A l’université d’Oxford, un débat pour déterminer si Israël est « un État d’apartheid responsable d’un génocide »
L'Oxford Union society, qui a accueilli des présidents américains, des célébrités et des néo-nazis, a suscité à nouveau la controverse cette semaine
LONDRES – De Mère Theresa à Albert Einstein en passant par Muammar Kadhafi et O.J. Simpson, l’Oxford Union Society – une institution étudiante de débat renommée établie au sein de l’université la plus prestigieuse du Royaume-Uni – a accueilli du bon, du moins bon et le pire.
L’attachement de l’Union à la liberté d’expression et sa volonté de susciter la controverse seront à nouveau mis en évidence, le 28 novembre, lors d’un débat qui a été intitulé « This House Believes Israel is an Apartheid State Responsible for Genocide » (« Cette assemblée estime qu’Israël est un État d’apartheid responsable d’un génocide »).
Interviendront d’un côté du débat, qui devrait attirer de très nombreux étudiants de l’Université d’Oxford, le politologue américain Norman Finkelstein, l’activiste et auteur israélo-américain Miko Peled, l’autrice palestino-américaine Susan Abulhawa et Mohammed El-Kurd, écrivain, poète et activiste palestinien. Prendront place, de l’autre côté de la table, Natasha Hausdorff et Jonathan Sacerdoti, journaliste britannique qui couvre le Royaume-Uni et l’Europe pour i24 News.
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Le contexte est pourtant peu propice à l’événement : au printemps et à l’été derniers, de bruyantes manifestations anti-israéliennes qui dénonçaient la guerre à Gaza ont entraîné l’annulation de certains examens. Par ailleurs, des étudiants israéliens et juifs ont été la cible d’une « hostilité venimeuse et de comportements menaçants », selon les termes qui ont été employés par le groupe UK Lawyers for Israel.
Gerald Steinberg, fondateur de l’organisation pro-israélienne NGO Monitor, a publié une lettre ouverte dans laquelle il a refusé l’invitation à prendre la parole qui lui avait été lancée par l’Union. « Même si votre invitation ne concerne qu’Israël, je veux supposer que l’Union n’apportera pas, une fois de plus, sa contribution à un climat de haine empoisonnée en se joignant à ceux qui, de façon immorale, diabolisent Israël, l’État-nation du peuple juif », a écrit Steinberg. Il a également demandé à l’Union d’expliquer les actions qu’elle était en mesure d’entreprendre pour contrer « cette démonstration immonde d’abus de pouvoir » à l’égard des étudiants et des professeurs juifs de l’université.
L’Union a déjà organisé des débats controversés sur Israël. En 1962, par exemple, elle avait tenté de déterminer si « la création de l’État d’Israël a été l’une des erreurs de ce siècle ». Des décennies plus tard, les étudiants se posaient encore la question de savoir si « cette assemblée croit que l’État d’Israël a le droit d’exister ».
L’écrivain conservateur et animateur de talk-show américain Dennis Prager, qui s’était exprimé devant l’Union, en 2014, pour prendre la défense d’Israël, avait évoqué son sentiment de confusion initial quand il avait lu le titre de la motion au cœur du débat auquel il devait prendre part : « Le Hamas est un plus grand obstacle à la paix qu’Israël ».
« En dehors du monde musulman et de l’extrême-gauche », avait-il écrit après le débat, « qui pourrait seulement penser que le Hamas n’est pas le plus grand obstacle à la paix ? » Le trouble ressenti par Prager n’avait pas été atténué par les résultats du débat : les étudiants avaient voté à une majorité confortable contre la motion, décidant qu’Israël, et non le Hamas, était le véritable obstacle à la paix.
Au fil des ans, les membres de l’Union ont également soutenu à une écrasante majorité des motions accusant les partisans d’Israël « d’étouffer le débat occidental ».
Mais les militants anti-israéliens n’ont pas toujours eu gain de cause. En 2015, par exemple, l’avocat américain Alan Dershowitz l’avait emporté lors d’un débat qui visait à déterminer si le mouvement anti-israélien BDS était une erreur.
Deux ans auparavant, l’Union avait rejeté une motion affirmant qu’Israël était « une force du bien au Moyen-Orient » – même si les étudiants pro-israéliens s’étaient réjouis de leur défaite au coude à coude, laissant entendre que « obtenir près de 40 % de soutien en faveur d’Israël dans une université britannique, à notre époque, est un triomphe ».
