Après 12 années Netanyahu, le changement au pouvoir réaffirme la démocratie
L'homme a utilisé de formidables compétences politiques pour se maintenir à son poste depuis 2009. Ses rivaux ont fait la preuve des leurs - et ont réussi à l'écarter légitimement
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
L’élection d’un nouveau gouvernement en Israël, dimanche, par une majorité (très) étroite (60 voix contre 59) ne marque pas un changement idéologique spectaculaire, même si les huit partis qui le constituent sont issus de l’ensemble du spectre politique.
La Knesset choisie par les électeurs, le 23 mars, penchait majoritairement à droite. Et si Benjamin Netanyahu avait démissionné au cours des dernières semaines, comme l’a fait remarquer à juste titre Nir Barkat, son successeur potentiel, dans un entretien télévisé qui a été diffusé samedi soir, cette majorité au Parlement aurait débouché sur une autre coalition de droite.
Ce que ce changement de gouvernement signale néanmoins de manière cruciale, c’est la réaffirmation déterminante du processus démocratique – et il a eu lieu malgré le climat de diabolisation largement promu par Netanyahu, les accusations de tromperie proférées à l’encontre de certains membres de la nouvelle coalition et les menaces de violences.
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Netanyahu et ses fidèles ont qualifié « d’illégitime » sa mise à l’écart du pouvoir – la plus grande fraude jamais connue dans toute l’Histoire d’Israël et des démocraties mondiales, a estimé Netanyahu lui-même. De nombreux députés qui siégeront dorénavant sur les bancs de l’opposition ont répété cette accusation au cours du chahut scandaleux qui a accompagné tout le discours prononcé par Naftali Bennett à la Knesset, dimanche soir ; ce dépit orchestré, ainsi que la longue allocution railleuse et déshonorante de Netanyahu, ont contrasté de manière désolante avec les efforts livrés par le nouveau Premier ministre pour parler de réconciliation.
Ce changement de gouvernement n’est, bien entendu, ni frauduleux, ni illégitime. Il reflète plutôt de manière appropriée la composition d’une majorité parlementaire étroite unie par la conviction que mettre un terme à la mainmise, depuis 12 ans, de Netanyahu sur le pouvoir – comme l’a dit pendant la campagne électorale le chef de Tikva Hadasha, Gideon Saar – est la nécessité politique la plus urgente pour l’État juif.
Le nom ‘Benjamin Netanyahu’ et le titre ‘Premier ministre’ sont devenus presque des synonymes en Israël. Une jeune génération qui a grandi ici n’a jamais connu d’autre Premier ministre
Le nom ‘Benjamin Netanyahu’ et le titre ‘Premier ministre’ sont devenus presque des synonymes en Israël. Une jeune génération qui a grandi ici n’a jamais connu d’autre Premier ministre.
Ce Premier ministre, resté pendant un nombre record d’années à sa fonction, a utilisé toute une gamme de compétences formidables pour conserver le pouvoir durant 4 457 jours (c’est le chiffre avancé par les statisticiens) depuis 2009. Et aujourd’hui, ses rivaux ont mobilisé leurs propres compétences pour le renvoyer sur les bancs de l’opposition.
Une coalition de consensus sous peine d’effondrement
Alors qu’elle vient tout juste d’être approuvée, certains analystes ont d’ores et déjà estimé que cette coalition largement improbable ne pourrait être qu’éphémère – un député, ici ou là, ayant littéralement à lui seul le pouvoir de décourager toute initiative qu’elle serait amenée à entreprendre. Une fragilité qui a été encore davantage soulignée par l’abstention, lors du vote de confiance, du député Said al-Harumi (Raam), qui a réduit la majorité attendue de 61 contre 59 à 60 contre 59.
Netanyahu – qui a déclaré dimanche que l’alliance ne méritait pas d’être à la tête d’Israël ne serait-ce qu’une journée et qui a ajouté qu’en « Iran, on fête l’arrivée du nouveau gouvernement » – a promis de renverser ce dernier « plus rapidement que vous pourriez le croire ». Ses partenaires politiques ultra-orthodoxes de longue date jurent de leur côté de l’aider à le faire.
Mais Netanyahu est précisément le ciment qui maintient la coalition. Plus il sera déterminé à se battre pour reprendre le pouvoir, plus il renforcera l’union de cette combinaison impensable d’adversaires qui, aujourd’hui, s’est hissée à la barre du pays.
