Israël en guerre - Jour 469

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5 jours surréalistes en Floride passés avec le « Prince vert », le sauveur de vies

Mosab Hassan Hassan Yousef a quitté la maison du cofondateur du groupe terroriste et a été agent du Shin Bet pendant une décennie, et fait des conférences pour le Magen David Adom

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Mosab Hassan Yousef s'adresse au public lors d'un événement de l'AFMDA en Floride, décembre 2018 (Autorisation)
Mosab Hassan Yousef s'adresse au public lors d'un événement de l'AFMDA en Floride, décembre 2018 (Autorisation)

JUPITER, Floride – La première fois que j’ai vu Mosab Hassan Yousef, je cherchais les gardes du corps.

C’est le fils aîné d’un des cofondateurs du groupe terroriste du Hamas ; son père a fait des allers-retours dans les prisons israéliennes pendant des décennies. Et Mosab l’a « trahi », lui et les islamistes, et la haine d’Israël de la cause : Alors que le Hamas de son père a fait et fait de son mieux pour tous nous tuer, nous tous, les infidèles et les occupants qui volent des terres, Mosab a passé environ une décennie à travailler comme agent du Shin Bet pour nous maintenir en vie, notamment au plus fort des attentats-suicides commis pendant la Deuxième Intifada, en sa qualité de bras droit, chef de la sécurité et confident le plus fidèle, transmetttant tout renseignement et intuition pour aider Israël dans le combat contre le terrorisme.

Donc, oui, nous sommes peut-être à des milliers de kilomètres de là, dans un autre monde, dans le sud paisible de la Floride, mais je suppose que le Hamas n’a pas oublié le compte à régler, et que Mosab est protégé en conséquence.

Au lieu de cela, je vois un homme avec une casquette de baseball, portant des lunettes de soleil et avec une barbe épaisse, marcher vers moi depuis les ascenseurs de l’hôtel, manifestement seul. « Vous n’avez pas de sécurité ? » Lui ai-je demandé surpris.

« Et qui va payer la note ? », rétorqua-t-il.

Plus tard, il me donnera une réponse plus complète. Il fera remarquer que le Hamas ne dispose pas de tentacules à l’échelle mondiale. Il expliquera que le Hamas n’a pas grand intérêt à ce que son nom fasse à nouveau la une des journaux en essayant de le tuer et de rappeler ainsi au monde l’humiliation qu’il a subie quand il s’est avéré que le fils aîné du chef de Cisjordanie était à la solde de l’ennemi sioniste. Il me dira que nous pouvons tous mourir n’importe quand, de toute manière ; que la mort ne doit pas nous faire peur ; que personne ne sait de quoi il s’agit ; que, bien sûr, il va sursauter comme toute personne si un grand bruit ou autre lui fait peur mais qu’il ne vit certainement pas dans la peur.

Mosab Hassan Yousef (à gauche) et David Horovitz lors d’un événement de l’AFMDA en Floride, décembre 2018 (Autorisation)

Il me dira beaucoup de choses au cours de ces cinq jours dans le cadre d’une série surréaliste de conférences publiques et de conversations non publiques, avec pour toile de fond la dernière vague d’attaques terroristes du Hamas, que je ne pensais pas entendre de la bouche du « Prince vert », pour reprendre le titre de son autobiographie, [« Son of Hamas » en anglais].

Mais il commence par m’emmener au Whole Foods Market.

Dimanche

Mosab Hassan Yousef, 40 ans, vit aux États-Unis depuis une dizaine d’années, et parmi les nombreuses choses qu’il sait et que j’ignore, figure la direction à prendre pour un déjeuner sain. Une fois que nous nous sommes présentés et que j’ai suggéré que nous nous asseyions quelque part pour que je puisse apprendre à le connaître un peu, il propose que nous allions au marché Whole Foods local, situé à environ un kilomètre.

Nous avons besoin d’être au calme ensemble puisque je suis censé l’interviewer lors d’événements (pour lesquels nous sommes tous les deux rémunérés) au cours des cinq prochains jours à travers le sud de la Floride organisés par American Friends of Magen David Adom (qui soutient l’organisation nationale israélienne Magen David Adom, un service ambulancier de secours, une banque du sang et un centre de secours en cas de catastrophe).

