« Dieu a peut-être mis les Druzes en Israël pour les sauver » : des minorités se battent pour leurs cousins syriens
Pour la communauté druze, forte de 150 000 personnes, les attaques contre leurs frères de l'autre côté de la frontière suscitent l'inquiétude et les poussent à se revendiquer citoyens israéliens

Dans son salon spacieux, Samra Atalla offre à ses invités du jus de grenade fraîchement pressé, des dattes et des biscuits, le tout rythmé par son téléphone que l’on entend sonner très régulièrement, signe de l’arrivée de notifications de la part d’amis druzes syriens et de membres de la famille venus lui faire part de la situation de la communauté.
« Les Druzes de Syrie sont dans une situation difficile », affirmait la semaine dernière au Times of Israel Atala, 58 ans, depuis Yarka, village druze de Galilée occidentale. « Mais il est hors de question de les laisser tomber. »
De violents affrontements entre Druzes et forces de l’ordre syriennes ont eu lieu dans les bastions druzes, un peu partout en Syrie, qui ont fait une centaine de morts et des dizaines de blessés ces dernières semaines.
Israël s’est engagé à protéger la communauté druze syrienne et l’armée israélienne s’en est récemment prise à des cibles syriennes en guise
« d’avertissement » pour le nouveau régime. Elle a également ouvert un hôpital de campagne dans le sud de la Syrie pour y soigner les Druzes blessés, depuis que plus de 30 blessés ont été évacués vers des hôpitaux israéliens.
L’inquiétude d’Atalla envers la situation des Druzes de Syrie est révélatrice de l’attitude des quelque 150 000 Druzes d’Israël, lesquels ont organisé des manifestations et des campagnes de levées de fonds afin de venir en aide et protéger les quelque 700 000 Druzes vivant de l’autre côté de la frontière.
Depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023, les Druzes d’Israël exigent également davantage pour eux-mêmes.
La mort au combat contre les organisations terroristes du Hamas et du Hezbollah de 13 soldats druzes, sans oublier celle de 12 enfants druzes à Majdal Shams, tués par une attaque du Hezbollah, ont incité les Druzes d’Israël à obtenir des garanties quant à leurs droits en Israël sans pour autant renoncer à ce qui fait leur identité, rare exemple d’une minorité toujours loyale envers Israël.

Aujourd’hui, face aux violences dont sont victimes les Druzes de Syrie, leurs cousins israéliens demandent que le gouvernement de Jérusalem les défende eux aussi.
« Peut-être que Dieu a mis les Druzes ici en Israël pour sauver les Druzes là-bas », avance Atalla.
Les menaces contre les Druzes de Syrie
Le nouveau dirigeant syrien, Ahmad al-Sharaa, ex-membre d’un groupe terroriste lié à Al-Qaïda qui a fait tomber le régime de Bachar al-Assad en décembre dernier, a promis que son nouveau gouvernement protégerait les minorités religieuses.
Toutefois, depuis qu’il est au pouvoir, des centaines d’alaouites – d’anciens loyalistes d’Assad – ont été tués, certains d’entre eux de façon très brutale.
La Syrie est principalement peuplée de musulmans sunnites et les Druzes représentent environ 3 % de la population. Le gouvernement est aujourd’hui aux mains des islamistes, dont certains sont liés à des groupes extrémistes.
Les dernières violences en date contre les Druzes ont commencé en mars suite à la diffusion sur les réseaux sociaux de l’enregistrement présumé d’un homme druze en train de maudire le prophète Mahomet.

Le Sheikh Muafak Tarif, chef spirituel de la communauté druze israélienne, a déclaré que cette vidéo était « un faux » lors d’une conférence sur « Les Druzes et la sécurité d’Israël : l’alliance du sang en pratique » au Western Galilee College à Akko, le 5 mai dernier.
Tarif a condamné le « silence » de la communauté internationale suite à l’attaque de communautés druzes par les forces de l’ordre syriennes et dit : « Après le 7 octobre et ce que le Hezbollah a fait, Israël ne laissera aucune organisation terroriste extrémiste à sa frontière nord. »
Bien que les représentants druzes d’une banlieue de Damas aient récemment signé un accord avec les représentants du régime syrien, en vertu duquel les Druzes s’engagent à leur remettre leurs armes lourdes et les forces de l’ordre à être davantage présentes dans la région, Atalla estime que cet accord n’est rien d’autre qu’une « ruse ».
Sharaa, qui donne le sentiment de prendre ses distances avec les islamistes extrémistes violents, « ment », ajoute-t-elle.
Selon elle, depuis cet accord, des extrémistes islamiques ont rasé la moustache des religieux druzes pour les « humilier ». Selon les sites d’information syriens, des centaines d’étudiants druzes ont quitté les universités de Damas, Alep et Homs en raison des violences.

