Israël en guerre - Jour 490

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Analyse

Crise constitutionnelle à l’horizon, Esther Hayut montre qu’elle ne laissera pas faire

La cheffe de la Cour suprême a réagi aux mesures visant à neutraliser le système judiciaire et va tenter d’annuler la loi proposée par Yair Levin, qui pourrait lui être fatale

David Horovitz

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

La Présidente de la Cour Suprême, Esther Hayut, prend la parole lors d’une conférence à Haïfa, le 12 janvier 2023. (Crédit : Shir Torem/Flash90)
La Présidente de la Cour Suprême, Esther Hayut, prend la parole lors d’une conférence à Haïfa, le 12 janvier 2023. (Crédit : Shir Torem/Flash90)

Depuis jeudi soir, les deux branches réellement puissantes de la gouvernance israélienne – l’exécutif et le judiciaire – sont ouvertement en guerre.

Deux semaines après son entrée en fonction, le gouvernement d’extrême droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu a mis sur pieds des projets destinés à neutraliser la Cour suprême de justice, seule institution capable de réfréner les abus et excès du gouvernement.

La semaine dernière, le ministre de la Justice de Netanyahu, Yariv Levin, a présenté un programme très détaillé pour entraver la Cour, en la privant presque totalement de sa capacité à annuler les lois et décisions du gouvernement, en empêchant les juges de se référer au concept juridique de « caractère raisonnable » pour évaluer la légalité des lois et en donnant à la coalition gouvernementale une majorité au sein du comité chargé du choix des juges.

Mercredi, Levin a publié son projet de loi, que la coalition souhaite faire adopter à la hâte par le Parlement d’ici les deux prochains mois.

Jeudi soir, la Cour suprême a riposté.

S’exprimant lors d’une conférence consacrée au droit, la présidente de la Cour, Esther Hayut, a prononcé ce qui restera peut-être comme le discours le plus dur jamais prononcé par une dépositaire de la puissance publique de son niveau à la direction politique du pays.

À Levin, qui l’accusait la semaine dernière, elle et ses collègues, de subvertir la démocratie israélienne – « Nous allons aux urnes, votons, élisons, et à chaque fois, des gens que nous n’avons pas élus choisissent pour nous », affirmait-il – Hayut a reproché de se préparer à la détruire, avec ses comparses.

Lorsque la Cour intervient, a-t-elle expliqué, c’est « pour invalider des lois qui portent atteinte de manière disproportionnée aux droits constitutionnels fondamentaux, tels que le droit à la vie, à la propriété, à la liberté de mouvement et à la vie privée, ainsi que le droit fondamental à la dignité et par conséquent, le droit à l’égalité et à la liberté d’expression ».

Le ministre de la Justice Yariv Levin tient une conférence de presse à la Knesset, le parlement israélien à Jérusalem, le 4 janvier 2023. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

À Levin, qui affirme que les tribunaux foulent aux pieds, avec beaucoup d’arrogance, l’expression de la volonté de la majorité et ont de ce fait perdu la confiance de la nation, elle a répondu que ses partenaires de coalition et lui-même mettaient en place « une tyrannie de la majorité ».

À Levin, qui se présente volontiers comme celui qui va « réparer le système judiciaire » et renforcer la démocratie, Hayut reproche un grand « cynisme », assurant que ses propositions visent à « porter un coup fatal à l’indépendance et à l’autonomie du système judiciaire afin de le réduire au silence », changeant ainsi « l’identité démocratique du pays au-delà de ce qui est imaginable ».

Dans des interviews télévisées samedi soir, l’un des prédécesseurs de Hayut, Aharon Barak, après avoir dénoncé les réformes Levin soutenues par Netanyahu, annonciatrices selon lui de la fin de l’Israël moderne, a assuré qu’il aurait démissionné si elles avaient été adoptées de son temps.

« Je n’aurais eu aucune raison de rester en poste si l’on avait attendu de moi d’exaucer la volonté du Premier ministre, du gouvernement et de la Knesset », a déclaré Barak.

« Je n’aurais eu aucune légitimité en tant qu’autorité indépendante. »

Hayut a fait savoir jeudi que si l’indépendance judiciaire israélienne et elle-même devaient disparaitre, elles se battraient malgré tout jusqu’au bout.

Le projet de loi de Levin contient une disposition qui le met hors champ de compétence de la Cour suprême, de manière à empêcher Hayut et ses collègues de l’invalider…afin de les invalider eux-mêmes au final.

Si le projet de loi prospère rapidement à la Knesset et est effectivement promulgué, il y aura à n’en pas douter une pluie de recours auprès de la Cour Suprême, au motif qu’elle est mal conçue, antidémocratique et inconstitutionnelle.

Hayut a précisé, jeudi soir, en évoquant notamment l’obligation de la cour de respecter les « droits constitutionnels fondamentaux », que ses collègues juges et elle avaient l’intention de prendre en charge et statuer sur ces requêtes.

Levin et Netanyahu, après deux semaines à peine au pouvoir, ont plongé Israël dans une crise démocratique avec un projet de loi qui, en fin de compte, donne au Premier ministre les pleins pouvoirs ou presque.

Jeudi soir, le pays s’acheminait même vers une crise constitutionnelle, la Cour suprême faisant savoir, sans surprise, qu’elle ne renoncerait ni à son indépendance ni à ses responsabilités.

Le fait qu’une crise constitutionnelle frappe un pays dépourvu de constitution ne fait que compliquer davantage la riposte.

Comment cela pourrait-il se terminer?

Pas bien, c’est sûr.

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