Des étudiants juifs français disent ne plus se sentir en sécurité dans leurs facs
Les manifestations de la semaine passée pourraient être le point de basculement, poussant des candidats prometteurs à quitter les établissements français
Élève brillante en dernière année de lycée, Esther est sur le point d’atteindre le premier objectif de sa vie d’adulte : intégrer le programme de droit ou de géopolitique de l’Institut d’études politiques de Paris – Sciences Po.
Ces derniers mois, cependant, Esther – qui a demandé à ce que son nom de famille ne soit pas divulgué en raison de la sensibilité du sujet – s’est détournée de l’objectif qui l’avait guidée pendant des années. Elle cite une agitation anti-Israël agressive et prolongée sur le campus qui, selon elle et de nombreux autres critiques, déborde en antisémitisme sans que les autorités ne réagissent fermement. Esther considère désormais que Sciences Po ne convient pas à un Juif qui ne souhaite cacher ni son identité, ni son soutien à Israël.
« Avant, c’était mon rêve », explique Esther au Times of Israel à propos des études à Sciences Po. « Mais maintenant, honnêtement, je n’irais pas même si j’étais acceptée. »
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La désillusion d’Esther à l’égard de Sciences Po est largement partagée au sein de la communauté juive française. À l’instar de nombreux Juifs américains horrifiés par la mobilisation anti-Israël sur les campus américains, les Juifs français perçoivent cette évolution – et l’antisémitisme qui, selon eux, la caractérise – comme le signe d’un changement dans leur capacité à vivre sereinement en France.
La mobilisation anti-Israël couve depuis des années sur de nombreux campus français et les groupes d’étudiants juifs considèrent qu’elle est liée à une hausse de l’antisémitisme. Dans un sondage réalisé en septembre,
91 % des étudiants juifs français interrogés ont déclaré avoir été confrontés à un acte antisémite au cours de leurs cursus scolaires.
Mais le problème a explosé après le 7 octobre, date à laquelle environ 3 000 terroristes palestiniens du Hamas ont assassiné près de 1 200 Israéliens et en ont enlevé 252 autres. L’opération militaire israélienne en cours dans la bande de Gaza visant à anéantir le groupe terroriste palestinien du Hamas a suscité une vague mondiale de protestations, ainsi qu’une recrudescence des actes antisémites en France, entre autres.
En France, beaucoup craignent que cette vague signifie que les attitudes anti-juives sont revenues dans les universités qui, pendant des décennies après la Seconde Guerre mondiale, ont été le principal vecteur d’ascension sociale pour les Juifs, entre autres. L’enseignement supérieur a été la clé du succès de la communauté juive de France, dont la plupart des membres sont nés de survivants de la Shoah ou d’immigrants d’Afrique du Nord devenus pauvres après avoir été contraints de quitter leur pays natal.
À Sciences Po, les activistes anti-Israël ont commencé à organiser en mars ce qu’ils appellent des « blocages », en occupant les bâtiments du campus, parfois pendant plusieurs jours. Les manifestants avaient alors empêché un étudiant juif d’entrer dans un bâtiment du campus de Sciences Po alors que d’autres étudiants y étaient autorisés, entraînant l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) à accuser les manifestants d’antisémitisme.
Les blocages – il y en a eu des dizaines sur les campus français – comportent de nombreux appels à une « intifada [soulèvement, en arabe] mondiale », terme que beaucoup interprètent comme un appel à s’en prendre aux Juifs, et du chant anti-Israël « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre », condamné pour antisémitisme – considéré comme un appel à l’épuration ethnique.
Deux Intifada en Israël ont fait des centaines de morts en Israël dans des attentats terroristes palestiniens. La première de 1987 – année de naissance du Hamas – à 1993, qui correspond aux accords d’Oslo. La Seconde intifada a débuté en 2000 avec la visite d’Ariel Sharon sur le mont du Temple et s’est terminée en 2005 avec le désengagement de la bande de Gaza.
En janvier, trois étudiants juifs de Strasbourg ont été agressés pour avoir collé des affiches de sensibilisation aux otages retenus à Gaza. Selon l’UEJF, les panneaux indiquant « entrée interdite aux sionistes » sont devenus monnaie courante sur les campus français.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte d’explosion des crimes de haine antisémites, dont le groupe de veille de la communauté juive, le SPCJ, a enregistré en 2023 un total de 1 676 cas – soit plus que les trois années précédentes réunies. Près de 75 % des cas enregistrés l’année dernière se sont produits après le 7 octobre.
Dans un discours prononcé le 27 avril, le Premier ministre français Gabriel Attal a déclaré que les blocages ne seraient pas tolérés en France.
Pourtant, la gestion des blocages à Sciences Po, le fleuron de l’université française, et au-delà, a donné à beaucoup le sentiment que les bloqueurs avaient bénéficié d’un passe-droit.
Négociations avec des partisans du terrorisme
Le 30 avril, les étudiants de Sciences Po ont accepté de mettre fin à leur semaine de blocage après avoir obtenu de l’administration de l’université une amnistie sur toute mesure disciplinaire et la promesse d’organiser sur le campus un débat sur la guerre en cours contre le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza. Malgré ce compromis, des dizaines de manifestants sont retournés à Sciences Po vendredi, poussant la police à les évacuer du bâtiment qu’ils occupaient.
Le compromis de l’administration de Sciences Po, qui avait initialement promis d’être « intransigeante » dans ses actions contre les intimidations et les blocages antisémites, la distingue de certaines institutions homologues aux États-Unis, et notamment de l’Université de Columbia, où l’administration a fait appel à la police pour disperser les actions d’occupation du campus et arrêter les participants.
