Face à la pandémie, les Juifs de Suède ont organisé leur propre confinement
Dans la lutte contre le COVID-19, si la communauté juive a été largement favorable à l'approche laxiste adoptée par le gouvernement suédois, elle a pris ses propres précautions

JTA — Le port du masque reste peu fréquent en Suède.
La raison est que le pays a adopté l’une des approches les moins restrictives dans le monde entier face à la pandémie de coronavirus. Alors que les pays européens ont, dans leur grande majorité, opté pour le confinement, les Suédois ont gardé les écoles, les boutiques, les restaurants et les bars ouverts, se soumettant à des restrictions minimalistes.
Certains ont salué cette politique plutôt laxiste mise en œuvre par la Suède, qui a permis de minimiser la débâcle économique entraînée par le virus, tandis que d’autres ont déploré un nombre de morts entraînées par le coronavirus significativement supérieur aux chiffres des nations voisines.
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Même si la vie suit très largement son cours habituel, les choses ont toutefois beaucoup changé pour les membres de la petite communauté juive du pays.
Les Juifs de Suède – ils sont environ 15 000 dans un pays où la population compte 10 millions de personnes – se sont placés en « situation de crise » depuis que la pandémie a fait son apparition, explique Aron Verständig, le responsable de la communauté.
La majorité des institutions sont fermées depuis la mi-mars, après que la communauté a appris que des personnes testées positives au COVID-19 avaient assisté aux offices dans au moins une des synagogues de Stockholm.
« Nos rabbins nous ont dit que d’un point de vue halakhique [loi religieuse juive], il ne pouvait pas y avoir d’offices religieux si cela impliquait de mettre des vies en péril », commente Verständig, qui est à la fois responsable de la communauté juive de Stockholm et président du Conseil des communautés juives suédoises.
Fin mars, la communauté a ressenti l’impact du virus meurtrier lorsqu’il s’est propagé dans une maison de retraite juive de Stockholm et parmi les Juifs plus généralement, faisant 17 morts dans un court laps de temps.
Et pourtant, les Juifs du pays – à l’image d’un grand nombre d’autres Suédois – considèrent favorablement la réponse gouvernementale apportée à la pandémie.
« Bien sûr, il y a quelques critiques internes en Suède, mais je dois dire que, quand je parle avec les gens, qu’ils soient Juifs ou non-Juifs, presque tous estiment que la Suède, en grande partie, a fait ce qu’il fallait faire », note Verständig.

De grosses pertes
Sur les 17 décès à déplorer au sein de la petite communauté de Stockholm, fin mars et début avril, la majorité concernait des résidents de la maison de retraite juive.
La communauté s’est démenée pour pouvoir inhumer les victimes. Le service de pompes funèbres juives de la ville, ou Hevra Kadicha, n’était pas assez important pour pouvoir assumer un si grand nombre d’obsèques si rapidement, et de nombreux membres du groupe étaient eux-mêmes âgés ou appartenaient à des catégories à risque.
Mais les choses ont changé lorsque Verständig a émis un appel pour mobiliser des bénévoles plus jeunes.
« Beaucoup de gens se sont présentés et ont apporté leur aide », se réjouit-il.
Même s’il n’y a pas eu de nouveaux cas depuis le début du mois d’avril au sein de la maison de retraite – qui est encore en confinement – ces décès ont frappé la communauté de manière très dure, en particulier parce qu’un grand nombre de victimes étaient des survivants de la Shoah.
Selon Verständig, il n’y avait pas plus de 100 survivants de la Shoah avant l’épidémie de COVID-19. Dix ou onze personnes se sont éteintes au sein de la maison de retraite, et la majorité était des rescapés du génocide.
« Il ne restait déjà plus beaucoup de survivants de la Shoah mais, aujourd’hui, nous en avons perdu une part plus importante », déplore Verständig.

Une synagogue ferme ses portes pour la première fois
Pour la toute première fois de son histoire, il n’y a plus d’offices au sein de la principale synagogue de Stockholm. Et pourtant, même durant les violences et le chaos entraînés par la Seconde Guerre mondiale, les Juifs s’y étaient toujours régulièrement réunis.
« Jamais au cours des 150 années d’existence de la synagogue, nous n’avions dû renoncer aux offices. Ce n’était jamais arrivé », clame la rabbin Ute Steyer.
Steyer organise des offices sur Zoom et se réjouit de voir des personnes qui ne venaient pas régulièrement à la synagogue participer aux offices sur Internet.
« On commence à entrer dans une sorte de routine », dit-elle. « Il y a de nombreuses personnes qui choisissent de se joindre à nous – et c’est surprenant. Je ne m’y attendais pas. »
Elle a pourtant encore de nombreux défis à relever. Environ une dizaine de bar et de bat-mitzvah ont été reportées, et Steyer tente de trouver le moyen que les cérémonies puissent se tenir lors de la réouverture de la synagogue. Les conversions et les circoncisions devront peut-être attendre la fin de la pandémie. Sans parler du chagrin ressenti par la petite communauté.
« Tout le monde connaît tout le monde. Tout le monde est lié, d’une certaine manière », note le rabbin. « Alors si quelqu’un a perdu un proche dans le cadre de l’épidémie de coronavirus, tout le monde le sait, et sait qui était cette personne et qui était sa famille. »

