Des manuscrits inédits de Kafka et des croquis dévoilés à Jérusalem
La Bibliothèque nationale d'Israël a récupéré des documents et mis fin à une saga juridique sur l'héritage de l'auteur, dont un document en hébreu sur une grève à Jérusalem en 1922
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
La Bibliothèque nationale d’Israël a dévoilé mercredi des écrits manquants de l’écrivain juif tchèque Franz Kafka, mettant ainsi fin à plus d’une décennie d’une saga judiciaire – comment dire autrement que kafkaïenne – sur leur propriété.
La plupart des textes dévoilés au public, dont des textes inédits en hébreu, ont déjà été publiés, et ne revêtent donc pas d’importance littéraire, mais ils permettront aux chercheurs de mieux étudier le processus d’écriture de Kafka.
La Bibliothèque nationale compte désormais des centaines de lettres, manuscrits, journaux, cahiers et croquis de Kafka et de son ami et exécuteur littéraire Max Brod.
Les documents sont arrivés en Israël il y a deux semaines, après être restés dans des coffres en Suisse pendant des décennies. Leur arrivée met fin à une bataille juridique de 11 ans entre les bibliothèques allemandes et la famille de la défunte Esther Hoffe, la secrétaire de Brod.
Alors qu’il luttait contre la tuberculose dans un sanatorium autrichien, l’auteur connu pour Le procès, roman phare sur les dédales et les travers du système judiciaire, et La métamorphose a demandé à Max Brod de détruire toutes ses lettres et ses écrits.
Après la mort de l’écrivain en 1924, Max Brod, né à Prague et également juif, sentit qu’il ne pouvait pas exaucer les vœux de son ami. En 1939, il quitta la Tchécoslovaquie occupée par les nazis pour Tel Aviv, muni des papiers de Kafka dans une valise.
Max Brod a ensuite publié de nombreuses œuvres et a contribué à la célébrité posthume de Kafka, une des principales figures littéraires du XXe siècle. Mais la mort de Brod en 1968 a inauguré une « histoire kafkaïenne » sur le sort de ces archives, a résumé mercredi la porte-parole de la Bibliothèque nationale d’Israël, Vered Lion-Yerushalmi.
Brod a laissé la totalité des archives à Hoffe, lui demandant de prendre contact avec la Bibliothèque nationale. Cependant, elle a gardé ces archives en sa possession, dont une partie dans son appartement de Tel Aviv, rue Spinoza, mais a déposé les documents les plus importants dans des coffres en Suisse et en Allemagne.
Le trésor a été scindé et une partie volée avant d’être mise en vente en Allemagne. Depuis mars 2008, la Bibliothèque nationale se battait ainsi pour rassembler la collection et la garder en Israël, a indiqué mercredi son président David Blumberg lors d’une conférence de presse.
« La bibliothèque nationale a revendiqué le transfert des archives car c’est ce que souhaitait Brod dans son testament », a-t-il déclaré. « Nous avons entamé un processus qui a pris 11 ans avant de s’achever il y a deux semaines. »
En mai, à la suite de la décision d’un tribunal allemand, Berlin a remis des milliers de papiers et de manuscrits qui auraient été volés il y a dix ans à Tel-Aviv pour être ensuite vendus aux Archives littéraires allemandes de Marbach et à des collectionneurs privés.
D’autres pièces de ces archives se trouvaient dans le réfrigérateur d’un appartement délabré et envahi de chats de Tel-Aviv, ainsi que dans des coffres bancaires de cette cité côtière.
Une dernière cache se trouvait dans un coffre-fort situé au siège principal de la grande banque suisse UBS, à Zurich. Or une décision récente de la justice suisse a permis à la Bibliothèque nationale d’Israël d’accéder à ce dernier chaînon manquant pour clore la saga.
« Nous avons rapporté 60 dossiers de Suisse contenant du matériel original », s’est félicité mercredi Stefan Litt, archiviste de la bibliothèque nationale et conservateur de sa collection de sciences humaines.
La plupart des documents recouvrés avaient déjà été publiés par Brod, mais la correspondance entre les deux amis et les autres notes, journaux intimes et réflexions de Kafka apportent un éclairage précieux sur la personnalité de Kafka, estime-t-il.
« Nous n’avons aucune surprise littéraire ici », a-t-il déclaré. Mais « sans Max Brod, nous ne saurions pas vraiment qui est Kafka ».
“Pendant plus d’une décennie, la Bibliothèque nationale a oeuvré pour rapatrier le patrimoine littéraire de l’auteur-compositeur prolifique et dramaturge Max Brod et de son proche ami Franz Kafka à la Librairie nationale, selon les volontés de Bord”, a déclaré le président de la Bibliothèque David Blumber.
“Après avoir consulté les cahiers en hébreu de Kafka et ses lettres sur le sionisme et le judaïsme, il est maintenant évident que la Bibliothèque nationale de Jérusalem est le foyer adéquat des documents de Brod et Kafka”, a-t-il ajouté.
Benjamin Balint, l’auteur du Dernier procès de Kafka, un livre publié en 2018 et portant sur les aspects légaux et philosophiques de la querelle judiciaire sur les manuscrits de l’auteur, a déclaré mercredi que la conférence de presse permet de boucler une boucle.
“La décision de la Suisse n’est pas seulement une décision judiciaire. Elle confirme ce que la Bibliothèque nationale a toujours revendiqué, à savoir que Kafka, de par sa judéité, appartient à Jérusalem, au patrimoine culturel du peuple juif”, a déclaré Balint au Times of Israël.
Après la mort d’Esther Hoffe, en 2007, une âpre bataille sur les biens de Brod a émergé, entre les tribunaux israéliens, allemands et suisses. La Cour suprême a fini par statuer qu’ils appartiennent à la Bibliothèque nationale, une décision qu’on réaffirmé par la suite les autres tribunaux.
“Toutes ces décisions de justice ne sont pas que des décisions judiciaires, mais elles répondent à la question : qui est Kafka ?”, a expliqué Balint.
“C’est une question que nous devons nous poser quand nous cherchons à déterminer l’identité de l’héritier de Kafka, une question qui a finalement été résolue cette semaine.”
La plupart des manuscrits originaux de Kafka sont à la bibliothèque universitaire d’Oxford, en Angleterre.
Durant la conférence de presse de mercredi, Stefan Litt, le documentaliste chargé des archives, a présenté certains manuscrits originaux de Kafka, notamment un article en hébreu qu’il avait écrit en novembre 1922, à propos d’une grève des enseignants à Jérusalem. Kafka, qui a appris l’hébreu à la fin de sa vie, a probablement rédigé ses lignes peu avant sa mort, des suites d’une tuberculose, en Autriche, en 1924, à l’âge de 40 ans.
On ignore si Kafka a simplement traduit ou recopié un article de presse sur la grève, ou s’il l’a lui-même rédigé, a souligné Litt.
L’AFP a contribué à cet article.