À Sciences Po, « l’administration s’est couchée devant la foule anti-Israël et son antisémitisme », a déclaré l’historien Marc Knobel, diplômé de Sciences Po et chercheur sur l’antisémitisme moderne.
Jean Bassères, directeur provisoire de Sciences Po, a défendu le compromis dans une interview publiée dans Le Monde. Une intervention des forces de l’ordre « serait une opération difficile et n’aboutirait pas à la fin des blocages », avait-il estimé.
La région parisienne a sanctionné Sciences Po pour ce compromis. Mardi, la région Île-de-France a suspendu son financement annuel de plus d’un million d’euros pour Sciences Po « jusqu’à ce que le calme et la sécurité soient rétablis à l’école », a écrit la présidente de la région Valérie Pécresse sur X. Sciences Po est fortement subventionné – les contribuables fournissent 37 % de son budget annuel d’environ 214 millions de dollars – mais la majeure partie du financement provient du gouvernement central, qui ne l’a pas suspendu.
Selon Knobel, le message qui ressort des blocages est le suivant : « Vous pouvez perturber les études, harceler les étudiants juifs et intimider les professeurs pour qu’ils fassent des concessions – et vous en tirer à bon compte. »
« Les bons juifs s’opposent au sionisme »
À Sciences Po et dans d’autres universités françaises, certains étudiants juifs ne se sentent plus en sécurité.
Léa Hanoune, membre de l’UEJF et étudiante à la Sorbonne, a déclaré : « Beaucoup d’étudiants juifs comme moi se sentent en danger lorsqu’ils entendent des slogans sur l’Intifada ». « Nous devons être les ‘bons Juifs’ et nous opposer au sionisme. Si nous sommes de ‘mauvais juifs’ qui soutenons Israël, nous serons intimidés – ou pire », a-t-elle précisé.
Sophie B., qui a également demandé que son nom de famille ne soit pas mentionné dans cet article, se souvient d’avoir évité des toilettes sur son campus à l’Université Paris Cité parce que ses murs avait été dégradés – « Free Palestine » en grosses lettres et autres slogans accusant Israël d’assassiner des enfants. Les graffitis ont été effacés à la suite de la plainte de Sophie, mais ils l’avaient mise mal à l’aise.
« J’essaie de ne pas afficher mon identité. Je suis une juive laïque, donc pour moi c’est normal », a-t-elle déclaré au Times of Israel. Dans son université, a-t-elle ajouté, « je n’ai jamais vu personne porter une kippa ou un signe ostentatoire juif ». Les réactions à son initiative prise en novembre de se joindre à d’autres Juifs pour accrocher des affiches des otages ont été mitigées. « Les gens ont dit qu’ils avaient trop peur », a-t-elle déclaré.
Manœuvres politiques
L’historien Knobel fait partie des nombreux Juifs français qui considèrent les blocages et les émeutes sur les campus comme une manœuvre orchestrée par l’une des principales forces politiques françaises, le parti d’extrême-gauche La France Insoumise (LFI), de Jean-Luc Mélenchon – largement accusé de flirter avec l’antisémitisme.
« Ce à quoi nous assistons n’est pas une explosion de sentiments à la base, même si c’est parfois présenté ainsi », a expliqué Knobel. « À Sciences Po et sur d’autres campus, nous voyons l’empreinte de l’armement incessant de la question palestinienne par les membres de la direction et les activistes des campus, afin de renforcer sa base auprès des jeunes électeurs. »
Mélenchon, un ancien du Parti socialiste qui a obtenu 19 % des voix lors des précédentes élections présidentielles et que le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a accusé d’attiser l’antisémitisme, a à maintes reprises qualifié les actions d’Israël à Gaza de « génocide ».
Son parti a placé l’activiste très controversée franco-palestinienne Rima Hassan, qui fait l’objet d’une enquête de police pour avoir justifié l’assaut barbare et sadique du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre, à la septième place sur sa liste pour les élections européennes qui se tiendront à partir du 6 juin prochain. Elle s’est rendue sur les lieux du blocage de Sciences Po et a dansé et chanté avec les manifestants.
Elle dit assumer sur France 2 son appel à l’Intifada.
Mélenchon, qui dans un discours de 2017 avait déclaré à propos des Juifs français que « la France est le contraire des communautés agressives qui font la morale au reste du pays », a rejeté les allégations selon lesquelles il encouragerait l’antisémitisme comme une tentative de le salir.
Mélenchon et LFI ont été de fervents partisans des blocages, les annonçant sur les réseaux sociaux et annonçant chaque nouveau blocage avec approbation. « Après Columbia, Sciences Po et des centaines de facultés dans le monde, la Sorbonne rejoint le vaste mouvement de solidarité étudiante avec le peuple palestinien », a récemment écrit LFI sur X, dans un message que Mélenchon a partagé sur son compte.
Dans sa banlieue parisienne, Esther réfléchit avec ses deux frères aux options qui s’offrent à elle.
Son frère aîné se prépare à étudier à l’École polytechnique, où il espère participer à un programme d’échange avec le MIT ou Harvard, qui ne sont pas exemptés de manifestations anti-Israël. Mais aujourd’hui, étudier sur un campus américain lui semble beaucoup moins souhaitable qu’avant le 7 octobre, explique Esther.
« Londres, New York, Montréal : c’est la même chose, alors je ne sais pas comment choisir. Aucun d’entre nous ne sait choisir », dit Esther.
Étudier en Israël résoudrait le problème de l’antisémitisme, dit-elle, mais elle ne se voit pas vivre en Israël.
« Nous sommes un peu perdus. Nous nous demandons où aller, où nous allons rencontrer des problèmes », dit-elle.
« Maintenant, la sécurité est soudain devenue un critère majeur. C’est un peu fou. »
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