A New York, dans Little Odessa, « tout le monde parle de la guerre »
Nombre de survivants de la Shoah se sont installés à Little Odessa, partie de Brighton Beach, le bord de mer du sud de l'immense Brooklyn, mosaïque culturelle et communautaire
Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine fin février, Bobby Rakhman a changé le nom de son épicerie « Taste of Russia (« Saveurs de Russie ») pour « International Foods » dans le quartier de Little Odessa, à Brooklyn, en « solidarité » avec les Ukrainiens.
A la différence d’autres restaurants et commerces russes pris pour cible à Manhattan, l’île principale de New York, Bobby Rakhman assure qu’il n’a été ni menacé, ni harcelé et qu’il n’a pas perdu l’essentiel de sa clientèle.
Mais, souligne cet Américain d’origine russe de 51 ans auprès de l’AFP, « on avait le sentiment que ‘Taste of Russia’ était devenu inadéquat » pour ce « premier magasin russe » de Little Odessa, ouvert il y a 40 ans par ses parents arrivés à New York comme réfugiés de l’Union soviétique dans les années 1970.
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Dans la chaleur de son épicerie, où travaillent des Ukrainiens qui ont de la famille en Ukraine, la « clientèle est mixte » et il n’y a jamais eu de conflit, assure M. Rakhman. Il ne veut toutefois pas se mêler d’éventuelles disputes dans les rues de ce bout d’Europe de l’Est dans le sud de Brooklyn, l’un des cinq arrondissements de la mégapole New York.
« Colère et tristesse »
Car même s’il n’y a pas eu d’échauffourées entre Russes et Ukrainiens à Little Odessa, les gens « sont très en colère et tristes » et « tout le monde parle de la guerre », dit-il.
Dans ce quartier réputé bien au-delà des frontières de Brooklyn, la majorité de la population est russophone, composée d’immigrés juifs d’Europe originaires de la « perle de la mer Noire » ukrainienne, Odessa, aujourd’hui menacée par l’armée russe.
Nombre de survivants de la Shoah réfugiés aux Etats-Unis se sont installés à Little Odessa, partie de Brighton Beach, le bord de mer du sud de l’immense Brooklyn, mosaïque culturelle et communautaire.
S’y sont ajoutés des Russes et russophones après la chute de l’URSS à partir de 1991.
D’après des chiffres du recensement américain, 45 % des habitants de Brighton Beach parlent une langue slave à la maison.
Dans les rues de ce quartier historique, les enseignes sont en cyrillique et arborent des drapeaux aux couleurs jaune et bleue de l’Ukraine.
Y sont aussi placardées des affiches contre la guerre.
« Amis russes perdus »
Mais le conflit a déjà fracturé la population de cette classe moyenne de Brighton Beach.
« Nous avons perdu beaucoup d’amis russes d’ici », déplore Liliya Myronyuk, une Ukrainienne de 56 ans qui habite à Little Odessa depuis 18 ans.
« Je vis comme en guerre, pour moi, c’est chaque jour la guerre », confesse-t-elle à l’AFP avant d’éclater en sanglots en évoquant les « souffrances » de ses proches en Ukraine.
Pour Mme Myronyuk, « beaucoup de Russes sont pour (le président russe Vladimir) Poutine » même si « la majorité des gens sont en faveur de la paix ».
Avant que le gouvernement américain ne coupe la diffusion de médias russes, les chaînes comme RT étaient les seules sources d’information pour nombre de personnes âgées qui ne parlent pas l’anglais.
Liliya Myronyuk, Ukrainienne, admet même que si elle devait encore « passer trois jours à regarder la télé russe », elle « finirai(t) par haïr l’Ukraine ».
De fait, « la communauté de Brighton Beach est la cible depuis trop longtemps de la propagande russe », juge Victoria Neznansky, une psychothérapeute de 60 ans, venue d’Odessa avec ses parents en 1989.
Désormais, certains habitants « ne savent plus qui croire » et considèrent l’Ukraine comme « un pays étranger occidental qui a trahi la Russie », pense-t-elle.
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