Israël en guerre - Jour 494

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Analyse

Comment le monde va-t-il réagir à l’annexion de la Cisjordanie ?

La communauté internationale s'oppose à cette initiative, mais que fera-t-elle? En cette période de pandémie, "peu de patience sera accordée à Israël", avertit un ex-chef du Mossad

Raphael Ahren

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le chef de la politique étrangère de l'Union européenne, Josep Borrell, s'adresse à la presse lors de la clôture d'une vidéoconférence des ministres des Affaires étrangères de l'UE à Bruxelles, le 22 avril 2020. (Olivier Hoslet, Pool Photo via AP)
Le chef de la politique étrangère de l'Union européenne, Josep Borrell, s'adresse à la presse lors de la clôture d'une vidéoconférence des ministres des Affaires étrangères de l'UE à Bruxelles, le 22 avril 2020. (Olivier Hoslet, Pool Photo via AP)

Le 16 novembre 1980, le Premier ministre Menachem Begin était interrogé lors d’une interview à la NBC sur la façon dont il pensait que la communauté internationale réagirait face à une annexion du plateau du Golan par Israël. À l’époque, un projet de loi étendant le droit israélien à la zone contestée avait été présenté à la Knesset, mais le gouvernement de Begin n’avait pas encore annoncé son soutien à cette initiative.

« Comme nous n’avons pas encore pris de décision à ce sujet, je pense qu’il est prématuré de parler de réactions », avait-il répondu au journaliste.

Environ un an plus tard, Begin a fait passer la loi sur le plateau du Golan à la Knesset. La réaction de la communauté internationale n’a pas été surprenante, le Conseil de sécurité des Nations unies condamnant l’annexion de facto d’Israël comme une « menace permanente pour la paix et la sécurité internationales ». La résolution 497 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui soutenait que la loi israélienne sur le plateau du Golan était « nulle et non avenue et sans effet », a été adoptée à l’unanimité – même l’administration Reagan a voté en sa faveur.

Avance rapide de quatre décennies : le Premier ministre Benjamin Netanyahu prévoit d’annexer toutes les implantations, la vallée du Jourdain et d’autres parties importantes de la Cisjordanie. L’accord de coalition entre son parti, le Likud, et le parti Kakhol lavan de Benny Gantz doit lui permettre de faire avancer la question dans le prochain gouvernement, et ce dès le 1er juillet.

Comment la communauté internationale réagirait-elle à ce type d’annexion israélienne ? Il y aurait certainement beaucoup d’opprobre, des « réunions d’urgence » du Conseil de sécurité et de la Ligue arabe, et peut-être quelques menaces de « conséquences » non précisées.

Mais personne ne sait avec certitude si l’annexion de Netanyahu – dont l’impact réel sur le terrain est difficile à prévoir – aurait des répercussions négatives concrètes pour Israël, sous l’impulsion de la communauté internationale.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (G) et l’ambassadeur américain en Israël David Friedman (2e G) dans l’implantation d’Ariel, au nord de la Cisjordanie, le 24 février 2020. (Crédit : David Azagury/Ambassade des États-Unis à Jérusalem)

L’Union européenne adopterait-elle des sanctions contre Israël, comme elle l’a fait contre la Russie après son annexion de la Crimée en 2014 ? Bruxelles pourrait, par exemple, geler certains accords bilatéraux, suspendre la coopération scientifique, annuler les tarifs préférentiels qu’elle accorde aux produits israéliens ou interdire totalement les marchandises de Cisjordanie. Certains États membres pourraient rappeler leurs ambassadeurs ou reconnaître un État palestinien.

« Les réponses varient selon les pays, mais à ce stade, les conséquences concrètes de l’annexion n’ont pas encore été précisées », a déclaré Nimrod Goren, le chef de Mitvim – l’Institut israélien pour les politiques étrangères régionales. « Le type d’annexion que M. Netanyahu choisira finalement d’engager aura un impact sur la sévérité de la réponse internationale. La réaction des Palestiniens sur le terrain – qu’elle soit violente ou non – sera également un facteur déterminant. »

De nombreux pays ont récemment souligné que les annexions unilatérales représentent une violation du droit international, ce qui, selon M. Goren, montre que les contestations de la décision de Netanyahu se feraient non seulement au niveau bilatéral mais aussi dans l’arène juridique internationale.