Et dans la mesure où ces adversaires ne garantiront leur survie qu’en travaillant tous ensemble, ce gouvernement – le moins cohérent au niveau idéologique de toute l’Histoire d’Israël – devra, par définition, fonctionner sur la base du consensus. Ce qui limitera sa capacité à prôner des politiques et des législations clivantes et l’obligera à se focaliser sur des questions d’intérêt large. Après deux années de paralysie politique et de dysfonctionnement gouvernemental, ces questions à résoudre sont nombreuses.
Le document qui orientera la nouvelle coalition, sa liste de « principes essentiels », évoque nécessairement de tels points de consensus – l’enquête sur la catastrophe du mont Meron, la construction d’hôpitaux et d’aéroports, la lutte contre le crime dans le secteur arabe, l’abaissement des prix du logement et quantité d’autres dossiers similaires auxquels un gouvernement israélien compétent aurait dû accorder la priorité depuis bien longtemps. Il y a aussi ici une opportunité de renforcer la lutte -négligée – contre le fléau de la corruption financière, notamment en renforçant les moyens de la police et des procureurs de l’État. De la même manière, le nouveau gouvernement s’est engagé à adopter rapidement un budget de l’État – rectifiant ainsi cette situation exécrable où, à cause des manœuvres politiques de Netanyahu, le pays a fonctionné sans réactualisation de budget depuis la fin de l’année 2019.
La nouvelle coalition ne pourra être qu’un gouvernement de guérison nationale. Il ne sera pas un gouvernement le cas échéant
La nouvelle coalition ne pourra être qu’un gouvernement de guérison nationale. Il ne sera pas un gouvernement le cas échéant. En se rassemblant, les leaders de Yesh Atid, de Yamina, de Kakhol lavan, de Yisrael Beytenu, du parti Travailliste, de Tikva Hadasha, du Meretz et de Raam ont publiquement reconnu qu’ils devraient mettre de côté un grand nombre de leurs propres objectifs idéologiques au nom d’une cause plus importante, celle du consensus de coalition. Si certains devaient oublier cette nécessité, les alliances en subiront les conséquences. « Nous ferons avancer ce sur quoi nous sommes d’accord », a dit Bennett dans son discours de dimanche. « Nous mettrons de côté, dorénavant, ce sur quoi nous sommes en désaccord ».
Les crises partout
Aussi large, aussi divers soit-il, le nouveau gouvernement n’est pas – c’est le moins qu’on puisse dire – au goût de tous les Israéliens, et il n’inspire pas confiance à tous les citoyens. C’est loin d’être le cas.
Bennett lui-même avait échoué à remporter suffisamment de votes pour entrer à la Knesset il y a deux ans seulement ; il n’a pas été en mesure de maintenir l’unité au sein de son petit parti Yamina alors même qu’il tentait d’œuvrer en faveur de la coalition, ces dernières semaines ; il a fait volte-face, à maintes reprises, concernant un éventuel partenariat avec Netanyahu à l’issue du scrutin du mois de mars. Rien de tout cela n’incite à faire confiance à celui qui a dorénavant la responsabilité ultime de la prise de décision – essentielle pour garantir la sécurité du pays.
Le potentiel de crise est immédiat, et il est fort. Une « marche des drapeaux » controversée est prévue mardi à Jérusalem. Le Hamas menace. Les expulsions de familles palestiniennes du quartier Sheikh-Jarrah, à Jérusalem-Est, sont une bombe à retardement. Les ennemis d’Israël vont chercher à tester les nouveaux dirigeants ; les amis d’Israël vont observer avec inquiétude la façon dont le gouvernement va gérer les choses.
De tels défis sont finalement le lot commun pour tous les nouveaux gouvernements qui sont, par définition, inexpérimentés. L’une des raisons pour lesquelles il était devenu si difficile de déloger Netanyahu, cela avait été que les Israéliens savaient pertinemment que tout successeur éventuel serait moins chevronné, moins bien placé, moins familier de ce terrain miné qu’est la sauvegarde d’Israël, à l’intérieur et à l’étranger.
Et – ce qui est remarquable – c’est que ces préoccupations ont été finalement mises de côté par 60 parlementaires issus de huit partis, qui ont été moins mobilisés par Bennett que par celui qui a l’intention de lui succéder en date du 27 août 2023, Yair Lapid, le dirigeant de Yesh Atid à l’origine de cette coalition improbable.
La capacité d’Israël à changer de leadership – par le biais d’un transfert de pouvoir amer et peu édifiant, certes, mais néanmoins approprié – a été à nouveau démontrée dimanche et réaffirmée après douze ans. Et si cette coalition ne devait rien faire d’autre, cet accomplissement en soi est déjà vital et extraordinaire.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel