Aleinou : un pied français dans la politique israélienne
Divisée et hétéroclite, la communauté française en Israël forte de quelque 150 000 membres a, jusqu’à présent, échoué à faire entendre sa voix. Aleinou veut changer la donne

Au lendemain de vagues d’immigration record des Français en Israël, le bilan est mitigé… Peu le disent de manière officielle, mais le taux de
« yerida », ces personnes qui repartent en France après avoir tout misé sur la Terre promise dépasserait largement les 10 % reconnus officiellement.
Difficulté d’intégration, difficultés à apprendre l’hébreu, incapacité à trouver un emploi adapté à ses compétences, enfants à la déroute dans un système scolaire très différent… Les obstacles ne manquent pas pour ceux qui ont choisi de tout plaquer après l’Hyper Cacher de Vincennes. Alors, dans un pays qui jurait qu’il les accueillerait à bras ouverts mais qui, au-delà des six mois de lune de miel, fait bien peu pour eux, quelles sont les options ?
Une vision des choses « défaitiste et inexacte » que ne partagent as Yomtob Kalfon, avocat à Tel Aviv, ex-coordinateur du lobby francophone à la Knesset et Arie Abitbol, directeur des programmes d’intégration à l’Expérience israélienne et ancien délégué de l’Agence juive à Paris, les fondateurs du nouveau mouvement politique francophone Aleinou.
« On ne peut ignorer le fait que les autorités politiques ont du mal à comprendre les besoins des olim en général et des francophones en particulier. Mais de l’autre côté, c’est lié au fait que nous n’avons pas de force politique ».

La faute à des divisions, à des querelles de clochers et d’egos récurrentes, et surtout à la dispersion d’une communauté bien plus hétéroclite que celle des Russes, « les grands frères », dont chacun vante et envie la réussite… Aujourd’hui, avec Avigdor Liberman et son parti Israel Beytenu, la communauté russe israélienne s’est imposée comme un exemple, une force politique avec laquelle le Premier ministre Netanyahu doit nécessairement composer s’il veut garder sa coalition au pouvoir.
Certes, les chiffres ne sont pas comparables : 1 000 000 de Russes, contre 150 000 francophones. N’empêche. Ces cinq dernières années, l’alyah de France a été la plus importante avec 30 000 nouveaux venus, cela commence à peser. Alors pourquoi les francophones continuent de se sentir peu entendus dans leur nouveau pays ?
L’exemple russe
Pour Yomtob Kalfon, il est temps de faire enfin entendre la voix des Français en Israël. Pour y arriver, Aleinou joue la carte locale et l’originalité.
Plus qu’un parti politique francophone à l’échelle nationale « qui aurait peu de chances d’aboutir », selon son fondateur, Aleinou, fort d’une quinzaine de membres actifs, se pose comme une plate-forme dont l’objectif est de « placer », lors des élections municipales d’octobre prochain, un maximum de représentants dans les villes qui accueillent d’importantes communautés françaises : Jerusalem, Tel Aviv, Ashdod, Raanana, Netanya, Givat Shmuel ou encore Bat Yam.
En Israël, seules deux élections rythment en effet la vie quotidienne. Les municipales et les législatives. Et si les quelques Français qui ont tenté une incursion à la Knesset s’y sont cassés les dents, l’ambition municipale semble plus accessible et peut-être même plus efficace.
Même si, jusqu’ici, les listes francophones en lice n’ont pas rencontré leur public… « A Raanana, Ashdod, on a déjà vu passer plusieurs listes francophones et ça n’a jamais marché. Regardez les résultats ‘Raanana plus’, même à Netanya, LA ville francophone, on ne voit quasi pas de Français au conseil municipal », rappelle un observateur avisé de la politique israélienne.
« Ici les ego n’ont pas leur place »
Yomtob Kalfon lui veut y croire, estimant que même un succès relatif serait une avancée considérable. Aleinou présentera une liste indépendante en son nom là où cela peut être utile, ou « placera simplement des francophones » sur d’autres listes.
« Ici, les ego n’ont pas leur place. Les équipes se font par ville et toutes les bonnes volontés sont les bienvenues ».
Dernier succès en date, avant même les élections municipales d’octobre : l’élection du canadien francophone Dan Illouz à Jérusalem.
« Aleinou a rencontré plusieurs fois Ofer Berkovitch le chef de la liste Itorerout à Jérusalem, pour le convaincre que les francophones devaient devenir une force politique », raconte le nouveau conseiller.
« Le parti a voté en grande majorité pour soutenir ma candidature ».
Dan Illouz, qui a grandi dans une famille juive marocaine au Canada, s’est rapidement investi dans la vie politique israélienne après avoir fait son alyah, d’abord au Likud puis auprès du maire de la ville, Nir Barkat, qui a désormais jeté son dévolu sur la Knesset.
Rachel Touitou, elle aussi politisée très jeune, n’a pas hésité une seule seconde à rejoindre l’équipe d’Aleinou à Raanana. 26 ans et encartée au Likud depuis quatre ans, elle décrit avec enthousiasme le projet : « Nous voulons qu’un maximum d’olim nous rejoignent. Ils doivent comprendre que plus nous serons nombreux, plus nous serons entendus. Et ce, quelle que soit sa nationalité ou son appartenance politique ».
Les olim francophones peu entendus
Aleinou affirme aujourd’hui n’avoir aucune ambition nationale.
« De nombreuses questions liées à l’intégration se jouent à l’échelle municipale, affirme Yomtob Kalfon. Une grande partie des budgets publics liés à l’intégration sont dispatchés par les collectivités », comme les activités pour les adolescents livrés à eux-mêmes à partir de 13h en Israël où les cours s’arrêtent à la mi-journée, mise en place de cantine scolaire, harmonisation des soutiens en Français selon les écoles…
« A Raanana par exemple, où la majorité des francophones sont des familles, il faut régler principalement des questions scolaires. Mes enfants ont-ils droit à des heures de soutien ? A des cours traduits en français ? Certaines écoles respectent certaines règles, assurent des droits aux olim et d’autres non. Il faut harmoniser tout ça », soutient Rachel Touitou.
Les besoins ne manquent pas et les solutions pour améliorer le quotidien de ces 30 000 Français, encore fraichement olim, seraient parfois faciles à mettre en place, pour peu qu’ils soient connus et relayés auprès des décideurs.
« Aujourd’hui, on compte au mieux un interlocuteur français dans des mairies où vivent pourtant des milliers de francophones, c’est bien trop peu ! », rappelle Yomtob Kalfon. « Il est indispensable que plusieurs conseillers municipaux servent de pont entre la communauté francophone et la mairie », renchérit Dan Illouz.
« Parfois, la mairie a de bons projets pour aider les olim, mais ceux-ci ignorent simplement qu’ils existent ! Un conseiller municipal qui, non seulement maitrise les deux langues, mais aussi sait comment fonctionne la communauté qu’il représente peut changer cette réalité ».