Dans une Jérusalem Est sous tension, les Arabes et les Juifs tiennent bon
Personne ne se sent à l’aise de marcher dans les rues, mais des deux côtés on insiste que l’on ne va pas partir, quel que soit le niveau de violence

JTA — Pour entrer dans le complexe du quartier de Silwan à Jérusalem Est, les résidents commandent à l’avance un véhicule blindé qui vient les récupérer dans un endroit adjacent aux murailles de la Vieille Ville.
Avec une grille de métal sur le pare-brise et un garde armé assis à l’intérieur à côté d’un conducteur armé, le van circule bruyamment pendant sept minutes dans les rues en pente et cahoteuses marquées par des graffiti en arabe. Il s’arrête à proximité d’un véhicule de la police, de l’autre côté d’un immeuble de six étages surplombant le rue. Un drapeau israélien flotte à une fenêtre.
Un garde armé se tient devant la porte, un deuxième à l’intérieur, dans une salle à côté, des agents de la police des Frontières se détendent en mangeant leur déjeuner. Lorsque les enfants qui y habitent veulent jouer, ils montent sur le toit, où il y a une petite aire de jeu entourée de trois côtés par une cage en métal.
Le bâtiment est le plus grand dans ce que ses résidents appellent le Village Yémenite, une série de maisons où logent depuis 2004 des Juifs religieux dans cette partie de Silwan. L’enclave a commencé avec juste quelques familles, mais va s’agrandir à 22 familles dans les mois à venir.
Leur fournir des gardes privés de sécurité ainsi qu’aux autres résidents des enclaves juives à proximité coûte au gouvernement israélien jusqu’à 16 millions de dollars par an, selon Daniel Luria, le directeur d’Ateret Cohanim, l’organisation qui se consacre au renforcement de la présence juive dans les quartiers arabes de Jérusalem.
« Ils sont guidés par une idéologie, a déclaré Luria à JTA. Ils ne vont pas laisser la situation sécuritaire créer le chaos dans leurs vies. Ils sont habitués aux pierres lancées sur leur véhicule, et aux cocktails Molotov ».
Le nombre de Juifs vivant dans des quartiers arabes de la Vieille Ville de Jérusalem et de ses environs a augmenté de 40 % depuis 2009, selon Ir Amim, une organisation qui milite en faveur des résidents arabes de Silwan.
Environ 2 800 Juifs vivent maintenant dans la zone, que ses résidents appellent le Bassin Sacré, une petite partie des quelque 200 000 Juifs qui vivent dans Jérusalem Est au total, presque tous dans des quartiers juifs, construits après la guerre de 1967, qui encerclent les quartiers arabes de la ville.
Tout comme la population juive à Jérusalem Est a augmenté, il en va de même pour les tensions avec leurs voisins arabes. Les deux parties se plaignent de harcèlement fréquent de l’autre camp, des jets de pierres et de cocktails Molotov jusqu’aux abus de la police. Aucun camp ne se sent à l’aise pour marcher dans les rues, et les deux insistent qu’ils ne vont pas bouger, peu importe le niveau de violence.
« Ce sera comme cela toute notre vie, dit Kassam Nader, un chauffeur de taxi arabe. Les tensions augmenteront, diminueront, mais il n’y aura jamais la paix. Nous sommes dans un enroit où l’on ne peut pas marcher dans la rue ».
Les Juifs à l’intérieur de Bassin Sacré le considèrent une partie intégrante de la capitale d’Israël et ne voient pas de problème à y vivre. Yishai Fleisher, qui est né en Israël mais a grandi au New Jersey, a déménagé en 2011 avec sa famille de l’implantation de Cisjordanie de Beit El vers Maale Hazeitim, une implantation juive à l’intérieur du quartier arabe de Ras al-Amud, adjacente au mont des Oliviers.
« Nous pensons que nous vivons dans notre terre ancestrale et nous pensons que nous empêchons Jérusalem d’être submergée, a déclaré Fleisher, un chroniqueur et animateur de radio qui apparaît régulièrement sur Al-Jazeera. On pourrait penser que nous sommes des habitants d’implantations vivant dangereusement parmi les Arabes, ou alors on pourrait nous voir comme nous nous voyons nous-mêmes, comme le peuple juif qui revient dans son foyer ancestral, vivant dans l’endroit le plus naturel qui puisse être ».
En bas de la rue du Village Yémenite, Abdullah Abu Nab, un artisan et père de cinq enfants dont la famille a vécu dans cette rue pendant des générations, semble fatigué.
La présence imposante de la sécurité israélienne, placée ici pour prévenir de la terreur et protéger les résidents juifs, a créé une atmosphère de peur, confie-t-il. Les forces de sécurité israéliennes ont empêché ses enfants de jouer dans la rue, et Abu Nab affirme que des enfants arabes ont été frappés par la police.
Dans le passé, « on pouvait à peine sentir leur présence, les voir, a déclaré Abu Nab. Maintenant il y a plus de soldats que de voisins. Chaque jour est fou maintenant ».
Jusqu’à cette année, Abu Nab vivait dans un bâtiment avec 10 proches, des frères, femmes, fils et filles. Mais le bâtiment est maintenant entièrement entre les mains de Ateret Cohanim.