Mais étant donné que l’ONU et l’UE sont « limitées dans leur réponse à l’annexion en raison du veto possible des alliés d’Israël sur place, Israël doit s’attendre à un recul important de pays comme la France, l’Allemagne et la Jordanie », a-t-il déclaré.

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas s’exprime lors d’une réunion du Conseil de sécurité au siège des Nations unies, le 11 février 2020. (Seth Wenig/AP)

Les États-Unis ont récemment réitéré leur soutien à une annexion israélienne, pour autant que cela se fasse dans le cadre du soi-disant « deal du siècle » du président Donald Trump. L’administration est sûre d’opposer son veto à toute tentative de condamnation de l’initiative israélienne, mais à l’Assemblée générale des Nations unies, une résolution (non contraignante) serait adoptée à une écrasante majorité.

L’heure n’est pas aux menaces ?

La semaine dernière, lors de la publication de l’accord de coalition Likud-Kakhol lavan, des responsables du monde entier ont mis en garde le nouveau gouvernement israélien contre l’annexion. Le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, a déclaré de façon menaçante que Bruxelles « surveillerait de près la situation et ses implications plus larges, et agirait en conséquence ».

Certains États membres de l’UE ont estimé que dans le contexte de la pandémie de coronavirus, ce n’était « pas le moment des menaces » et ont bloqué les efforts pour publier la déclaration de Borrell au nom de l’ensemble du bloc, a déclaré un fonctionnaire israélien au Times of Israël.

Pourtant, aucun pays hormis les États-Unis n’a apporté son soutien à une annexion israélienne, et même nombre de ses amis proches l’ont clairement déconseillé. L’Allemagne a déclaré que cela aurait « des répercussions négatives graves sur la position d’Israël au sein de la communauté internationale », et la France a averti que cela « ne passerait pas inaperçu et ne serait pas négligé dans nos relations avec Israël ».

D’autres pays, dont la Russie, la Chine, la Belgique, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie et la Norvège, ont fait des déclarations similaires.

Les dirigeants palestiniens ont salué « l’engagement global et de principe en faveur de l’application permanente et universelle du droit international, qui interdit strictement l’annexion », et ont appelé à « des mesures préventives et concrètes » contre Israël.

Il n’y a aucun moyen de savoir si le monde tiendra compte de l’appel de Ramallah, mais Israël ne devrait pas attendre pour le savoir, a déclaré Yigal Palmor, un ancien porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères et aujourd’hui haut fonctionnaire de l’Agence juive.

« Ignorer les avertissements et les admonitions n’est pas une bonne politique, aussi imprécises que soient les menaces », a-t-il déclaré. « Ces signes publics de ressentiment ne doivent pas être écartés, mais plutôt pris en compte et soigneusement pesés contre toute mesure prévue. »

Les partisans de l’annexion prédisent souvent que le monde exprimera sa désapprobation pendant quelques semaines et adoptera peut-être quelques résolutions édulcorées, mais qu’en fin de compte la caravane avancera, sans davantage qu’une égratignure sur le statut international d’Israël. Si Begin s’était inquiété de la réaction du monde, il n’aurait jamais annexé le Golan, ni Jérusalem-Est (en adoptant une loi fondamentale déclarant la ville unifiée capitale d’Israël en juillet 1980), affirment-ils.

