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Dans l’Anatevka réelle, les réfugiés juifs d’Ukraine s’accrochent à leurs traditions

Malgré de lourdes dettes et des conditions physiques difficiles, le village, nommé d’après le shtetl du “violon sur le toit” sert de “communauté vivante et palpitante” pour les résidents juifs

Le grand rabbin d'Ukraine Moshe Azman, fondateur de la communauté d'Anatevka près de Kiev, en Ukraine, le 29 février 2016. (Crédit : R. Litevsky/autorisation du bureau du rabbin Moshe Azman)
Le grand rabbin d'Ukraine Moshe Azman, fondateur de la communauté d'Anatevka près de Kiev, en Ukraine, le 29 février 2016. (Crédit : R. Litevsky/autorisation du bureau du rabbin Moshe Azman)

ANATEVKA, Ukraine (JTA) – A 53 ans, Sergey et Elena Yarelchenko ont fui leur ville natale de Lugansk avec trois valises et emménagé dans une chambre en bois d’un camp de réfugiés boueux en banlieue de Kiev.

Comme des centaines de milliers de réfugiés de l’est ukrainien, déchiré par la guerre, la vie pour ce couple juif a basculé en 2014 d’une existence bourgeoise normale à une lutte infernale pour la survie et la fuite d’une ville qui est en quelques jours devenue l’arène des vicieux combats urbains entre troupes gouvernementales et séparatistes pro-russes.

Mais contrairement à beaucoup de réfugiés, l’histoire des Yarelchenko n’est pas un compte-rendu larmoyant de personnes déracinées.

Grâce au projet unique d’un rabbin pour les réfugiés juifs de l’est, les Yarelchenko font partie de la communauté naissante d’Anatevka, un petit village né il y a six mois près de la capitale, et où 20 familles construisent à présent un avenir basé sur la yiddishkeit et l’autonomie.

Nommé d’après la ville natale fictive de Tevye le laitier, issu du célèbre spectacle de Broadway « Un violon sur le toit », et de la légendaire nouvelle de l’auteur Sholom Aleichem sur laquelle il est basé, Anatevka est un hommage non seulement à cette ville mais aux vrais shtetls (villages) juifs qui parsemaient l’Europe de l’est avant l’Holocauste.

Située sur une surface de la taille de trois terrains de football, Anatevka comprend une synagogue en bois avec deux mikvés [bains rituels]. Un chemin bancal fait de palettes de bois brisées connecte le bâtiment à trois étages de la synagogue à une résidence de style dortoir avec 20 appartements et une cuisine centrale. Un chemin mène à une école récemment construite, avec 25 salles de classe.

« Notre fils en Israël nous pousse à faire l’alyah, mais Anatevka semble une meilleure option pour nous », a dit Elena Yarelchenko.

Son mari, Sergey, est un charpentier qui gagne un petit salaire à Anatevka, ville majoritairement construite en bois. Alors qu’elle aide à préparer la nourriture pour les autres résidents, Elena fait un geste vers le petit atelier de son mari, à l’extérieur du complexe résidentiel.

Les réfugiés juifs d'Anatevka célèbrent l'inauguration de la nouvelle synagogue de la communauté, le 29 février 2016. (Crédit : autorisation du bureau du rabbin Moshe Azman)
Les réfugiés juifs d’Anatevka célèbrent l’inauguration de la nouvelle synagogue de la communauté, le 29 février 2016. (Crédit : autorisation du bureau du rabbin Moshe Azman)

« Sergey est un accro du travail qui soit dort, soit travaille, a-t-elle dit. Pensez-vous qu’Israël retient son souffle pour un charpentier de 53 ans qui ne parle pas hébreu ? »

Entre l’école, la seule structure de la ville qui ne soit pas faite en bois, et la route d’accès boueuse à Anatevka, on trouve les fondations en béton frais pour une clinique et un centre de réhabilitation que les ouvriers, dont certains sont des résidents locaux comme Sergey, construisent sous l’œil attentif de l’homme qui a créé Anatevka : le rabbin Moshe Azman de Kiev.

Homme robuste avec une longue barbe grise et beaucoup de cheveux, Azman, 50 ans, entre dans le complexe résidentiel et enlève plusieurs couches de neige collant à ses vêtements dans le foyer du bâtiment, dont le design rappelle un rustique hébergement de ski.

« Il peut faire plutôt chaud ici », note-t-il, satisfait de l’efficacité du chauffage central.

Travaillant à partir de son argent personnel et de celui de donateurs privés – dont le fournisseur londonien de nourriture casher né à Moscou Michael Zelman, et la famille Duinsky de Kiev – Azman a dépensé plus d’un million et demi de dollars pour Anatevka, qu’il a conçu non seulement pour servir de centre de réfugiés, mais aussi comme une communauté vivante et palpitante.

Rabbin dissident qui est resté influent ici même après avoir rompu avec les institutions officielles du Habad pour un litige contractuel, Azman dit qu’il « essaie de survivre jour après jour » à cause des dettes qu’il a contractées en réalisant son projet pour Anatevka, dont les critiques doutaient qu’il verrait le jour.

« Je suis conscient des risques que j’ai pris », a déclaré solennellement Azman, ajoutant qu’il avait récemment emprunté de l’argent à un ami pour de l’essence pour pouvoir rester mobile cette semaine.

« Je suis endetté jusqu’au cou, mais je n’ai pas peur parce que c’est la mission de Dieu. En plus, chaque jour où Anatevka fonctionne est un autre jour où ma communauté vit dans la dignité. Construire un futur. Vous ne pouvez pas mettre de prix à ça », a-t-il déclaré.

Pour continuer à faire fonctionner Anatevka, Azman a aussi compté sur les donations des membres de sa propre communauté à Kiev, dont les enfants forment la majorité des 150 élèves allant à l’école à Anatevka.

Alors que les résidents fournissent la plupart de la main-d’œuvre à Anatevka, tous ne peuvent pas travailler. Isaak Mohilevsky, un octogénaire de Lugansk qui était autrefois le gardien de la synagogue de la ville, peut à peine marcher. Mais lui aussi participe : le 29 février, il a reçu les clefs de la nouvelle synagogue d’Anatevka, qui a ouvert ce jour-là avec une cérémonie à laquelle a assisté l’ambassadeur d’Israël en Ukraine, Eliav Belotsercovsky.

« Quand je suis parti, je n’aurais jamais pensé que je pourrais prendre soin d’une autre synagogue », a déclaré Mohilevsky.

Dans sa forme présente (et inachevée), Anatevka est un mélange confondant de nouveauté et d’antiquité. Le système de chauffage central, par exemple, utilise le bois comme carburant – pas par nostalgie mais parce qu’il est moins cher que l’essence ou le gaz dans un pays qui est sanctionné par la Russie, riche en matières premières, depuis la révolution de 2013 qui a évincé le régime pro-Kremlin d’Ukraine et déclenché des combats dans l’est.

Sergey Yarelchenko, charpentier, dans son atelier de la communauté de réfugiés juifs d'Anatevka, près de Kiev, en Ukraine, le 13 mars 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz)
Sergey Yarelchenko, charpentier, dans son atelier de la communauté de réfugiés juifs d’Anatevka, près de Kiev, en Ukraine, le 13 mars 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz)

Les rondins de bois qui ont été utilisés pour construire les murs de la synagogue et du complexe résidentiel d’Anatevka sont isolés avec des produits chimiques ignifugeants et des techniques sophistiquées d’Allemagne qui aident à garder la chaleur en hiver.

Pourtant, Anatevka ne conviendrait pas à tout le monde. Bruyante, sale, inaccessible et dépourvue des services les plus basiques comme une épicerie ou une poste, elle est jugée inappropriée pour leurs besoins résidentiels même par certains des réfugiés impliqués dans le projet.

« Je suis une personne de la ville », a déclaré Svetlana Koznitsova, une réfugiée de Lugansk qui aide Azman à gérer Anatevka mais vit dans un appartement loué à Kiev avec sa fille. « J’ai besoin d’habiter en ville et je le ferai tant que je pourrai gagner un salaire. »

Dans l’un des appartements du premier étage d’Anatevka, Meshulam Kolesnik, un concepteur web qui a été forcé de quitter la Crimée après son annexion par la Russie, utilise la rapide connexion wifi d’Anatevka pour améliorer le site internet qu’il construit pour solliciter de nouveaux dons pour le projet.

« Je ne suis pas charpentier comme Sergey, mais je construis ce que je peux pour cet endroit », a dit Kolesnik, un juif observant qui vit ici avec sa femme et a un bureau dans la chambre de leurs deux fils, Yitzhak, 5 ans, et son petit frère Leib. Leurs dessins colorés recouvrent les murs en bois de leur chambre.

Kolesnik, 35 ans, a quitté son appartement de Simferopol l’année dernière parce qu’il avait refusé d’échanger son passeport ukrainien contre un passeport russe. Quand ses enfants ont été empêchés d’aller à l’école, Kolesnik s’est effondré et a demandé la nationalité russe, mais à ce moment-là il a été jugé inéligible parce qu’il n’était pas dans le pays quand une majorité de la population avait voté en faveur de l’annexion dans un référendum, considéré comme illégal par la communauté internationale.

Quand il a emménagé dans la région de Kiev, Kolesnik a laissé derrière lui une affaire florissante et un appartement central dans la Crimée ensoleillée. Mais il dit qu’il n’est pas amer de cette perte.

« Nous vivons une fois encore parmi nos égaux dans notre communauté juive et notre pays, a-t-il déclaré. Et ainsi, je pense que nous pouvons parer à toute éventualité. »

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