Aviva Siegel : « L’exécution des 6 otages sape mes espoirs de retrouver mon mari »
Cette ex-otage, qui a survécu à 51 jours de captivité à Gaza, ignore si son époux depuis 40 ans est toujours en vie, ni quelles tortures il subit s'il l'est encore
Alors que l’otage libérée Aviva Siegel écoutait les parents du captif assassiné Hersh Goldberg-Polin faire son éloge funèbre, son esprit s’est tourné vers son époux, toujours détenu dans les geôles du groupe terroriste palestinien du Hamas.
« Cela aurait pu être Keith », a-t-elle pensé.
Hersh était l’un des six otages brutalement exécutés dans un tunnel du Hamas à la fin du mois dernier et dont les corps ont été récupérés par l’armée israélienne le 1er septembre.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Mon cœur s’est brisé pour eux », a déclaré Aviva, qui s’est récemment entretenue avec le Times of Israel au siège du Forum des familles des otages et disparus, à Tel Aviv.
« J’ai été avec eux pendant des mois, tant d’heures et tant de fois. Je connais Hersh parce qu’ils ont parlé de lui. C’est un choc total pour moi. »
Dix mois se sont écoulés depuis qu’Aviva a été libérée de la captivité du Hamas, le 26 novembre. Cinquante et un jours plus tôt, elle et son mari, Keith, 65 ans, avaient été pris en otage le 7 octobre dans leur maison du kibboutz Kfar Aza.
Dans les jours qui ont suivi sa libération, malgré une infection persistante à l’estomac et l’épuisement profond dû à sa captivité, Aviva s’est jointe aux rassemblements nationaux de soutien aux otages, ainsi qu’à un cercle plus restreint de huit familles ayant la double nationalité américaine et retenues en otage.
Keith, son époux depuis plus de 40 ans, est un citoyen américain qui a quitté la Caroline du Nord pour s’installer en Israël en 1980 et qui est tombé amoureux d’Aviva, une immigrante sud-africaine arrivée en Israël alors qu’elle était enfant.
Depuis décembre, Aviva, les Goldberg-Polin et les autres familles de citoyens américains détenus à Gaza, ont rencontré des représentants de l’administration américaine en Israël et à Washington plus d’une dizaine de fois et cherchent par tous les moyens à ramener leurs proches à la maison.
La nouvelle de l’exécution de Hersh, 23 ans, Eden Yerushalmi, 24 ans, Ori Danino, 25 ans, Almog Sarusi, 25 ans, Alex Lubnov, 32 ans et Carmel Gat, 40 ans, ainsi que d’autres détails apparus plus tard sur les conditions inhumaines dans lesquelles ils étaient détenus, ont ramené Aviva à sa propre période retenue à Gaza.
« J’étais dans un tunnel exactement comme celui-ci », a-t-elle dit en montrant le croquis d’un passage sinueux où il n’y avait pas assez de place pour se tenir droit ni d’air pour respirer.
Aviva se souvient d’avoir regardé ses ravisseurs alors qu’ils descendaient dans les tunnels le 7 octobre et de s’être dit : « Ce sont des terroristes, ce ne sont pas des gens comme les autres. »
« Chaque fois qu’il se passait quelque chose, je me disais ‘tu vas vivre des choses encore pires’, et c’est ce qui s’est passé. »
Il y avait de l’inconfort, de la famine et une terreur totale pendant sa captivité, en plus d’une peur profonde pour Keith et les autres otages, dont des jeunes femmes.
« C’était trop pour moi quand ils l’ont blessé, et ils ont blessé son âme, ils ont blessé son cœur et l’ont torturé et menacé et affamé », a déclaré Aviva.
« Je pouvais me débrouiller seule, mais les voir lui faire ça, c’était trop pour moi. »
Keith a eu les côtes cassées et la main blessée lors de l’attaque du Hamas, le 7 octobre. Lorsque le couple a été emmené de force à Gaza, ils ont reçu des bandages et de la pommade, mais pas d’eau pour nettoyer les blessures.