Avant 1948, le bâtiment avait été une synagogue, et Ateret Cohanim a poursuivi la famille d’Abu Nab au nom des propriétaires juifs originaux afin de reprendre la propriété.
Devant le procès, les proches d’Abu Nab ont vendu deux tiers du bâtiment à Ateret Cohanim il y a quelques mois. Le mois dernier, la justice a statué en faveur d’Ateret Cohanim et a expulsé Abu Nab du tiers restant.
Abu Nab déclare que lors de l’expulsion, ses objets ont été jetés dans la rue et ses outils de travail ont été volés. Habitant maintenant dans un appartement que des amis lui louent, il peut voir son ancienne maison depuis la fenêtre de son salon.
« Si quelqu’un vient et prend votre maison, c’est ça la paix ? a-t-il demandé. Tu y as vécu pendant 70 ans. Tu es né dans cette maison, ils disent que c’est leur maison, et le tribunal leur donne raison. C’est ça la paix ? »
Les citoyens arabes se plaignent d’être négligés par les autorités alors même que des millions sont dépensés pour protéger leurs voisins juifs. Même si elle ne se trouve qu’à quelques pas de la Jérusalem Ouest juive, la partie arabe de la ville est bien différente.
Beaucoup de ses rues étroites et sales n’ont pas de trottoir, de signalisation et ne sont pas pavées. Le ramassage des poubelles est irrégulier, avec des tas d’ordures qui s’accumulent devant les maisons. Selon un rapport d’Ir Amim pour 2012, 75 % des quelque 300 000 Arabes vivant à Jérusalem vivent sous le seuil de pauvreté.
« Ce gouvernement ne fait pas les bonnes choses, selon Zoheir Rajabi, qui vit à proximité du Village Yéménite. Maintenant, chaque personne voit que cet Etat traite les Juifs spécifiquement et leur donne tous les droits, mais les Arabes qui sont citoyens de Jérusalem n’ont pas ces droits ».
Jérusalem Est a connu de fréquents troubles depuis l’été dernier, lorsque des extrémistes juifs ont assassiné un adolescent arabe, Mohammed Abu Khdeir, en représailles à l’assassinat de trois jeunes Juifs israéliens.
Depuis, il y a eu des émeutes par intermittence et ce que les résidents juifs décrivent comme des jets de pierres constants sur leurs appartements. Luria a indiqué qu’une famille a dit que des pierres avaient été jetées sur son appartement 126 fois en quatre mois. De nombreux terroristes dans la récente vague d’attaques au couteau contre les Juifs viennent de Jérusalem-Est.
En réponse, Israël a fermé les sorties des quartiers arabes et a placé des checkpoints sur les routes. Un point de contrôle, une rangée de parpaings montés par une unité de la police des frontières, se trouve à seulement quelques mètres du complexe d’appartements de Fleischer.
Une porte métallique bloque l’entrée des appartements, et à l’intérieur, les résidents ont mis en place un coin café pour les agents de police. Une affiche sur la porte dit : « La nation éternelle n’a pas peur ».
Les résidents ont également pris leurs propres précautions individuellement. Fleisher, Luria et d’autres portent des armes et beaucoup ont des fenêtres résistantes à l’épreuve des pierres.
Mais Fleisher et son épouse, Malkah, insistent sur le fait que leur vie est la plupart du temps normale. Leur plus gros problème ces derniers temps, ont-ils dit, a été les embouteillages dus au fermetures de routes. Leur fille aînée termine maintenant à l’école une demi-heure plus tôt le vendredi en raison des embouteillages, et s’arrange pour aller aux toilettes avant de prendre le chemin du retour à la maison.
« Nous recevons des messages sur la façon de circuler, comment rentrer à la maison, vivre autant que possible une vie normale ici », a déclaré Fleisher. « Le changement ici n’est pas ressenti de manière aussi dramatique parce que nous sommes mieux préparés ».
Les habitants arabes de Jérusalem se plaignent plus ou moins des mêmes choses. Nader explique que les trajets qui prenaient jadis 10 minutes en voiture prennent maintenant deux heures. Son bloc est parsemée de points de contrôle et un soldat a récemment pointé son arme vers lui et a demandé à voir sa carte d’identité. Il craint que quand ses deux fils adolescents sortent de chez eux, ils soient pris pour des terroristes et abattus. A part pour aller travailler, il n’est pas sorti de la semaine.
« Ils vont tirer sur quelqu’un qui marche dans la rue », a-t-il déclaré.
« La situation est effrayante. Ils ont commencé avec des couteaux, [et] ça fait peur à tout le monde ».
Aucune des deux parties ne prévoit que la situation ne s’améliore de sitôt. Tant les Juifs que les Arabes expriment le désir d’entretenir des relations normales mais les deux semblent également résignés à la possibilité que la violence continuera pendant des années, voire des décennies.
« Nous sommes cousins, mon gars, nous sommes des fils d’Abraham », a dit Nader. « La jeune génération ne veut pas se rapprocher. Elle veut construire une clôture dans les quartiers plutôt que se connaître les uns les autres ».
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