Une école de formation politique
Fondée il y a plus de deux siècles en tant que société secrète – elle débattait alors de sujets interdits de discussion par l’université d’Oxford – l’Union est l’école de formation politique dans laquelle les futurs Premiers ministres, ministres et journalistes affinent leurs compétences et se font leurs premières armes. Parmi les anciens présidents de l’Union figurent d’anciens Premiers ministres – Henry Herbert Asquith, Ted Heath et Boris Johnson – deux chefs de l’opposition, Michael Foot et William Hague, le rédacteur en chef du Times , William Rees-Mogg et le légendaire présentateur de la BBC, Robin Day.
L’Union est également réputée pour sa capacité à attirer des intervenants de premier plan, qui viennent débattre devant ses membres. Les présidents américains Jimmy Carter, Ronald Reagan et Bill Clinton y ont tous pris la parole. Richard Nixon avait été accueilli chaleureusement en 1978 lorsqu’il avait présenté ses excuses pour le Watergate, quatre ans après avoir démissionné de la présidence, des excuses présentées pour la première fois en public.
Hors du monde politique, le Dalaï Lama, l’archevêque Desmond Tutu et Stephen Hawking se sont exprimés dans le cadre de l’Union – tout comme cela a été également le cas de Morgan Freeman, Natalie Portman, Michael Jackson et de l’astronaute Buzz Aldrin.
Toutefois – et inévitablement – certains sujets brûlants et certains intervenants controversés ont entraîné des protestations, avec des accusations qui ont laissé entendre que l’Union n’avait fixé aucune limite. Avec des polémiques qui avaient concerné des sujets qui allaient bien au-delà d’Israël.
En 1933, par exemple, les membres de l’Union avaient adopté à une écrasante majorité une motion de triste mémoire qui déclarait que « cette assemblée ne se battra en aucun cas pour son roi et pour son pays ». L’adoption de cette motion avait provoqué un tollé dans la presse, le futur Premier ministre Winston Churchill déclarant qu’il s’agissait là d’un « aveu abject, sordide et éhonté ».
Dans sa condamnation du débat consacré à Israël qui est prévu cette semaine, Steinberg a souligné que le débat de 1933 s’était déroulé après l’arrivée au pouvoir du chef nazi Adolf Hitler, dans le sillage de la législation antisémite qui visait les Juifs d’Allemagne. Néanmoins, un étudiant qui avait soutenu la motion, l’historien juif conservateur Max Beloff, s’était souvenu, dans les années 1980, que le débat avait moins porté à l’époque sur la menace de l’Allemagne nazie que sur les horreurs des tranchées et de la Première Guerre mondiale.
Trois décennies plus tard, au mois de décembre 1964, Malcolm X avait prononcé un discours défendant l’extrémisme alors que l’Union débattait d’une déclaration faite par Barry Goldwater, un candidat à la présidence des États-Unis qui avait été récemment battu : « L’extrémisme, dans la défense de la liberté, n’est pas un vice, la modération dans la poursuite de la justice n’est pas une vertu ».
Malcolm X, leader du groupe Nation of Islam, s’était fait connaître l’année précédente en réagissant à l’assassinat du président américain John F. Kennedy : « Les poulets revenant au perchoir [au poulailler] ne m’ont jamais rendu triste. » Le discours qu’il avait prononcé à Oxford n’avait pas manqué de susciter l’admiration. « Un monde meilleur doit être construit et la seule façon d’y parvenir est d’utiliser des méthodes extrêmes », avait-il indiqué aux étudiants. Si son discours avait entraîné des applaudissements prolongés et enthousiastes, la motion elle-même avait été rejetée.
Portes ouvertes aux terroristes
L’Union n’a pas hésité à ouvrir ses portes à des personnalités entretenant des liens avec le terrorisme. En 1987, Gerry Adams, président de la branche politique de l’IRA, le Sinn Fein, avait pris la parole lors d’un débat sur l’utilisation de la violence à des fins politiques, ce qui avait provoqué une tempête médiatique et le retrait d’autres intervenants. Adams avait connu une lourde défaite dans ce débat.