« Le Prince vert », de Mosab Hassan Yousef

J’avais lu son livre à sa sortie, en 2010, et j’avais regardé le documentaire suivant sur lui, « Le Prince Vert » – ainsi nommé d’après la couleur du drapeau du Hamas et la place royale de Mosab dans le mouvement.

Je savais qu’il avait été arrêté par Israël alors qu’il était un adolescent rempli de haine – victime à la fois d’une enfance volée et du conditionnement extrémiste tant à la maison qu’à l’école. (« On ne nous disait pas ‘prenez une arme et tuez les Juifs’ à l’école », dit-il. « Mais on nous apprenait que « les Sionistes ont volé notre terre »). Il a été pris avec une arme à feu, avec laquelle il avait l’intention de tuer des Israéliens. Je savais qu’il avait commencé à se poser des questions quand, en prison, il a vu des détenus du Hamas torturer et même tuer d’autres détenus du Hamas qu’ils soupçonnaient (à tort) de collaborer avec Israël, et qu’il allait finalement connaître ce qu’il qualifie de « transformation folle » – en passant du désir de tuer des Israéliens à celui de les sauver au péril de sa vie.

En fait, sa transformation était bien plus que folle, bien plus qu’improbable. « Collaborer avec Israël est pire que de violer sa mère, dit Mosab dans le film. Mais devenir la source la plus précieuse du Shin Bet dans la guerre contre les kamikazes, quand votre père dirige leur hiérarchie en Cisjordanie, est tout simplement inimaginable. C’est pour ça qu’il s’en est tiré.

C’est pourquoi, me dira-t-il plus tard, quand il a téléphoné à son père des États-Unis pour lui dire ce qu’il en était et que toute cette histoire allait devenir publique, cela a été un choc total pour Sheikh Hassan Yousef. Son père n’a-t-il jamais soupçonné que Mosab pourrait ne pas être loyal envers lui, envers les islamistes ? « Son ego ne lui permettait pas de le penser ». Le père a néanmoins dit à son fils qu’il ne le renierait pas, puis l’a publiquement renié deux jours plus tard. Ce que Mosab comprend parfaitement. « J’avais humilié la famille de façon inimaginable », me dit-il, alors que nous marchons ensemble sur le bord d’une route, sous le soleil de Floride, en route vers Whole Foods Market.

Quand nous arrivons, il me montre comment préparer un bon déjeuner, insiste pour le payer, et s’assoit en face de moi avec ce que je découvre être plusieurs des éléments clés de ses repas : brocoli, avocat, huile d’olive. Dans la mesure du possible, il demandera aussi des épinards cuits à la vapeur. Il affirme qu’il ne mange pas que ça, mais c’est à peu près tout ce que je l’ai vu manger pendant les cinq jours suivants.

Il m’en dit plus sur le processus graduel de désillusion avec le Hamas, et son sentiment – pas plus que cela – que ce n’était pas le « pur mouvement religieux » que son père voulait pour combattre le sionisme, mais que « l’ego de mon père » ne lui permettait pas de reconnaître qu’il avait perdu le contrôle.

« Si vous lui demandez, est-ce que c’est ce que vous aviez prévu, est-ce que c’est ce que vous vouliez faire, il préférerait probablement se suicider que d’admettre que non… » Mosab se souvient du jour où ils ont imprimé le premier dépliant sur ce qui allait devenir le Hamas en 1986. « Mon père n’est pas un homme violent », dit-il sans détour. Et, « ma famille est composée de gens merveilleux – pleins d’amour et de rires ».

Le dirigeant du Hamas, Hassan Youssef dans son bureau à Ramallah le 30 juillet 2015 (Crédit photo: Elhanan Miller / Times of Israel)

(Le Cheikh Hassan Yousef, un des principaux responsables de la Seconde Intifada en Cisjordanie, a récemment été libéré par Israël de son dernier séjour en détention administrative, après avoir été arrêté en décembre dernier pour avoir appelé à « intensifier l’insurrection de Jérusalem » en réaction à la décision du président américain Donald Trump de reconnaître cette ville comme capitale d’Israël. Aujourd’hui au début de la soixantaine, il a passé environ un tiers de sa vie en prison.)

Mosab note qu’il y a eu ces dernières années des moments où son père a proposé une « trêve » avec Israël, et dit que bien que son père n’accepte pas qu’il y ait un lien juif avec la Terre Sainte, il sait bien qu’Israël ne partira jamais. En effet, Mosab dit que le Hamas a reconnu qu’Israël ne partira jamais et ne pourra être détruit. Je lui dis que je ne vois aucun signe d’une telle prise de conscience. Ce ne sera pas la dernière fois que nous serons d’accord de ne pas être d’accord.

Notre conversation s’écarte de la chronologie.

Mosab Hassan Yousef, Floride, décembre 2018 (Autorisation)

Il me dit que son travail pour le Shin Bet s’est terminé lorsqu’un nouveau responsable lui a demandé de passer un test polygraphique, qu’il a échoué, puis un second, qu’il a réussi, mais il en avait eu assez, et s’est dit « je ne vous dois plus rien », et tout était devenu si terriblement dangereux.

Étonnamment, il a pu se rendre aux États-Unis : Il a obtenu un visa au consulat des États-Unis à Jérusalem-Est – apparemment, le système informatique n’a pas déclenché de sirènes et de signaux d’avertissement : « Fils du Hamas ! Emprisonné par Israël ! Ne pas faire entrer aux Etats-Unis ! » Il s’est envolé pour la Californie, via la Jordanie et l’Europe, et ne comprend pas pourquoi ils l’ont laissé entrer. Ses papiers de voyage palestiniens étaient sur le point d’expirer, ce qui aurait dû suffire à le bloquer. Aussi, quand on lui a demandé à l’aéroport où il allait, il a répondu qu’il allait voir des amis à La Jolla – ce qui était vrai – mais il ne savait pas vraiment prononcer La Jolla.

C’étaient des amis chrétiens qu’il avait rencontrés chez lui. Il s’était converti au christianisme en 2004 – baptisé en Méditerranée sur une plage de Tel Aviv par une jeune Californienne – bien que cette phase de sa vie n’ait duré que quelques semaines, dit-il. Pourtant, « les enseignements de Jésus ont certainement changé ma vie », dit-il.

Il a demandé l’asile, a été refusé et a été menacé d’expulsion lorsque Gonen Ben Yitzhak, son principal responsable et un homme qu’il considère comme « mon frère », a risqué sa vie et s’est envolé pour les États-Unis pour confirmer l’histoire stupéfiante de son travail antiterroriste. Sans le témoignage de Ben Yitzhak, Mosab n’avait aucun moyen de prouver son affirmation invraisemblable d’avoir été du côté des sauveteurs.

Gonen Ben Yitzhak, aux États-Unis, témoignant en faveur de Mosab Hassan Yousef, 2010. (Capture d’écran YouTube)

En quoi Gonen risquait-il sa vie ? ai-je demandé. Mosab, à son crédit, ne me considère pas comme un idiot, mais il m’explique patiemment que les agents du Shin Bet sont des personnages anonymes et qu’en se dévoilant pour sauver Mosab de l’expulsion, et d’un sort certainement terrible, Gonen a fait connaître son identité à toutes ces forces criminelles auxquelles il avait consacré une carrière pour les combattre.

Ce soir-là, lors de notre premier événement de l’AFMDA, Mosab évoquera, devant un auditoire hilare, qu’il a rempli son formulaire de citoyenneté américaine à la toute fin du processus en cochant toutes les mauvaises cases : « Avez-vous déjà été membre d’une organisation terroriste ? » Oui. « Avez-vous déjà préconisé le renversement d’un gouvernement par la force ou la violence ? » Oui. « Avez-vous déjà été condamné pour un crime ou un délit ? » Oui. « Avez-vous déjà été en détention ou en prison ? » Oui….

En dégustant ses morceaux d’avocat, il fait l’éloge de Trump, avec humour, mais pas méchamment. « On a besoin de quelqu’un comme lui. C’est un sale boulot », dit-il, non sans raison.

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas (à gauche) et le président américain Donald Trump à l’hôtel Palace lors de la 72e Assemblée générale des Nations Unies le 20 septembre 2017, à New York. (AFP/Brendan Smialowski)

Il aime le fait que Trump « propose un accord » pour résoudre le conflit israélo-palestinien – plutôt que d’essayer de « faire la paix ». Si les Palestiniens ne l’acceptent pas, c’est leur problème, et Trump passera à autre chose. « Israël doit être fort », dit-il. Et « parfois, il est judicieux de capituler », ajoute-t-il, faisant référence aux Palestiniens. « Regardez le Dalaï Lama », lance-t-il. « Regardez comment son peuple est traité. Mais il n’y a pas de recours à la violence. »

J’ai l’impression de le bombarder de questions, ce personnage improbable que j’ai rencontré il y a à peine une heure. Je ne veux pas être désagréable. Je ne veux pas le fatiguer. Je ne sais pas quelles sont ses sensibilités. Il me dit que sa seule préoccupation est que « si je parle ou mange, je ne respire pas, et moins je respire, moins j’ai d’énergie ».

Nous retournons à l’hôtel, et des nouvelles nous parviennent d’une attaque terroriste à l’extérieur de l’implantation d’Ofra en Cisjordanie au nord de Jérusalem – non loin de l’endroit où Mosab a grandi à Ramallah, et où je suis en contact avec une famille. Une femme enceinte, Shira Ish-Ran, a été touchée par balle et grièvement blessée. Les médecins l’ont accouchée par césarienne. On dit que le bébé est stable ; la mère se bat pour sa vie. [Le bébé succombera à ses blessures trois jours plus tard]

Amichai (à gauche) et Shira Ish-Ran, blessés lors d’une attaque terroriste à l’extérieur d’Ofra, en Cisjordanie, le 9 décembre 2018, à leur mariage (Avec l’aimable autorisation de la famille)

La semaine terroriste sera la toile de fond sanglante de nos événements. En présentant Mosab ce soir-là dans une synagogue à Fort Lauderdale, j’informe le public de l’attaque. Le Hamas a fait l’éloge de la fusillade « héroïque », et nous voici avec le Prince vert dans le cadre d’une collecte de fonds pour le service ambulancier qui a assuré les premiers secours et transporté les blessés à l’hôpital.

Les Palestiniens, dit-il à l’auditoire, auraient pu depuis longtemps avoir un État, mais leurs dirigeants sont corrompus et indignes de confiance, et n’agissent pas dans leur intérêt. Ces remarques rappellent le court discours stupéfiant qu’il a prononcé devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies l’année dernière, au nom de l’ONG UN Watch : « La souffrance du peuple palestinien est le résultat de vos intérêts politiques égoïstes. Vous êtes le plus grand ennemi du peuple palestinien », avait-il alors déclaré, s’adressant à la délégation palestinienne, alors que les autres délégués étaient horrifiés en entendant une voix palestinienne défier le consensus contre Israël.

Au cours du dîner de retour à l’hôtel ce soir-là, Mosab m’a dit qu’il s’était joint à la dernière minute à un dîner du Jewish National Fund en Californie, où le conférencier, le petit-fils de David Ben Gurion, avait dû se désister car sa mère était souffrante. Tout comme aujourd’hui, où le Prince vert, (fils du Hamas), intervient lors d’une collecte de fonds de la JNF parce que la fille du Premier ministre fondateur d’Israël est tombée malade.

Il me dit aussi qu’il aimerait lancer une station de radio, diffusant à Gaza et en Cisjordanie, pour parler de l’actualité quotidienne – « juste lire ce qui se trouve sur les sites palestiniens et faire mes commentaires ». Je suggère un podcast, mais il préfère la radio : « Je veux qu’ils la trouvent en tournant la molette du cadran. »

Son repas : Brocolis cuits à la vapeur et épinards cuits à la vapeur. Huile d’olive. Et de la sauce piquante.

Lundi

En fin de matinée, nous nous rendons en voiture au pavillon de l’une des communautés protégées de Floride pour rencontrer deux des organisateurs de l’AFMDA.

L’un d’eux, une femme, salue Mosab comme un vieil ami ; il avait pris la parole lors d’un de ses événements il y a un an. Elle me dira plus tard qu’il s’habille mieux maintenant et qu’il est plus calme. A mes yeux, il est le charme personnifié, s’enquérant de sa famille, s’enquérant de sa santé. Elle nous dit qu’elle s’est blessée au pied, ce qui a mis fin à ses courses de longue distance. Il lui propose de la mettre en contact avec un guérisseur qu’il connaît en Californie.