Le point numéro un de notre liste de nécessités est de rétablir la santé et l’économie d’Israël. Il devrait supplanter tout autre type de considération, y compris l’annexion politique de zones que nous contrôlons de toute façon

En revanche, le député Yair Lapid, nouveau chef de l’opposition, est convaincu que l’application de la souveraineté sur certaines parties de la Cisjordanie causerait réellement de « grands dommages » à l’État juif. Une telle décision déclencherait des « réactions sévères » de la part des Palestiniens, des Jordaniens, de la prochaine administration américaine (au cas où les démocrates reprendraient la Maison Blanche plus tard dans l’année) et bien sûr des Européens, a-t-il déclaré cette semaine.

D’autre part, Maya Sion Tzidkiyahu, qui dirige le programme de Mitvim sur les relations entre Israël et l’Europe, a noté qu’il a été pratiquement impossible d’obtenir l’accord des 27 États membres de l’UE sur des déclarations critiques à l’égard d’Israël.

« Par conséquent, il est raisonnable de s’attendre à ce que la menace de l’UE soit plus forte que sa sanction », a-t-elle déclaré.

Bruxelles ne devrait pas prendre de mesures sévères, telles que la suspension de l’accord d’association, le principal accord entre les deux parties, a-t-elle poursuivi. Toutefois, elle peut encore envisager d’autres mesures, comme l’exclusion d’Israël du programme de recherche et d’innovation de l’Union. Cela serait douloureux pour la nation autoproclamée « Start-up », mais aussi pour l’UE elle-même, selon Sion Tzidkiyahu.

« Une certitude est que dans un tel scénario dramatique, Israël pourrait toujours compter sur l’Allemagne pour adoucir le coup de bâton de l’UE », a-t-elle déclaré.

Efraim Halevy, un ancien dirigeant du Mossad qui a également été ambassadeur d’Israël auprès de l’UE, a mis en garde contre toute mesure susceptible de contrarier les Européens.

« La relation d’Israël avec l’UE n’est pas seulement politique, elle est aussi économique, scientifique et technologique. Et alors qu’Israël est confronté à probablement la plus grande crise économique de son existence, pourquoi devrions-nous subir la colère des Européens ? », a-t-il déclaré au Times of Israël lors d’un entretien téléphonique cette semaine.

L’ancien chef du Mossad, Efraim Halevy. (Crédit : Flash90)

« Les dommages économiques qu’Israël subira même si les Européens n’annulent pas tous ces accords [bilatéraux] mais les mettent simplement en suspens, dépassent de loin tout ce que l’on peut imaginer aujourd’hui », a-t-il ajouté.

Avec plus d’un million de personnes sans emploi en raison de la pandémie de coronavirus, « pourquoi les dirigeants israéliens risqueraient-ils d’accroître les tensions avec l’UE, son plus important partenaire commercial ? », s’est interrogé M. Halevy.

« Dans la situation actuelle, où le monde entier est confronté à une crise sanitaire et économique sans précédent, il y aura peu de patience avec Israël », a-t-il averti.

« Nous sommes en terrain inconnu. Le point numéro un de notre liste de nécessités est de rétablir la santé et l’économie d’Israël. Il devrait supplanter tout autre type de considération, y compris l’annexion politique de zones que nous contrôlons de toute façon. »

Quelles seront les conséquences sur l’accord de paix avec la
Jordanie ?

En mettant en garde Israël contre l’annexion de la vallée du Jourdain, de nombreuses critiques ont dit que cela pourrait nuire à l’accord de paix froid mais stable de Jérusalem avec le Royaume hachémite.

« Il est possible que la Jordanie décide d’annuler l’accord de paix avec nous. Ils ont dit, presque explicitement, que de leur point de vue, cela pourrait conduire à l’annulation du traité de paix », a déclaré M. Lapid lors d’une conférence de presse en réponse à une question du Times of Israël.

« Presque » semble être le mot clé ici, car jusqu’à présent, Amman n’a pas expressément déclaré qu’elle romprait le traité de paix de 1994 avec Israël.

Dans une interview de septembre 2019, le roi Abdallah a averti qu’une annexion de la Cisjordanie aurait « un impact majeur sur les relations israélo-jordaniennes ». Mais il n’a pas menacé de couper les liens diplomatiques.

Le président américain Bill Clinton, au fond, applaudit alors que les soldats de l’armée jordanienne, à gauche, et ceux de l’armée israélienne se saluent à la fin de la cérémonie de signature du traité de paix Israël/Jordanie au poste frontalier de Wadi Araba, près d’Eilat, le 26 octobre 1994. (Crédit : AP/Marcy Nighswander)

Plus récemment, le ministre jordanien des Affaires étrangères Ayman Safadi aurait exhorté ses homologues de plusieurs pays à dissuader Jérusalem de ses plans d’annexion. Leur mise en œuvre serait « dévastatrice », marquerait la mort d’une solution à deux États et pourrait avoir des conséquences explosives pour la région, aurait-il prévenu ses interlocuteurs. Mais là encore, aucun mot sur la fin de l’accord de paix.

Halevy, qui en tant que haut responsable du Mossad a joué un rôle majeur dans l’établissement de relations diplomatiques entre Jérusalem et Amman, a déclaré qu’il était impossible de prévoir comment l’annexion affecterait le traité de paix.

« Il y a une énorme présence palestinienne en Jordanie. Personne ne peut vous dire pour l’instant quelles seront les réactions des anciens Palestiniens qui sont maintenant citoyens jordaniens », a-t-il déclaré. « Si vous regardez le Parlement jordanien et ainsi de suite, il est imprévisible. »

Il est certain que l’annexion de la vallée du Jourdain risquerait de détériorer considérablement des relations bilatérales déjà tendues, a-t-il souligné. « Une fois que l’on se trouve sur une pente glissante, personne ne peut rien prévoir. Et personne ne peut rien exclure non plus. »

Dan Shapiro, ancien ambassadeur américain en Israël et actuellement chercheur à l’Institut d’études de sécurité nationale de l’université de Tel Aviv, a convenu qu’il était impossible de prévoir comment le royaume réagirait à l’annexion, mais a suggéré qu’il maintiendrait probablement la paix avec Israël – simplement parce que cela serait mutuellement bénéfique.

L’ancien ambassadeur américain Dan Shapiro s’exprime lors d’un événement du Times of Israël à Jérusalem, le 2 juillet 2017. (Luke Tress/Times of Israël)

« Le traité de paix avec Israël sert les intérêts de la Jordanie, notamment par le biais d’une coopération bilatérale en matière de sécurité, et rend possible une relation étroite avec les États-Unis, qui fournissent une aide de quelque 1,3 milliard de dollars par an », a-t-il déclaré. « Le gouvernement jordanien serait très peu enclin à renoncer à ces avoirs. »

Michael Oren, ancien vice-ministre des relations internationales, l’a dit sans détour : « Le roi peut en effet rappeler son ambassadeur de Tel Aviv, suspendre un certain nombre d’accords bilatéraux et protester bruyamment auprès de l’Europe et du monde. Mais la Jordanie ne peut pas annuler le traité de paix et ses relations de sécurité avec Israël. Ce sont tout simplement des bouées de sauvetage », a-t-il déclaré au Times of Israël.

Néanmoins, Amman devra également gérer les opinions fortes de sa population, a averti M. Shapiro. « S’il y a une forte réaction populaire palestinienne à l’annexion, ou si l’Autorité palestinienne suspend sa coopération avec Israël ou commence à s’effondrer, le gouvernement jordanien pourrait faire face à une pression populaire importante pour changer sa position envers Israël. »

Daoud Kuttab, journaliste palestinien et directeur de la station de radio jordanienne Balad, a convenu qu’une annexion unilatérale de la vallée du Jourdain mettrait en péril le traité de paix.

« La Jordanie est peut-être un petit pays, mais elle a un dirigeant fort et courtois qui n’hésitera pas à prendre des décisions difficiles », a-t-il déclaré. « Je ne conseille pas aux Israéliens de mettre à l’épreuve la détermination de la Jordanie. C’est un des domaines où l’intérêt national et la position publique sont à l’unisson. »

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