Enquête sur au moins 12 individus pour des fraudes au Forex et aux options binaires
Le fils d’un ex-policier et l’ancien mentor de jeunes à risques sont notamment suspectés de fraude et de blanchiment d’argent
Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël
Alors qu’un projet de loi qui interdirait totalement l’industrie des options binaires est en cours d’étude à la Knesset, le Times of Israël a appris qu’au moins 12 propriétaires et employés d’entreprises d’options binaires font l’objet d’une enquête ou ont été cités par le procureur de l’Etat qui a recommandé leur mise en examen.
Le parquet a indiqué que, parmi ces 12 individus, l’on retrouve le propriétaire et trois cadres d’un groupe d’entreprises de Forex et d’options binaires. Le parquet s’interroge actuellement sur la possibilité de les inculper pour fraude, abus de confiance, blanchiment d’argent et d’autres chefs d’accusation.
Aviv Talmor et ses trois anciens employés, Rafi Bar-Lev, Sagi Stambolsky et Ehud ‘Udi’ Shaham, étaient le propriétaire et les cadres de Utrade Premium Ltd., une entreprise de Forex qui visait des clients israéliens. Talmor dirigeait également les site de Forex et d’options binaires CapitalOption, SkyFX, Forex TG Pty Ltd (FXTG), Algobank, PlusFN, OneBinary, OptioNow, Sluti Marketing et affiliatekey.com.

Shmuel Hauser, président de l’Autorité des titres israélienne (ATI), a recommandé en avril que Talmor et ses trois anciens employés soient mis en examen, et le parquet réfléchit toujours à cette possibilité.
Des sources ont indiqué ce mois-ci au Times of Israël que les enquêtes se poursuivaient sur deux autres affaires.
L’une concerne Eliran Saada, arrêté le 16 mai pour fraude aggravée, fausse déclaration, faux témoignage, fabrication de faux, extorsion et chantage en lien avec ses activités avec les sites internet InsideOption, SecuredOptions et OptionChase.
La seconde affaire concerne Ido Fishman et six de ses anciens employés, Daniel Swartz, Naor Noah, Jonathan Tourjman, Itzhak Babler, Itam Durab et Maor Jerby, tous arrêtés en décembre dernier par l’Autorité des titres, soupçonnés de fraude aggravée et de fournir des conseils en investissement sans en avoir l’autorisation. Ces sept hommes ont été associés au site internet Itrader.co.il, qui proposait des transactions de Forex et d’options binaires aux Israéliens. Itrader a partagé un bureau et des employés avec l’entreprise qui gère le site internet FMTrader.com, qui cible des clients dans le monde entier.
Si l’un de ces 12 hommes est inculpé, ce serait la première fois, après plus de dix ans de fraude, que le propriétaire d’une firme de Forex ou d’options binaires présumée frauduleuse serait jugé pénalement en Israël, non pas pour évasion fiscale ou un crime auxiliaire à son activité commerciale mais pour une fraude aux valeurs mobilières.
Talmor, Bar-Lev, Stambolsky et Shaham étaient les propriétaires et les cadres de Utrade Premium Ltd., une entreprise de Forex qui visait des clients israéliens et promettait des retours sur investissements époustouflants grâce à l’utilisation d’un « robot de transaction » sophistiqué, un algorithme qui réalisait des transactions pour les clients, et était censé pouvoir battre le marché. L’entreprise a été fondée en 2007 et a fonctionné jusque fin 2015, quand, en raison des plaintes croissantes d’investisseurs israéliens arnaqués, l’Autorité des titres a ordonné que l’entreprise cesse ses opérations.

Dans un communiqué de presse publié le 18 avril pour annoncer sa recommandation de mise en examen, l’Autorité des titres israélienne (ATI), a affirmé : « il existe des preuves suffisantes que le suspect central et les trois autres parties impliquées ont commis des irrégularités liées aux titres et d’autres crimes, notamment de fraude, de fausses affirmations dans des documents d’entreprise, de violations du droit des salariés, d’abus de confiance, de blanchiment d’argent, de gestion de portefeuilles d’investissements sans autorisation, d’absence de conformité aux demandes de l’ATI et d’obstruction à la justice. »
Selon l’ATI, entre 2012 et 2015, Utrade a récolté 27 millions de dollars en investissements de 604 investisseurs israéliens, d’une manière qui a « trompé les investisseurs au moyen de fausses déclarations, des falsifications, et des méthodes de vente manipulatrices et agressives. »
Selon l’enquête de l’ATI, Talmor s’est approprié des millions de dollars des investisseurs pour son usage personnel, notamment pour les autres entreprises, et en utilisant des prête-noms pour masquer son implication.
De plus, l’ATI affirme que Talmor et ses cadres ainsi que ses employés ont essayé de cacher des preuves et de faire obstacle à l’enquête contre eux.
Le Times of Israël a demandé aux 12 hommes leur réponse aux accusations.
Moshe Mazor, avocat de Stambolsky, a répondu que, « à notre connaissance, et après vérification, le procureur de l’Etat n’a pas encore décidé de mettre en examen M. Stambolsky, et M. Stambolsky n’a même pas été convoqué pour une audition sur le sujet. Nous pensons qu’après examen du dossier par le procureur de l’Etat, il sera classé. »
Moran Bickel, avocat de Bar-Lev, Fishman, Swartz, Noah, Tourjman, Babler, Iam Durab et Jerby, a répondu, pour tous ses clients : « pas de commentaire. »
Depuis plus d’un an, le Times of Israël a détaillé la fraude massive des entreprises israéliennes d’options binaires, en commençant en mars par un article intitulé « Les loups de Tel Aviv », et a estimé que l’industrie représente plus de 100 entreprises en Israël, dont la plupart sont frauduleuses et emploient diverses ruses pour voler l’argent de leurs clients.

Les entreprises frauduleuses trompent leurs victimes en leur faisant croire qu’elles proposent des investissements lucratifs à court terme, mais dans l’écrasante majorité des cas, les clients finissent par perdre tout leur argent, ou presque, et ce du jour au lendemain.
Au total, l’industrie des options binaires générerait entre cinq et dix milliards de dollars par an. Une grande partie de la fraude aux options binaires, et de la fraude au Forex, provient de centres d’appels situés en Israël. L’industrie, qui emploie des milliers d’Israéliens, agit depuis dix ans en Israël, sans quasiment aucune intervention des forces de l’ordre.
Même si Utrade était une entreprise de Forex, Talmor gérait également plusieurs marques d’options binaires, et les employés qui travaillaient dans les deux branches considéraient qu’il s’agissait d’une société unique, selon l’administrateur judiciaire temporaire de Utrade, soulignant la similarité entre l’industrie frauduleuse des options binaires et la fraude à l’industrie du Forex.
Des suspects improbables ?
L’un des suspects dans l’affaire Utrade est Rafi Bar-Lev, le fils d’un ancien cadre de la police, Uri Bar-Lev, qui n’est pas devenu chef de la police israélienne en 2010 en raison d’un scandale de harcèlement sexuel.
L’ATI affirme que Rafi Bar-Lev est au cœur de la fraude, en ayant encouragé un grand nombre d’investisseurs à faire confiance à l’entreprise pour y placer leur argent, alors qu’il savait que les promesses de la compagnie n’étaient pas tenues.

Des sources ont indiqué au Times of Israël que le frère de Rafi Bar-Lev, Yoni, est un enquêteur de l’unité de lutte contre la fraude de la police israélienne. Quand nous avons demandé à la police de nous confirmer cette information, un porte-parole a répondu « pourquoi avez-vous besoin de savoir cela ? », et n’a plus répondu à nos e-mails sur le sujet.
Sagi Stambolsky, lui aussi accusé par l’ATI d’être au cœur de la fraude, travaillait comme « directeur des ventes et du service client » de Utrade entre août 2013 et octobre 2015, selon son profil LinkedIn. Il y affirme notamment avoir réussi une « hausse de 20 % des revenus et du niveau de satisfaction des clients », ainsi que d’avoir « ajouté un nombre record de nouveaux clients. »
Ehud ‘Udi’ Shaham était le troisième cadre de l’entreprise.
Enfin, Aviv Talmor, le propriétaire de Utrade Premium, est un ancien poète, réalisateur, enseignant et mentor pour des jeunes à risque qui s’est lassé de sa vie sans argent, selon son portrait publié dans le quotidien économique israélien Globes, et a commencé une nouvelle carrière d’entrepreneur en Forex et options binaires.
En 2012, il a sorti un film, « Je suis Bialik », un faux documentaire qui a remporté le prix marginal du Festival du film de Haïfa. Il parlait d’un poète et professeur frustré, Aviv Talmor, déshérité par son père. Le film raconte la quête de figure paternelle d’Aviv Talmor en utilisant son obsession pour le poète israélien Haim Nahman Bialik. Talmor a mis 12 ans pour réaliser son film, et pendant cette période, il a changé le nom de sa société de production de « Albatros Productions » à « Albatros Ventures », puis à « Utrade Pemium Ltd. »
Selon le portrait publié par Globes, à cette époque, Talmor a effectivement réussi à trouver une figure paternelle, sous la forme d’un mentor qui lui a appris à gagner de l’argent dans le monde de la finance.
« J’ai appris qu’il avait un mentor économique, une sort de coach de vie », a dit à Globes un acteur qui tenait un rôle important dans le film de Talmor. « C’était après avoir filmé le film, mais avant sa sortie. Il a commencé à envoyer à tout le monde des invitations pour rencontrer le coach. Je ne lui ai pas vraiment parlé mais j’ai entendu qu’il gagnait de l’argent. »
L’acteur a raconté comment, quelques années plus tard, Talmor et son épouse ont eu un bébé. « Il semblait avoir réussi, être heureux, être du côté gagnant de la vie. J’étais heureux pour lui. »
L’acteur ne connaissait pas l’identité du nouveau mentor de Talmor. Les documents judiciaires des nombreuses plaintes déposées contre Utrade Premium Ltd. donnent quelques pistes.
Ils révèlent que Talmor a travaillé un certain temps comme vendeur chez Forex Place, une entreprise de Forex qui n’existe plus, et dont beaucoup d’anciens employés ont lancé leur propre marque d’options binaires.
Talmor possède une autre entreprise, Utrade Global Markets, qui a été fondée en février 2012 et fournirait des services marketing à Utrade Premium. L’entreprise, toujours enregistrée en Israël, est possédée par Talmor et Chen Malka, entrepreneur en options binaires associé aux marques IntergaOption, Tradesolid et SolidCFD.

D’autre part, Talmor possède une autre entreprise, Binary Call Center Ltd., fondée en 2013, qui, selon un dossier rempli en janvier 2016 par l’administrateur judiciaire de Utrade Premium, gère plusieurs marques ciblant des investisseurs dans le monde entier.
Ces marques sont notamment CapitalOption, SkyFX, Forex TG Pty Ltd (FXTG), Algobank, PlusFN, OneBinary, OptioNow, Zluti Marketing et affiliatekey.com. Selon l’administrateur judicaire, toutes les marques sont gérées par une seule entreprise, et les employés de Utrade Premium travaillaient aussi pour d’autres marques. La plupart de l’argent qui aurait été volé par Utrade Premium a été investi dans Binary Call Center pour financer ses activités, selon l’administrateur judiciaire.
En avril 2016, CySec, le régulateur des marchés de Chypre, a annulé la licence de Capital Option et SkyFX. En 2015, l’Agence japonaise des services financiers a placé FXTG sur sa liste d’avertissements aux investisseurs, composée d’entreprises proposant des services d’investissements sans être déclarées au Japon.
Binary Call Center Ltd., l’entreprise israélienne qui gérait toutes ces marques, n’a pas été fondée par Talmor. Selon le registre israélien des sociétés, elle a été fondée en mars 2013 par Leon Okun, directeur de SpotOption, une entreprise de plateformes d’options binaires.

On ne sait pas pourquoi l’ATI a concentré son enquête sur une partie d’une opération de Forex et d’options binaires d’un individu, étant donné que Utrade Premium ne représente que l’une des entreprises d’une opération internationale plus large, et que les 27 millions de dollars qui auraient été volés ne représentent qu’une très petite proportion d’une arnaque qui rapporterait 10 milliards de dollars par an.
Il y a et a eu des centaines d’autres propriétaires et cadres d’entreprises frauduleuses d’options binaires et de Forex. Même dans Utrade Premium elle-même, on ne sait pas pourquoi l’ATI a recommandé la mise en examen de certains employés, et pas d’autres.
Une porte-parole de l’Autorité des titres a indiqué qu’elle ne connaissait pas les réponses à ces questions et qu’elle se renseignerait, mais a ajouté que les récentes recommandations de mises en examen de l’ATI ne présumaient pas de futures recommandations contre d’autres individus impliqués dans telle ou telle compagnie.
Nimrod Assif, avocat des victimes de la fraude au Forex et aux options binaires qui critique depuis longtemps l’inaction de l’ATI contre cette arnaque menée depuis Israël, a déclaré au Times of Israël qu’il n’était pas impressionné.
« La décision de l’ATI d’appliquer la loi contre cette plateforme de transaction est un peu tardive », a-t-il dit.

« Le comportement qu’a eu Utrade, comme l’affirme l’ATI, n’est pas différent de celui de beaucoup d’autres entreprises de Forex et d’options binaires en Israël. Entre autres choses, la fourniture sans autorisation de conseils financiers et de gestion de portefeuilles a été plus ou moins la norme dans l’industrie du Forex et des options binaires israéliennes. L’ATI a même vu des preuves évidentes de cela mais, malheureusement, a décidé de rester en marge pendant des années, permettant à l’illégalité d’atteindre une taille gigantesque. »
Le mois dernier, la police a arrêté Eliran Saada, le propriétaire d’une entreprise à Tel Aviv d’options binaires frauduleuses, soupçonné de fraude aggravée, fausse déclaration, faux témoignage, fabrication de faux, extorsion et chantage.
Une source de la police a indiqué au Times of Israël qu’il n’était plus en détention, mais que l’enquête contre lui et son entreprise, Express Target Marketing, qui gère les sites internet InsideOption et SecuredOptions, était en cours. Ces deux sites ne sont plus opérationnels, mais un troisième site géré par la même entreprise offshore, OptionChase.com, est toujours fonctionnel.
En novembre dernier, l’ATI avait arrêté le directeur et six employés d’iTrader.co.il. L’ATI a confirmé au Times of Israël la semaine dernière que l’enquête était en cours.