La seule colonie juive du pays fermée pour l’été
Chaque été, des centaines de jeunes Juifs scandinaves partent au Glämsta, un camp estival vieux de 111 ans qui se situe dans l’archipel de Stockholm. Ils y chantent, font du sport, de la navigation et s’endorment tard dans la nuit, après avoir échangé avec leurs amis.
Mais Glämsta, c’est aussi bien davantage qu’un été de joie et de jeux. Pour de nombreux enfants qui vivent hors de Stockholm, c’est le seul moment de l’année où ils fréquentent d’autres jeunes Juifs. Ils y apprennent leur héritage.
Au mois d’avril, la communauté juive de Stockholm a décidé d’annuler les sessions estivales de cette année en raison de la pandémie.
« Tout le monde a eu le cœur brisé et trouve cela très, très triste. De nombreuses personnes décrivent Glämsta comme étant l’institution la plus importante pour transmettre la yiddishkeit [judéité] d’une génération à la suivante », dit le directeur du camp David Lejbowicz, qui raconte avoir récemment reçu l’appel téléphonique d’une mère en larmes suite à l’annulation.
Et pourtant, la communauté ne sera pas complètement en manque de camp, cet été. Lejbowicz organise un camp sous la forme d’externat, contrairement à l’internat habituel. Même si le programme ne sera ouvert qu’à celles et ceux qui résident dans la capitale suédoise, plus de 90 enfants se sont d’ores et déjà inscrits.
« Il y a une petite lueur d’espoir parce que maintenant, il y a quelque chose de positif, il y a un objectif positif », poursuit-il.

L’école juive fonctionne encore – et elle est appréciée
Comme les écoles élémentaires et les collèges de tout le pays, l’école juive, à Stockholm, est toujours ouverte. L’école Hillel – qui accueille les enfants de la crèche au CM2 et qui compte environ 400 élèves – a bien annulé les événements importants, mis en œuvre les règles de distanciation sociale et encourage le lavage fréquent des mains. Mais elle fonctionne presque comme d’habitude.
« La réponse que nous avons apportée est très appréciée », commente la principale de l’établissement, Kim Lichtenstein. « Qu’il s’agisse des élèves qui ne veulent pas aller à l’école pendant les vacances d’été ou le week-end, en passant par les parents qui ont été en mesure de continuer à travailler jusqu’à notre personnel : tout le monde a réagi positivement à ce que nous avons mis en place, vraiment », ajoute-t-elle.
Malgré tout, pendant quelques semaines – de la moitié du mois de mars au début avril environ, lorsque le coronavirus a frappé la communauté juive de Stockholm – environ la moitié des personnels et un tiers des élèves ont été absents. Certains étaient malades, ou avaient des membres de leurs familles malades ; d’autres avaient peur de venir au sein de l’établissement.
« C’était très différent », précise Lichtenstein. « Dans certaines classes, il y avait trois élèves présents sur 20. »
Le seul magasin casher de Stockholm reste ouvert mais son propriétaire s’inquiète
Les 200 à 300 foyers qui consomment des produits casher à Stockholm comptent sur l’enseigne Kosherian pour y acheter leur viande et autres produits gourmets. Le magasin, qui est abrité par le centre communautaire juif de la ville qui vient d’être construit, dans le quartier branché d’Östermalm, est également populaire parmi les Juifs moins pratiquants pour sa petite collection de Judaïca et pour ses assortiments de houmous et d’en-cas israéliens.
Même si le magasin est habituellement un endroit pour faire des rencontres, les choses sont dorénavant différentes – une seule personne à la fois est autorisée à entrer dans le commerce.
« À l’ordinaire, les gens veulent rester, parler, entretenir des contacts. Aujourd’hui, on tente de les amener à faire leurs achats, à payer et à partir », déclare le co-propriétaire de la boutique Benny Rung, qui a été lui-même hospitalisé au mois d’avril, malade du coronavirus.
Dans la mesure où l’abattage casher est illégal en Suède, Rung importe toutes ses viandes et s’inquiète de ce que la pandémie ne vienne menacer ses approvisionnements.
« Il y a beaucoup d’incertitudes », assène-t-il.

Un institut d’enseignement juif devient virtuel
C’est à Stockholm que s’est installé le Paideia — l’Institut européen d’études juives en Suède. L’organisation offre un certain nombre de programmes pour les adultes intéressés par les études et la culture juives, par le yiddish ou l’hébreu, et propose également un programme d’éducation financé par le gouvernement, qui se consacre à la religion et à la politique.
Les cours de l’Institut sont dorénavant à suivre en ligne, une décision qui a été prise à la mi-mars. Malgré les défis techniques initiaux, enseignants et élèves ont su s’adapter de manière créative.
Par exemple, les élèves d’un cours de danse folklorique juive se rassemblent via Internet, et les élèves peuvent choisir de danser avec l’instructeur ou simplement de regarder les nouvelles démonstrations de danses de ce dernier.
Un cours d’introduction au judaïsme devait comprendre, à la base, un déplacement à la synagogue, où les élèves auraient assisté à un office de Shabbat avant de se rendre à un dîner du vendredi soir. Finalement, les élèves ont pu observer, sur leur écran, leur professeure et son époux préparer un dîner du Shabbat, un soir de semaine, pour montrer à quoi il pouvait habituellement ressembler.
Ces cours virtuels ont été une réussite auprès des élèves, s’exclame Mina Szpiro, coordinatrice de l’enseignement au sein de l’institut.
« Un grand nombre d’entre eux sont très heureux et reconnaissants de pouvoir continuer à être stimulés intellectuellement et de pouvoir continuer le cours, d’avoir des contacts avec les autres », dit-elle.
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