), à qui l’église avait initialement loué le terrain pour 99 ans, et de l’Etat.

La rue Marcus, dans le quartier Talbieh de Jérusalem. Illustration. (Crédit: Eiferman Realty)
La rue Marcus, dans le quartier Talbieh de Jérusalem. Illustration. (Crédit: Eiferman Realty)

L’Eglise grecque orthodoxe, le deuxième propriétaire terrien le plus important du pays après l’Autorité des terres d’Israël, a acheté quelque 450 hectares de terrain dans le centre de Jérusalem au 19e siècle, principalement des terrains alors agricoles. Dans les années 1950, juste après l’indépendance d’Israël, elle a accepté de louer le terrain au KKL pour 99 ans, avec une option d’extension.

Même le Parlement israélien est construit sur un terrain appartenant à l’Eglise.

D’une manière ou d’une autre, l’Eglise a réussi à signer des contrats en secret, le premier en 2011, un autre en août 2016, pour vendre des terrains à des entreprises sur lesquelles très peu de choses sont connues, mais qui ont toutes été représentées par Noam Ben David, avocat de Jérusalem, selon le quotidien financier Calcalist, qui a révélé l’information la semaine dernière.

Le prix de deux ventes est estimé à 114 millions de shekels, un chiffre qui reflèterait le fait qu’il reste relativement peu de temps avant la fin des baux du KKL.

Les contrats de 2015, pour 50 hectares du centre de Jérusalem, ont tous été enregistrés dans les bureaux d’Ephraïm Abramson et comprennent un appendice citant les nombreux propriétaires et propriétés figurant dans l’accord, selon le journal.

Les ventes représentent plus de 200 terrains du riche quartier de Talbieh, où sont situées les résidences du Premier ministre et du président, et dans Nayot, près du musée d’Israël, où les baux parviendront à échéance d’ici 30 ans.

Des habitants en colère après avoir appris la vente de terrains par l'Eglise grecque orthodoxe à des promoteurs immobiliers privés, le 4 juillet 2017. (Crédit : capture d'écran Deuxième chaîne)
Des habitants en colère après avoir appris la vente de terrains par l’Eglise grecque orthodoxe à des promoteurs immobiliers privés, le 4 juillet 2017. (Crédit : capture d’écran Deuxième chaîne)

Les ventes ont été révélées quand l’Eglise grecque orthodoxe a demandé la semaine dernière à la cour du district de Jérusalem que le conseil municipal de la capitale l’exempte des taxes liées aux 50 hectares vendus.

Pour compliquer encore cette histoire, Shlomo Deri, vice-président du KKL et frère d’Aryeh Deri, ministre de l’Intérieur et président du parti Shas, est impliqué dans l’un des groupes d’investissement, a annoncé mardi la Deuxième chaîne.

Shlomo Deri, qui a dit à la chaîne n’avoir aucun conflit d’intérêts dans la vente, a été interrogé par la police l’année dernière dans le cadre de l’enquête sur son frère pour des faits de corruption présumée.

Moshe Idan, militant du Shas, serait lui aussi impliqué dans le même accord pour l’achat de deux terrains immobiliers dans le quartier Rehavia, qui appartiennent au monastère Ratisbonne de l’Eglise grecque orthodoxe.

Même si le KKL n’est pas impliqué dans cet accord en particulier, il devrait avoir son mot à dire sur les autres ventes.

L’avocat Noam Ben David, qui représente les investisseurs, a déclaré au Calcalist que « nous n’avons pas encore décidé ce que nous faisons avec les droits, mais nous ferons tout en coopération avec la mairie de Jérusalem. Ceci semble être dans les intérêts des habitants comme dans les nôtres. »

Shlomo Deri, le frère du ministre de l'Intérieur Aryeh Deri, à Jérusalem, le 23 décembre 2015. (Crédit : Flash90)
Shlomo Deri, le frère du ministre de l’Intérieur Aryeh Deri, à Jérusalem, le 23 décembre 2015. (Crédit : Flash90)

Il a expliqué que « toutes les personnes vivant dans des appartements [construits sur ces terrains loués] savent que le bail se termine en 2050, comme par tout accord de bail […] et tous les habitants savent qu’ils devront quitter l’appartement. Quiconque achète l’appartement le sait, et par conséquent, le prix des appartements a chuté de 30 %. C’est la réalité de la propriété aujourd’hui. »

Il a indiqué que les promoteurs visaient les espaces vides entre les terrains achetés pour de futurs projets de construction.

Il a refusé de révéler les identités des promoteurs. Calcalist indique même que les promoteurs ont demandé à la mairie de Jérusalem que leurs noms ne soient pas révélés en raison des dommages potentiels que cela pourrait causer aux investisseurs « et même aux détenteurs de baux secondaires », les propriétaires des appartements.

Les habitants avaient supposé que le KKL réussirait à prolonger les baux à leur expiration.

Yehuda Greenfled-Gilat, architecte et membre du parti Yerushalmim représenté au conseil municipal de la capitale, a dit au quotidien financier que les propriétaires avaient été « vendus comme de la viande ».

« Comment une ville peut-elle se gérer d’une telle manière, que l’Eglise vend des terrains entiers à des promoteurs privés ? »

Rachel Azaria, députée de Koulanou. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)
Rachel Azaria, députée de Koulanou. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Rachel Azaria (Koulanou), membre fondateur du parti Yerushalmim de Jérusalem et ancienne adjointe au maire de Jérusalem, a dit à la commission de l’Intérieur de la Knesset pendant une réunion mercredi que les habitants ne pouvaient pas être abandonnés, et que « nous pouvons encore découvrir que des pays comme l’Iran et le Qatar sont responsables de ces groupes secrets de promoteurs, ce qui serait contraire à tout l’ethos sioniste. Nous devons mettre fin à la situation actuelle. »

Elle a déclaré qu’elle proposerait une législation pour protéger les propriétaires dont les biens sont situés sur des terrains possédés par l’Eglise grecque orthodoxe.

Son projet de loi exigerait que la vente d’un terrain soit approuvée par la commission du Droit, de la Constitution et de la Justice de la Knesset, que les acheteurs soient des citoyens israéliens ou des entreprises possédées par des Israéliens, que les prolongations des baux soient gérées par une institution publique, que le coût de ces prolongations ne soit pas payé par les habitants, et que dans les cas où une institution nationale n’a pas été impliquée dans une transaction immobilière de l’Eglise, l’Etat pourrait utiliser les outils dont il dispose pour aider les habitants à ne pas perdre leur logement.

Azaria a ajouté que le problème se posait également dans d’autres régions d’Israël, où l’Eglise grecque possède aussi beaucoup de terrains.

Israël Kimche, de l’Institut de Jérusalem pour les études israéliennes, a dit au Calcalist que « les droits de propriété donnent au groupe d’investisseurs une liberté de décision totale. »

Ils peuvent décider de changer l’utilisation du terrain, et demander à la ville les permis de construire n’importe quoi sur les terrains qu’ils possèdent.

Le président Reuven Rivlin avec le Patriarche grec orthodoxe Théophile III dans sa résidence de Jérusalem, le 27 décembre 2016 (Crédit : Mark Neiman/GPO)
Le président Reuven Rivlin avec le Patriarche grec orthodoxe Théophile III dans sa résidence de Jérusalem, le 27 décembre 2016 (Crédit : Mark Neiman/GPO)

« Les promoteurs peuvent commencer maintenant à avancer les projets, puisque, dans tous les cas, le processus prend dix ans. Au fur et à mesure, les baux [du KKL] se termineront, et ensuite les nouveaux droits à la construction tomberont dans les mains des promoteurs, a-t-il dit. De plus, les promoteurs peuvent toujours relouer les terrains et demander beaucoup d’argent pour cela. »

Le Patriarcat grec a confirmé les ventes, et déclaré qu’il avait proposé au KKL de renouveler les baux, mais que ce dernier n’avait « rien fait. »

Le KKL a accusé le conseil municipal de Jérusalem, qui a été informé en septembre de la vente de l’année dernière, de ne pas l’avoir informé de la vente, a indiqué le Calcalist.

Dans un communiqué adressé à la Deuxième chaîne, l’organisation a indiqué qu’elle avait toujours géré le sujet des baux, et que maintenant, « après que la vente faite soit devenue plus précise », il agirait pour protéger les droits des habitants.

« Le KKL, en tant que gestionnaire de l’argent du peuple juif, agit avec responsabilité et est déterminé à ne pas permettre aux vendeurs d’immobilier, dont l’identité complète n’est même pas connue, à faire pression sur les habitants afin de réaliser des profits personnels. »

« Le problème est un problème national et le KKL appelle le gouvernement et les autres institutions concernées à organiser, dès que possible, une table ronde pour résoudre le problème. »

La ville de Jérusalem a indiqué qu’elle « étudie sa position » sur le sujet.

D’autre part, dans une toute autre transaction réalisée il y a plusieurs années, l’Eglise grecque orthodoxe a loué ce qui serait, selon la tradition chrétienne, la Colline du Conseil diabolique [où Judas a comploté pour trahir Jésus], à deux investisseurs étrangers qui comptent y construire 61 appartements luxueux.

La colline est située dans le quartier d’Abu Tor.

Des sources internes à l’Eglise ont expliqué que tous les accords ont pour but de générer de l’argent pour racheter des propriétés qui ont été vendues, illégalement selon elles, par l’ancien patriarche Irineos, ce que celui-ci dément. Elles concernent notamment des terrains dans la Vieille Ville, près de la porte de Jaffa, que les Palestiniens espèrent voir un jour appartenir à leur futur état, ainsi que le monastère de Mar Elias, situé sur la route de Bethléem.

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