« Il n’a fait que souffrir », a déclaré Aviva, qui n’a cessé d’appliquer de la pommade sur sa blessure.
« Nous étions torturés en permanence. Ils rendaient la pièce aussi sombre que possible – on ne voyait rien – et ils m’éclairaient le visage avec une lampe de poche. »
« Il était impossible de dormir, on ne se reposait que par bribes, quelques minutes à la fois. » Aviva dit qu’elle dort maintenant, mais qu’elle fait constamment des cauchemars sur Gaza.
« Nous avions constamment peur de tout, nous pensions toujours qu’ils allaient nous tuer », a continué Aviva.
« Ils avaient leurs armes sur eux en permanence, devant nous, juste pour voir quelle serait notre réaction. Il fallait leur dire ‘Tamam’, ce qui signifie en arabe ‘pouce’, ‘tout va bien’, même si rien n’allait. »
Les jeunes Israéliennes maintenues en captivité aux côtés des Siegel sont devenues les esclaves de leurs ravisseurs, obligées de nettoyer et de balayer pour eux, et constamment agressées par les terroristes, les yeux bandés et traînées par les cheveux.
Aviva ne mentionne pas le nom des jeunes femmes, car elles sont toujours retenues en otage, sans que l’on sache ce qu’elles sont devenues.
Elle est capable de décrire en détails les moments de ces longues et terrifiantes semaines.
Certains jours, elles n’étaient pas nourries ou ne recevaient qu’une demi-pita, souvent moisie. Aviva gardait souvent des morceaux de pita pour Keith, afin de lui permettre de garder des forces.
Elle et son mari ont été déplacés treize fois au cours de leurs 51 jours de captivité, et ils ont parfois pu voir à quoi ressemblait Gaza lorsqu’ils étaient transférés en voiture : des bâtiments imposants et inachevés, des ordures partout, des ânes, des chiens et des chats dans un état squelettique, et une puanteur épouvantable.
Pendant les semaines de captivité, ils ont surtout vu des hommes, même si Aviva se souvient d’avoir été enfermé dans une maison avec l’épouse de son ravisseur et ses trois enfants. À un moment donné, le terroriste a dit à sa femme de retirer le hijab qu’Aviva avait été forcée de porter, mettant les deux femmes l’une face à l’autre.
« Je l’ai regardée droit dans les yeux. J’ai attendu qu’elle me regarde et qu’elle voit tout ce qu’il y avait dans mon cœur », a-t-elle expliqué.
« Elle s’est retournée et je me souviens de ses yeux, je me souviens de ce à quoi elle ressemblait. Peut-être que j’ai aussi eu pitié d’elle, d’être là avec lui. »
Le couple sentait qu’il allait mourir, et cette peur les accompagnait en permanence, a dit Aviva.
Elle espérait mourir en premier pour ne pas avoir à voir Keith mort à ses côtés.
« On a l’impression d’être oublié », a-t-elle poursuivi.
« Quelqu’un a demandé quel jour on était, et ce jour-là, c’était le 35e jour. Nous nous regardions, incrédules, en pensant que cela faisait déjà 35 jours. »
Elle a ensuite hoché sa tête aux boucles grises, en pensant que cela faisait maintenant dix fois plus de jours depuis le 7 octobre.
Suite aux récentes informations sur les tunnels où Hersh, Ori, Eden, Alex, Carmel et Almog ont été détenus, Aviva a rappelé combien de fois elle a décrit le même type de tunnels et les mêmes conditions au cours des derniers mois.
« J’ai parlé de ces choses », a-t-elle souligné, décrivant l’infection à l’estomac dont elle souffrait, sa perte de dix kilos en 51 jours, les ecchymoses que lui ont infligées ses ravisseurs et le peu d’air pour respirer sous terre.
« Nous n’avions pas d’oxygène, nous étions à deux heures de mourir, nous ne pouvions pas respirer », a-t-elle martelé.