Les Druzes sont une secte mystique qui s’est séparée de l’islam chiite au 11e siècle. Il y a environ un million de Druzes dans le monde , la plupart en Syrie, au Liban, en Turquie, en Jordanie et en Israël. Leur religion est secrète mais ils considèrent Abraham, Moïse, Jésus et Mahomet comme des prophètes. Les Druzes n’acceptent pas les convertis.
Atalla est née à Majdal Shams, sur le plateau du Golan, en 1966, une année avant qu’Israël ne prenne le plateau du Golan à la Syrie lors de la guerre des Six Jours, en 1967. Israël a annexé la région en 1981 et aujourd’hui, quelque 29 000 Druzes y vivent, dont un cinquième environ a la citoyenneté israélienne.

Pendant des années, Atalla a dirigé un magasin de vêtements prospère à Majdal Shams, après avoir appris les ficelles du métier dans des magasins de Tel Aviv. Elle s’est installée à Yarka après son mariage, il y a de cela plusieurs années.
Même si elle estime que les Druzes sont davantage en sécurité en Israël, elle se considère toujours comme une « fille de Syrie ».
« Peu importe quel gouvernement contrôle la région », assure-t-elle. « Le plus important, c’est que nous restions chez nous, sur notre terre. »
Notre honneur, notre religion, notre terre
À quelques kilomètres de là, dans le parc industriel de Tefen, Rabea Bader, 38 ans, PDG et rédacteur en chef de la station Radio Nord, 104.5 FM, est au micro. Le responsable de la première émission de radio en hébreu consacrée aux Druzes évoque les trois principes de base de la communauté.
« Nous ne nous battons pas avec les gens et traitons les autres avec respect sauf s’ils menacent notre honneur, notre religion ou notre terre », explique Bader, alors que la radio passe une musique mizrahi des plus gaies.

Il explique que contrairement à ce que disent les médias israéliens, il n’y a pas eu « de massacre de Druzes à cause des armes, des armes lourdes – des armes qu’ils ne remettront jamais à al-Sharaa ». « Il met un costume pour faire croire que c’est un libéral », estime Bader, « mais les Druzes ne le laisseront pas leur faire ce qu’il a fait aux alaouites ou ce qu’il pourrait faire aux chrétiens. »
« Les Druzes de Syrie sont plus forts qu’on ne le pense. Ils ne laisseront pas les gens toucher ce qui est sacro-saint pour eux. Ils se défendront, au prix de leur vie s’il le faut », poursuit Bader.

Avec Lorena Kizel Khateeb, 28 ans, journaliste druze et militante sociale, Bader co-anime « La Voix des Druzes », diffusée chaque semaine sur 104.5.
Dans l’émission du 9 mai, ils ont accueilli Reda Mansour, qui venait de prendre sa retraite du ministère israélien des Affaires étrangères après 35 ans de service.
A propos de la crise en Syrie, Mansour a expliqué que l’un des problèmes empêchant l’unification de la Syrie prenait racine dans l’absence d’une identité syrienne cohérente et cohésive. C’est aussi un problème connu d’Israël, a-t-il affirmé, car il s’agit d’un pays lui aussi composé de minorités et de différentes religions et groupes ethniques.
« Nous n’avons pas de guerre civile, mais nous devons trouver le moyen de créer une identité israélienne » de façon à garantir l’avenir d’Israël, a déclaré Mansour.

Polémique autour de la loi de l’État-nation
Bader a rappelé à cette occasion qu’il avait effectué son service au sein de l’armée israélienne et combattu dans ses rangs lors de la première guerre du Liban, en 2006.
« Je n’ai pas à prouver ma loyauté envers l’État », a-t-il déclaré. « Je rends honneur au drapeau et à l’hymne. »
Mais il a un problème avec la loi sur l’État-nation, adoptée en 2018, laquelle stipule qu’Israël est le « foyer national du peuple juif ». Cette loi est considérée par la communauté druze – ainsi que par d’autres minorités non juives – comme une loi d’exclusion.
« Cette loi fait de moi un citoyen de seconde zone », a déclaré Bader avec emphase. « Elle me dit que ce pays n’est pas le mien. Mais la vérité, c’est que je ne suis pas un invité dans ce pays. J’en suis moi aussi propriétaire. »
Il a ajouté que chaque jour de plus avec cette loi était une « honte » pour l’État d’Israël.
Khateeb s’est faite l’écho des propos et du ressenti de Bader lors d’une conversation téléphonique avec le Times of Israel.

« Nous sommes une partie inséparable de la société israélienne, nous y contribuons et nous sommes façonnés par elle », a-t-elle déclaré. « Nous protestons et critiquons le pays lorsque c’est nécessaire et nous n’abandonnons pas nos valeurs. Il y a des défis et des difficultés auxquels nous sommes confrontés – bien sûr qu’il y en a – mais nous parvenons à prospérer, à rester fidèles à nous-mêmes et à vivre avec fierté. »
Lors de l’émission de radio du 9 mai, Khateeb a déclaré qu’elle avait récemment reçu un message téléphonique d’un homme, en Syrie, qui lui avait écrit : « Vous avez de la chance d’être née dans un pays qui vous respecte comme vous êtes, indépendamment de votre identité. »
Ces mots l’ont émue, a-t-elle dit, et lui ont rappelé « comme nous avons de la chance d’être nés dans l’État d’Israël. En 2025, on assassine des gens en Syrie à cause de leur identité, alors il nous faut garder la mesure et le sens des perspectives, sans le prendre pour acquis. »
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