Comme l’explique l’historien Evan Smith – qui a beaucoup écrit sur l’extrémisme politique – des personnalités d’extrême-droite ont souvent été invitées à s’exprimer par l’Union. En 1957, par exemple, Oswald Mosley, le chef de l’Union britannique des fascistes d’avant-guerre, avait été convié pour discuter de la présence de l’Union soviétique en Europe de l’Est. Trois ans plus tard, il avait été à nouveau invité lors d’un débat qui visait à déterminer si l’Afrique du Sud de l’apartheid était en droit de rester membre du Commonwealth (un regroupement d’anciens territoires de l’Empire britannique). Il avait été à nouveau accueilli pour s’exprimer sur le même sujet en 1961. Colin Jordan, à la tête du mouvement néo-nazi National Socialist Movement, avait été invité à prendre la parole en 1966 mais – par crainte que des opposants ne viennent perturber le débat – l’invitation avait finalement été annulée.
Comme le note Smith, l’Oxford Union n’était pas la seule société de débat appartenant à une université prestigieuse à ouvrir ses portes aux fascistes, au nom de la liberté d’expression. En 1954, par exemple, la Cambridge Union avait invité Mosley, tandis que Jordan s’était exprimé à l’université de Southampton en 1965. « Mosley et Jordan ont utilisé ces conférences pour obtenir une légitimité et pour offrir une légitimité à leurs idéologies », écrit Smith dans un article consacré au sujet.
Plus récemment, l’Oxford Union avait dû faire face à de nombreuses protestations lorsqu’elle avait invité David Irving, historien négationniste dont les affirmations mensongères sur la Shoah ont été réfutées, à prendre la parole en 2001. Si cette invitation avait été annulée suite aux pressions exercées par les universitaires et par les étudiants, Irving était intervenu six ans plus tard aux côtés de Nick Griffin, alors chef du parti d’extrême-droite British National, dans le cadre d’un débat sur la liberté d’expression.
L’Union des étudiants juifs s’était opposée à ces invitations et le débat avait été interrompu lorsque des manifestants avaient franchi un cordon de police et qu’ils avaient organisé un sit-in dans la salle.
Plus de 15 ans plus tard, la question de la liberté d’expression sur les campus britanniques reste un sujet politique brûlant. Le nouveau gouvernement Travailliste a décidé, dès son entrée en fonction, au mois de juillet, de mettre en suspens une législation adoptée par les conservateurs qui, selon ses partisans, visait à protéger les universitaires de la « cancel-culture » (culture de l’annulation). Mais la ministre de l’Éducation, Bridget Phillipson, qui a fait savoir qu’elle envisageait d’abroger la loi, a estimé que celle-ci « était susceptible d’exposer les étudiants à des atteintes et à des discours haineux épouvantables sur les campus ». Une décision qui a été saluée par le Board of Deputies of British Jews – qui a indiqué qu’il partageait les préoccupations de l’Union des étudiants juifs portant sur la possibilité que cette loi empêche puisse empêcher les universités de sévir contre les extrémistes antisémites.
L’université d’Oxford elle-même est actuellement en pleine élection de son nouveau chancelier et les candidats favoris à ce poste semblent être l’ancien ministre travailliste Peter Mandelson et l’ancien ministre conservateur des Affaires étrangères William Hague. Même si ce rôle est aujourd’hui devenu largement symbolique, il remonte à au moins 800 ans. La personnalité appelée à l’occuper sera choisie par plus de 30 000 étudiants, membres du personnel et anciens élèves. Mandelson (dont le père était juif) et Hague sont tous les deux de fervents opposants à l’antisémitisme et des partisans d’Israël.
S’exprimant devant les caméras de Channel 4 News, la semaine dernière, Hague a déclaré que les étudiants à l’université devaient « débattre des grandes questions du moment » et qu’il fallait « écouter les points de vue qui vous mettent mal à l’aise ». Interrogé sur la question, il a toutefois déclaré que l’utilisation de la phrase « Du fleuve jusqu’à la mer, la Palestine doit être libre » dans un discours n’était pas une expression légitime et qu’elle était antisémite. « Il faut permettre, dans la mesure du possible, la liberté de parole et d’expression », a précisé Hague qui est membre de la Chambre des Lords. « Parfois, il faut savoir se montrer large concernant les limites – mais il est interdit de pratiquer ou de prôner la violence ».
Sur les campus britanniques, la température politique est déjà élevée sur la question israélienne. Le débat organisé cette semaine par l’Oxford Union au sujet de l’État juif semble conçu pour déclencher ce type de fureur dont ce club de débat, comme nous l’a appris l’Histoire, semble se délecter.
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