« Nous devions nous allonger et réfléchir si nous allions survivre et essayer de nous concentrer là-dessus. »
Aujourd’hui, tant de mois plus tard, Aviva veut croire que le Premier ministre Benjamin Netanyahu fait tout ce qu’il peut pour faire sortir les otages, mais dit qu’elle n’en voit pas la preuve.
« J’ai besoin de Bibi parce qu’il est le seul à pouvoir faire sortir Keith », a déclaré Aviva, qui se décrit comme une personne apolitique.
« Si je perds espoir, je vais me briser en mille morceaux, encore plus que je ne le suis déjà. »
C’est pourquoi elle reste active et milite en faveur de Keith et des jeunes femmes retenues en otage.
Elle n’est pas sûre que son époux soit encore en vie, et même s’il a survécu, elle ne sait pas s’il rentrera un jour à la maison.
Et « aucune fille ne devrait être allongée sur un matelas, terrifiée à l’idée d’être touchée ou violée à nouveau, frappée, affamée ».
La dernière fois que Aviva a vu Keith, c’était le jour de sa libération. Ils étaient tous deux détenus dans des chambres distinctes et n’avaient pas discuté de ce qui se passerait si l’un d’entre eux était libéré avant l’autre.
Keith n’avait jamais mentionné à ses ravisseurs du Hamas qu’il avait la double nationalité américaine, car il craignait que les Américains ne le libèrent et ne laissent Aviva à Gaza.
Alors que Aviva était emmenée hors de l’appartement ce 26 novembre, elle a poussé son ravisseur avec force pour aller voir Keith et lui dire de rester fort pour elle, ne sachant toujours pas si elle allait être tuée ou relâchée.
« Ils lui avaient couvert les yeux et Keith tremblait », a confié Aviva.
« Je l’ai vu regarder [vers] le plafond et il était très, très triste parce qu’il était seul. »
Pendant les heures qu’a duré la procédure de libération, Aviva a été détenue avec plusieurs otages thaïlandais qui allaient également être relâchés, dans un immense espace rempli de terroristes du Hamas. Ils étaient tous habillés, a-t-elle dit, « comme les Tortues Ninja », avec des masques verts couvrant leurs visages.
Elle a ensuite été placée dans une camionnette avec deux jeunes otages, les sœurs Ella et Dafna Elyakim, qui ne savaient pas que leur père, Noam, avait été tué le 7 octobre et qui attendaient avec impatience de pouvoir dire à quelqu’un que le doigt d’Ella, blessé lors de leur enlèvement, avait été soigné par un vétérinaire gazaoui qui n’avait pas utilisé d’analgésiques.
Aviva s’est également assise à côté d’Elma Avraham, 84 ans, qui a frôlé la mort après des semaines de captivité, les jambes meurtries et enflées, les extrémités froides, tandis que Aviva la massait et lui faisait boire de l’eau. Elma a été hospitalisée dans un état grave à son retour, mais s’est finalement rétablie.
Même lorsque Aviva a enfin vu un soldat israélien et réalisé qu’elle était de retour en territoire israélien, sa plus grande crainte, outre la survie de Keith, était de savoir si son fils Shaï, qui vivait également à Kfar Aza, était encore en vie après le 7 octobre.
« J’ai demandé, et quelqu’un m’a appelé et m’a dit :’ Vous avez quatre enfants’ », a-t-elle rapporté.
« Le soulagement n’était pas total parce que Keith était [encore] là-bas, mais je pleurais, je pleurais, je pleurais. »
Quelques jours plus tard, Aviva s’est exprimée publiquement lors de rassemblements et à la Knesset, mais il est plus difficile de garder espoir depuis l’assassinat des six otages, a-t-elle déclaré. Elle s’est dit qu’il serait peut-être préférable d’espérer que Keith ne soit plus en vie, compte tenu de la torture à laquelle il aurait dû survivre au cours des onze derniers mois.
« Peut-être qu’il ne souffrira plus, qu’il ne mourra plus de faim, qu’il n’aura plus peur. Et puis ma sœur m’a dit : ‘Tu es folle. Tu dois juste te ressaisir et être forte. Keith est là, il est fort pour rester en vie pour toi et les enfants’. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel