La Biennale de Haïfa utilise l’art pour surmonter les traumatismes et les pertes
Repensée suite au 7 octobre, les installations vidéos sont au centre de l'exposition d'art méditerranéen au Wizo Haifa ; des soldats en cire sont exposés à la Maison des Artistes
Réorganiser une exposition d’art pendant une guerre n’est pas chose aisée, mais cela peut rendre les messages encore plus évidents.
Belu-Simion Fainaru et Avital Bar-Shay, commissaires d’exposition aguerris et partenaires dans la vie, avaient déjà planifié leur cinquième exposition d’art bisannuelle de Haïfa, mais sont retournés à leur planche à dessin après les événements du 7 octobre, lorsque le groupe terroriste palestinien du Hamas a attaqué les communautés frontalières d’Israël à Gaza, tuant 1 200 personnes, commettant des atrocités et en enlevant des centaines d’autres pour les emmener de force dans la bande de Gaza.
(Une section du programme de la Biennale avait été affichée dans les rues d’Istanbul à la fin du mois d’octobre, mais lorsque le président turc Recep Tayyip Erdogan avait prononcé un discours soutenant le Hamas, les commissaires israéliens et turcs avaient retiré les noms des artistes qui avaient une consonance israélienne et les avaient remplacés par le pays d’origine de la famille de chacun d’entre eux).
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« Nous avons travaillé rapidement », a déclaré Fainaru, professeur à la Wizo Haifa, une école d’art ouverte depuis quatre ans, dont la galerie-lobby accueille une partie de l’exposition.
La Biennale repensée s’intitule désormais « Anybody Home » (« Y a-t-il quelqu’un à la maison ? ») et se penche sur ce que le concept de « maison » évoque aujourd’hui pour les Israéliens, alors que celle-ci est censée représenter l’abri, le refuge et la sécurité. Elle pose la question de savoir si les gens auront la force de reconstruire les maisons qu’ils ont perdues dans les communautés frontalières de Gaza ou même s’ils voudront retourner dans les maisons qu’ils ont dû évacuer à proximité des frontières septentrionale et méridionale.
L’exposition, qui a ouvert ses portes le 18 janvier, débute dans le café de l’école avec une vidéo de Fainaru sur les personnes évacuées du kibboutz Karmia, qui ont séjourné à Haïfa. Ils ont participé à un atelier avec le professeur et ont écrit leurs souhaits sur des feuilles lignées.
Les souhaits sont des demandes modestes telles que « J’aimerais rentrer chez moi » ou « J’espère que mon fils [réserviste] rentrera bientôt à la maison ». Les participants ont ensuite été filmés en train de lancer le souhait froissé à la personne suivante, la vidéo étant montée de manière à ce que chaque boule de papier soit perçue comme étant attrapée et ouverte par la personne suivante dans la file d’attente.
Ces deux commissaires sont de grands amateurs d’art vidéo, et cette exposition en compte beaucoup.
Il y a une installation frappante du photographe Ori Gersht, dont la vidéo « Grenade », riche comme une peinture à l’huile, qui montre une balle transperçant une grenade, qui pulvérise son jus rouge sur le reste de la nature morte. Cette impression de sang et de guerre montre clairement que quelque chose de laid est en train de se dérouler, a commenté Fainaru.
Il y a aussi « Le dernier souper » d’Angelika Sher, une photographie mise en scène de soldates mangeant des tranches de pastèque, un rappel douloureux des tatzpitaniyot qui ont été enlevées et sont toujours en captivité, sans que l’on sache où elles se trouvent ni comment elles se portent. Sher expose plusieurs œuvres, la plupart d’entre elles mettant en scène des soldates en uniforme, toujours dans des scénarii oniriques et improbables.
La contribution de Fainaru consiste en une simple horloge murale qui semble faire partie de l’établissement, mais celle-ci est réglée pour tourner à l’envers, pour ceux qui souhaitent remonter le temps, jusqu’au 6 octobre.
Il y a plusieurs tableaux de l’artiste du kibboutz Beeri, Ziva Jelin, des scènes de Beeri tachées de rouge qui ont été peintes bien avant le 7 octobre et qui sont maintenant trouées d’impacts de balles après que des terroristes du Hamas ont tiré sur la galerie de son kibboutz le 7 octobre.