Mosab Hassan Yousef s’adresse au public lors d’un événement de l’AFMDA en Floride, décembre 2018 (Autorisation)

En bavardant, je me rends compte que Mosab a l’air d’un philosophe-gourou. Ce n’est pas qu’il ne parle pas de son passé. Il le fait, et sans fausse modestie. Il se souvient d’un incident où il a dit que son intuition, après avoir simplement vu deux personnes qu’il connaissait parler ensemble à Ramallah, l’a incité à contacter Gonen, convaincu qu’ils préparaient quelque chose de mal ; et cela s’est avéré, et le Shin Bet a pu l’éviter. Il précise qu’il était la seule personne en mesure de prouver qu’un des gardes du corps personnels de Yasser Arafat menait des attaques meurtrières contre des Israéliens. Ce type d’histoires est sans fin.

Mais il semble préférer parler de la condition humaine – citant des philosophes grecs et yogis, évoquant des expériences de « sortie du corps humain ».

Sur le chemin du retour, il m’a raconté une anecdote lors d’un événement juif où une femme lui a demandé s’il était marié. Apprenant qu’il ne l’était pas, elle lui a proposé de lui présenter sa fille. Il m’a aussi raconté une autre anecdote, après un autre événement juif, où un membre du public s’est approché de lui par la suite et lui a chuchoté à l’oreille : « Je pense que vous êtes un imposteur ».

Quand nos hôtes de l’AFMDA nous ramènent à l’instant présent, et parlent de la logistique de l’événement de ce soir, Mosab déclare : « Si je peux aider votre cause, je ferais tout pour le faire ». En ce deuxième jour de notre rencontre, je n’arrive toujours pas à réaliser que le fils du cheikh Hassan Yousef puisse dire ce genre de choses.

Mosab hausse les épaules. « Tout ce que j’ai fait, dit-il, c’était pour essayer de sauver des vies. C’était mon accord avec le Shin Bet – de ne pas travailler pour Israël ou contre les Palestiniens, mais de travailler pour sauver des vies. »

Attentat suicide du Hamas à Jérusalem, le 11 juin 2003, qui avait tué 16 personnes (Crédit : Quique Kierszenbaum/Getty Images/JTA)

Lors de l’événement, qui s’est tenu dans la maison des généreux donateurs du MDA, son discours de 90 secondes devant l’ONU a été diffusé, et les gens présents se lèvent pour l’applaudir avant même son arrivée sur la scène.

Sur le chemin du retour, il m’a raconté une anecdote lors d’un événement juif où une femme lui a demandé s’il était marié. Apprenant qu’il ne l’était pas, elle lui a proposé de lui présenter sa fille.

Il m’a aussi raconté une autre anecdote, après un autre événement juif, où un membre du public s’est approché de lui par la suite et lui a chuchoté à l’oreille : « Je pense que vous êtes un imposteur ».

Il prend la parole lors d’un bon nombre d’événements juifs, me dit-il, ainsi que pour des groupes évangéliques chrétiens. Pour les chrétiens du Moyen Orient, en revanche, il est frappé d’anathème, pour avoir soi-disant trahi la cause palestinienne. Il est intervenu dans des universités américaines – et des événements sur les campus ont été annulés à cause des plaintes d’étudiants palestiniens, qui ont affirmé qu’ils craignaient pour leur sécurité s’il venait. Il est prêt à parler dans les mosquées américaines si elles le veulent. Mais elles ne veulent pas.

Mardi

Nous avons deux événements prévus le mardi, le premier dans une maison et le second dans un country club. J’ai maintenant commencé à présenter Mosab en disant au public que son histoire est si extraordinaire qu’ils n’en croiront pas leurs oreilles.

Il reconnaît que tout aurait pu perturber la séquence des événements qui l’ont mené du domicile de son père au Shin Bet puis aux Etats-Unis et maintenant ici. D’abord, il a vécu un mensonge pendant des années, et une seule erreur aurait pu le démasquer. D’autre part, Tsahal ignorait tout de ce qu’il faisait vraiment et a failli le tuer à plusieurs reprises – un hélicoptère qui était sur le point de viser une voiture dans laquelle il se trouvait ; un raid de l’armée israélienne au cours duquel il a été contraint de se cacher dans un sous-sol…

Mosab Hassan Yousef (à droite) et David Horovitz lors d’un événement de l’AFMDA en Floride, décembre 2018 (Autorisation)

Lors du deuxième événement, devant environ 450 personnes, je vois Mosab s’énerver pour la première fois. Une femme lui dit qu’avec ce groupe, il « prêche à des convertis », et lui demande s’il s’adresse à des publics qui ne comprennent pas, qui sont hostiles à Israël. Je ne pense pas que cette femme était critique, mais il prend la question comme un affront, lui demandant : « N’en ai-je pas fait assez ? » Il n’est pas agressif, mais il est offensé, et sa réponse est cinglante. Une lueur d’acier intérieure dont je n’avais jamais été témoin auparavant.

Les autres questions, ce soir comme tous les soirs, portent sur sa sécurité (il dissipe les inquiétudes) et sur sa relation avec sa famille (il n’y en a pas). « J’ai fait une chose terrible à mon père et à la famille », dit-il en précisant que son père aurait presque certainement été assassiné sans le rôle joué par Mosab – la nécessité de préserver l’accès aux secrets du Hamas que son père lui donnait. Une fois, « il m’a dit qu’Allah l’a sauvé quand l’armée est venue et a fouillé toutes les maisons sauf celle où il se cachait », raconta Mosab, un soir. « Ce qu’il croyait être Allah était un agent du Shin Bet à Tel Aviv ».

Un rassemblement de militants du Hamas en Cisjordanie, novembre 2012 (Flash90)

Lorsqu’un membre de l’auditoire l’a qualifié de « héros », il refuse le qualificatif. « Si je suis un héros pour certains, je suis un traître pour d’autres », explique-t-il. « J’ai juste essayé de sauver des vies, israéliennes et palestiniennes. »

Ce soir, il nous raconte aussi une « blague » à propos de deux ouvriers sur un chantier de construction, l’un israélien et l’autre palestinien, au sommet d’un échafaudage. En ouvrant son panier-repas, l’Israélien grommelle mécontent, « Encore du Shawarma ! Si demain c’est encore du Shawarma, je saute dans le vide ». Le Palestinien ouvre son panier-repas et se lamente : « Falafel, encore une fois. Si c’est encore des falafels demain, je vais sauter ». Le lendemain arrive, l’Israélien retrouve effectivement du shawarma dans son panier-repas, et saute dans le vide. Le Palestinien, lui aussi, trouve des falafels dans son panier-repas, et saute dans le vide.

Aux funérailles de l’Israélien, sa femme en deuil dit aux gens : « Je n’y comprends rien. S’il ne voulait pas de Shawarma, il n’avait qu’à me le dire. je lui aurais fait autre chose ». Aux funérailles du Palestinien, sa femme en deuil dit aux gens : « Je ne comprends pas. C’est lui qui a préparé son déjeuner. »

Et cela, conclut Mosab, c’est la condition palestinienne.

Mercredi

Aujourd’hui, il n’y a pas d’événements, mais nous passons un peu de temps avec nos hôtes. Mosab nous enseigne un exercice de respiration, et pendant le déjeuner – brocoli, épinards – nous dit que bien que « les nazis n’ont jamais disparu », et que « la haine du Hezbollah et du Hamas ne disparaît pas », il n’y a « aucune force sur terre qui puisse détruire Israël ».

Je lui demanderai plus tard, si Israël a essayé de censurer son livre. (La censure militaire empêche les citoyens israéliens de publier des documents qui pourraient compromettre la sécurité nationale.) Il m’a dit que non, mais qu’il n’avait pas divulgué des informations sensibles dans le texte.

Nous apprenons que, alors que l’état de Shira Ish-Ran, la mère enceinte de l’attentat terroriste d’Ofra, s’améliore lentement, celui de son bébé, après s’être détérioré, a fini par décéder. Et quelques heures plus tard, le Hamas a revendiqué l’opération « héroïque » d’Ofra. « Comment pouvez-vous revendiquer le mérite d’avoir tué un bébé », murmure Mosab.

Affiche publiée par le Hamas revendiquant l’attentat terroriste du 9 décembre 2108 à Ofra et louant le « martyr » Salih Barghouti, publiée sur le compte Twitter officiel du Hamas, le 12 décembre 2108. (Twitter)

Il craint que le Hamas n’ait mis en place une infrastructure terroriste en Cisjordanie et note que Kobar, le village natal du tireur présumé, Salih Barghouti, a engendré plusieurs terroristes, notamment Omar al-Abed, 19 ans, qui a tué trois membres de la famille Salomon en juillet dernier après s’être introduit par effraction dans l’implantation de Halamish en Cisjordanie.

C’est une bonne chose que Barghouti soit mort, dit-il – tué en essayant d’attaquer les soldats venus le chercher. « Sinon, il aurait tué d’autres bébés. »

Il veut aller voir le film « Green Book », sur le racisme dans le Grand Sud des États-Unis au début des années 1960, qui passe de l’autre côté de la rue, alors c’est parti. Mosab en sort enthousiasmé. « J’ai été un peu ému », dit-il en sortant, estimant qu’il mériterait de remporter le prix du meilleur film, de la meilleure musique, du meilleur second rôle…

Nous apprenons à présent que Tsahal a tué l’homme armé qui a tué deux de ses propres collègues dans la zone industrielle de Barkan en octobre dernier. « C’est une bonne soirée pour le Shin Bet », dit-il. « Il devait y avoir beaucoup de gens qui n’ont pas dormi ces dernières semaines.

« Super ! », s’exclame-t-il, puis il me précise : « Ce n’est pas une réjouissance. C’est un soulagement. »

Jeudi

Aujourd’hui, c’est notre dernier événement et, comme cela a été le cas toute la semaine, j’essaie, pendant la quarantaine de minutes pendant lesquelles je l’interviewe sur scène, de lui faire raconter toute son histoire, sa motivation, ses espoirs pour l’avenir, sa vision de la vie, et plus.

C’est tout simplement impossible, et c’est d’autant plus vrai en raison de l’imprévisibilité de Mosab. Je lui ai demandé à chaque événement de parler un peu de son enfance, de sa mutation, des particularités de sa collaboration avec le Shin Bet, de son activité post-agent. Et à chaque fois, avec pondération et circonspection dans ses réponses, il a exposé des pensées et des faits nouveaux.

Ce soir, il se remémore que lorsque le Shin Bet l’a contacté après sa libération pour possession d’arme, il leur a demandé pourquoi ils n’étaient pas venus en aide à leurs agents du Hamas qui étaient torturés par d’autres détenus du Hamas en prison. Le Shin Bet lui a assuré que ces hommes n’étaient pas leurs agents. Et qu’un seul de leurs agents avait été grillé. Et que, dans le cas de cet homme, Shimon Peres est intervenu personnellement auprès d’Arafat pour éviter que ne lui arrive malheur. Il a vérifié cette histoire et a découvert qu’elle était vraie, dit-il, et c’est un autre tournant dans son odyssée « Comment j’ai appris à arrêter de haïr Israël et à commencer à l’aider à sauver des vies ».

Mosab Hassan Yousef devant un Whole Foods Market en Floride, décembre 2018 (Times of Israel Staff)

Avant ce dernier événement, nous étions repartis ensemble pour le déjeuner – au Whole Foods Market, encore, bien que dans une autre succursale. Là, il m’a raconté que ses deux parents avaient l’habitude de le frapper quand il était enfant – « très répandu dans la société palestinienne », a-t-il précisé – et qu’il avait alors retourné toute sa colère, pour ça et en raison des frustrations, contre Israël – comme s’est la norme pour les Palestiniens.

En Amérique, explique-t-il, au cours de ce dernier de nos déjeuners sains ensemble, il a trouvé sa liberté. Les États-Unis, dit-il, « combinent le pouvoir et la grâce. Je suis terriblement reconnaissant envers les États-Unis. »

Nous prenons quelques photos à l’extérieur du magasin, nous nous embrassons et nous promettons de rester en contact. Il me dit que je devrais aller rendre visite à Gonen, qui s’est présenté lundi dernier devant un tribunal de Tel Aviv en tant qu’avocat de la défense dans une poursuite en diffamation intentée par Yair Netanyahu. Vendredi, quatre jours plus tard, Gonen a été arrêté lors d’une manifestation à Tel Aviv contre l’augmentation du coût de la vie, et détenu pendant 30 heures.

Gonen a déjà fait la une des journaux il y a deux mois, alors qu’il marchait dans la rue, brandissant un drapeau israélien, devant le cortège du Premier ministre Benjamin Netanyahu, dans un acte solitaire de lutte anti-corruption. La vidéo de l’incident montre un agent actuel du Shin Bet qui pousse cet ancien agent du Shin Bet hors du chemin du convoi du Premier ministre à la dernière seconde.

Cela ne s’invente pas.

Rien de tout ça n’a pu être inventé.

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