Les impacts de balles « ruinent l’œuvre », a souligné Fainaru. « Comme la grenade. Cela rompt l’équilibre. »
Une autre œuvre vidéo de Shahar Marcus et Nezaket Ekici montre deux personnes enterrées vivantes sous un tas de charbon, tandis qu’un court-métrage réalisé par AES + F, un groupe d’artistes basés en Russie et à New York, crée une scène d’apocalypse ou de catastrophe mondiale, « ce qui correspond à ce que l’on ressent en ce moment », a affirmé Bar-Shay.
Une photo surdimensionnée du photographe de guerre Pavel Wohlberg a été prise à Nahal Oz, un kibboutz et une base militaire adjacente où plus de 60 soldats israéliens et dont plus d’une dizaine de kibboutznikim ont été tués et d’autres ont été enlevés.
La photo de Wohlberg présente le paysage comme un décor improbable, avec Gaza en arrière-plan et un ciel immense au-dessus.
L’organisation de cette exposition d’art bisannuelle a été plus que compliquée, avec des questions et des inquiétudes sans fin de la part de l’administration de la Wizo sur la façon dont les étudiants arabes de l’école – environ 50 % de la population étudiante est arabe – verraient l’exposition, en particulier les œuvres représentant des soldats en uniforme.
Les commissaires ont dû obtenir de l’école qu’elle ouvre ses portes pour pouvoir organiser l’exposition, alors que le début de l’année scolaire avait été retardé en raison de la guerre. Entre-temps, ils ont passé des nuits blanches, inquiets de savoir leur fils effectuer son service de réserve dans le nord.
Le fils de l’un des membres du personnel de la Wizo a été gravement blessé à Gaza au début de la guerre, et une étudiante de la Wizo, Inbar Haïman, avait d’abord été considérée comme une otage avant d’être déclarée assassinée par le Hamas quelques semaines plus tard.
« Nous pensions qu’elle rentrerait à la maison », a déclaré Fainaru. Son petit ami, Noam Alon, est en quatrième année à la Wizo ; lorsqu’il est revenu à l’école et qu’il a vu une photo d’Inbar, il a demandé à l’école de la retirer.
Fainaru a déclaré que certains de ses élèves de la Wizo – des réservistes – viennent en classe les jours de permission avec leurs armes, qu’ils déposent sur leurs pupitres. Certains de leurs camarades arabes sont pro-Hamas, dit-il.
L’exposition se poursuit dans plusieurs lieux publics du quartier voisin de la colonie allemande de Haïfa, avec des installations vidéo dans des cafés, des salons de beauté et un centre commercial local, entre autres. Le site web de la Biennale de Haifa comprend une carte des lieux où se trouvent les installations du quartier.
Les commissaires, bien qu’amateurs de messages mystérieux, concluent l’exposition avec une œuvre facile à comprendre de Fainaru, un panneau rectangulaire blanc familier, éclairé par des chiffres, du type de ceux utilisés dans les immeubles d’habitation, sur lequel est imprimé « iyé tov » (« Ça va aller »).
« Les gens aiment ça », a commenté Fainaru.
En verre et en cire
À quelques pas de la Wizo Haifa se trouve « Who By Fire », une exposition dans une galerie de la Maison des Artistes de Haïfa, qui marque également le deuil et la perte de l’artiste Deborah Dworman Sullum. C’est aussi le titre d’une chanson connue de Leonard Cohen.
Sullum a rassemblé des œuvres en verre marquant son propre deuil après la mort soudaine d’un neveu dans un récent accident d’avion, ainsi que des œuvres en verre marquant le souvenir de chacun des otages encore à Gaza.
L’exposition est centrée sur « Shema Yisrael, The Fallen », une collection de figurines en cire d’abeille moulées par Sullum pour chacun des soldats tués depuis le début de la guerre à Gaza.
Sullum déplorait la mort de son neveu et le diagnostic d’Alzheimer de sa sœur en réalisant une série de portraits vitrés, lorsque sont survenus les attaques du 7 octobre, ce qui l’avait amenée à réfléchir à la façon dont tout cela était lié selon elle.
Adepte de longue date des marchés aux puces, notamment celui de Haïfa, Sullum est tombée sur une poupée Ken de 1964 au cours de l’une de ses promenades et l’a utilisée pour créer le moule d’un soldat, à partir duquel elle façonne des figurines en cire représentant les soldats.
Presque chaque jour, elle en ajoute de nouvelles aux rangées soigneusement disposées sur une toile de jute placée sur le sol de la galerie.
L’exposition « Who By Fire » sera accessible jusqu’au 26 janvier.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel