La frappe meurtrière sur Tamra a suscité un racisme anti-arabe, mais surtout une vague de solidarité
Suite à la vidéo d'Israéliens radicaux célébrant l'attaque qui a tué 4 femmes dans cette ville à majorité musulmane, de nombreux Juifs ont accouru pour réconforter les proches des victimes

JTA — Lorsque Haviva Ner-David est entrée dans la ville à majorité musulmane de Tamra, à environ 25 km de son kibboutz en Basse-Galilée, elle a été surprise de la trouver en effervescence. Malgré la chaleur torride, les frappes iraniennes incessantes et l’absence d’abris anti-atomiques, des milliers de personnes s’étaient rassemblées pour pleurer les trois femmes et une fillette de la famille Khatib tuées dans une frappe de missile balistique ce dimanche là.
« Les rues étaient remplies de gens qui s’arrêtaient pour demander où se trouvaient les tentes funéraires des hommes et où étaient installées les femmes », a expliqué Ner-David.
Beaucoup avaient bravé les tirs de missiles et la canicule, non seulement en raison de l’ampleur de la tragédie – Raja Khatib a perdu son épouse, Manar al-Qasem Abu al-Heija Khatib, ses deux filles, Shada, 20 ans, et Hala, 13 ans ; et sa belle-sœur, Manar Diab Khatib -, mais aussi à cause d’une vidéo devenue virale dans laquelle on entend un Juif chanter « Que ton village brûle » alors qu’un missile tombe, vraisemblablement sur Tamra.
Au cours des trois jours de deuil, la famille Khatib a reçu la visite d’un flux constant de personnes issues de toute la société israélienne : Arabes musulmans et chrétiens, Druzes, Juifs orthodoxes et, le dernier jour, le président Isaac Herzog.
Herzog, entre autres, ont noté lors de leurs visites que l’attaque de Tamra illustrait le danger que représente pour les Israéliens de toutes origines l’offensive iranienne, renforcé vendredi lorsque des religieux musulmans et des fidèles ont été blessés lorsqu’un missile a frappé une mosquée de Haïfa.
« Quatre de nos compatriotes ont été tués à Tamra. J’ai entendu des cris de joie, et je les rejette avec véhémence », a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui ne s’est pas rendu sur place, dans une déclaration faite le lendemain de l’attaque.

« Les missiles ne font pas de distinction. Ils touchent aussi bien les Juifs que les Arabes. Ils viennent pour nous détruire tous, et nous sommes unis dans cette bataille. »
Ces visites ont également été l’expression d’une solidarité interculturelle sincère en cette période de crise nationale.
Tali Gillan, assistante sociale et artiste-thérapeute, a constitué un groupe de bénévoles, composé notamment de médecins, d’infirmières et de thérapeutes, afin d’apporter aide et réconfort à la communauté. L’équipe est arrivée le lundi, veille des funérailles, et s’est coordonnée avec les autorités municipales afin d’identifier les besoins et d’apporter un soutien efficace et adapté à la culture locale.
« Nous sommes d’abord venus pour écouter, pour voir ce qui était nécessaire », a déclaré Hagar Dror Maliniek, psychologue clinicienne également membre de l’équipe.

« Nous avons offert notre soutien dans le respect, sans condescendance. »
Dror Maliniek a raconté qu’elle avait été terrifiée à l’idée de faire les vingt minutes de route depuis son domicile à Harduf, qu’elle n’avait pas quitté depuis le début des frappes iraniennes.
Une fois sur la route, elle a entendu à la radio une sirène annonçant une attaque imminente ailleurs dans le pays. Il lui a fallu un moment pour comprendre que cela ne concernait pas sa région.
« J’ai sursauté quand cela s’est produit. J’avais vraiment peur d’y aller. Mais j’ai senti qu’il était très, très important pour moi de le faire. »

Gillan et Dror Maliniek ont noté que la municipalité avait déjà mobilisé plusieurs services de son propre chef. Dans les deux jours qui ont suivi la frappe, un système d’intervention en santé mentale a été mis en place non seulement pour les résidents, mais aussi pour le personnel municipal — enseignants, travailleurs sociaux et autres personnes qui, tout en aidant la communauté dans son ensemble, devaient également surmonter leur propre traumatisme.
« Même si Tamra est une ville de 40 000 habitants, tout le monde se connaît. Ce missile a bouleversé toute la vie ici », a déclaré Gillan.
« Tout le monde veut aider. J’ai été agréablement surpris par tout le soutien que nous avons reçu, des professionnels aux députés en passant par les citoyens ordinaires », a déclaré vendredi Salah Awad, adjoint au maire de Tamra.
« Tout le monde se serre les coudes dans des moments comme celui-ci. Les gens sont restés sur le site de l’attaque pendant six jours et ne sont rentrés chez eux qu’aujourd’hui. »
Gillan a qualifié cette aide de « devoir moral ».
« C’est une tragédie immense. Il y a eu le missile iranien qui a semé la mort et la destruction, mais il y a eu un deuxième missile, celui du racisme israélien. Ce deuxième coup a été dévastateur d’une autre manière. »
Cette frappe meurtrière a ravivé l’attention sur les profondes inégalités dans l’accès aux miklatim – abris anti-atomiques publics – dans les villes arabes par rapport aux villes juives. La vidéo qui lui a fait suite a également attiré l’attention sur le racisme à l’égard des Arabes dans certaines franges de la société israélienne.
Gillan attribue cette vidéo à ce qu’elle a décrit comme la normalisation du discours raciste dans le débat public, qui, selon elle, a commencé avec les dirigeants politiques et s’est depuis répandu plus largement dans la vie israélienne.

Des données d’enquête ont révélé un niveau élevé de racisme et de méfiance raciale parmi les Israéliens. Une enquête réalisée en 2021 a révélé que la moitié des adolescents ultra-orthodoxes – ou haredim – en Israël, par exemple, nourrissaient un niveau élevé de racisme envers les Arabes, tandis qu’une enquête réalisée plus tôt cette année a révélé que les trois quarts des Israéliens juifs se méfiaient des Israéliens arabes, contre 43 % des Arabes qui se méfiaient des Juifs.
Ner-David a reconnu l’existence du racisme parmi les Juifs israéliens, mais a déclaré qu’elle pensait que la vidéo reflétait l’opinion d’une minorité marginale, en particulier dans les communautés de Galilée où Juifs et Arabes vivent souvent côte à côte et où environ la moitié de la population est arabe. Elle a cité l’afflux de visiteurs à Tamra comme preuve.
« Les gens voulaient vraiment se manifester et montrer que non, ce n’est pas le genre de personnes qui vivent ici », a-t-elle souligné.
Nasser Khatib, l’oncle des jeunes femmes tuées, a fait écho à ce sentiment, qualifiant les personnes en deuil et leurs soutiens de véritable majorité. Dans une vidéo largement diffusée dans laquelle il appelait les Israéliens à se rendre à Tamra après l’attaque, il a également appelé à un engagement politique plus fort.
« Nous sommes majoritaires dans le pays », avait-il déclaré.
« Il y a eu des irrégularités lors des élections, mais nous ne les laisserons pas croire qu’ils sont majoritaires. Tous les Israéliens sont invités à venir chez nous. Juifs et Arabes. Que tout le monde sache que nous formons une grande famille. Nous sommes cousins. Nous partageons la même nation. »
Jamal Diab, un habitant de Tamra, s’est dit profondément ému par l’afflux de visiteurs, dont beaucoup venaient de villes lointaines qui ont également été visées par les récentes attaques de missiles, notamment Tel Aviv et Petah Tikva.
« Tous les habitants de Tamra ont été stupéfaits par ce qu’ils ont vu », a-t-il déclaré.

Il a rejeté la vidéo raciste. « Nous ne prêtons pas attention à ce genre de personne. Ce n’est pas représentatif. »
À l’intérieur de la tente de deuil, de brefs incidents ont éclaté au cours desquels des orateurs arabes locaux ont pris le micro pour tenir des propos incendiaires, mais Diab a déclaré que ces propos avaient été rapidement étouffés par d’autres personnes présentes.
« Personne ne voulait entendre ce genre de discours incendiaire », a-t-il déclaré.
« La grande majorité des gens étaient tellement touchés par l’accueil réservé par la communauté juive. Cela se voyait clairement sur leurs visages. Et les visiteurs juifs ne sont pas restés quelques minutes. Ils sont restés longtemps. »
Ce n’était pas la première fois que Ner-David, rabbin et écrivaine, assistait à des rassemblements de deuil dans des villes arabes. La plupart des occasions précédentes concernaient des victimes du crime organisé, à l’exception d’une femme tuée lors d’une attaque à la roquette du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah en novembre.
« À l’époque, personne n’aurait imaginé que les gens célébraient les missiles qui tombaient sur leur village », a-t-elle déclaré.
Mercredi, elle est arrivée à Tamra en sa double qualité de représentante de Standing Together et de Rabbis for Human Rights. Elle faisait partie d’une délégation d’environ 40 membres juifs et arabes de Standing Together, un groupe qui promeut la coopération arabo-juive et la justice sociale et qui a appelé à la fin de la guerre. Le groupe a lu une déclaration conjointe en arabe et en hébreu.
Parmi les personnes en deuil se trouvait un membre de la famille de la défunte, qui est la seule femme juge dans les tribunaux religieux musulmans d’Israël. Shada, la jeune femme de 20 ans qui a été tuée, avait étudié le droit à l’Université de Haïfa et aurait admiré la juge, espérant suivre ses traces, ainsi que celles de son père Raja, également avocat.

Le grand-père de Shada avait lui aussi joué un rôle actif dans les efforts de coexistence entre Arabes et Juifs. Dans sa maison, où certaines femmes pleuraient aux côtés de sa grand-mère, est accroché au mur un tableau représentant un rabbin, un imam et un prêtre marchant ensemble devant une mosquée, une église et une synagogue.
Raja Khatib, le mari et père endeuillé, a demandé que les personnes apparaissant dans la vidéo haineuse soient poursuivies en justice. D’autres habitants de Tamra ont fait remarquer que des Arabes israéliens avaient déjà été arrêtés pour des faits bien moins graves.
La police a déclaré qu’elle « déployait des efforts importants » pour retrouver les auteurs de la vidéo, mais a invoqué l’absence de visages visibles ou de traits distinctifs. Elle a ajouté que la vidéo pouvait avoir été filmée dans des endroits aussi éloignés que Haïfa ou même Tel Aviv.
Comme beaucoup d’autres habitants de la région, Ner-David s’est demandé si cette vidéo haineuse provenait bien de la petite communauté voisine de Mitzpeh Aviv, à laquelle elle a d’abord été attribuée, soulignant que celle-ci n’était pas connue pour son racisme.

Dimanche, Ron Shani, le chef du conseil local de Mitzpe Aviv, a nié tout lien, affirmant que la vidéo n’avait pas pu être filmée depuis sa communauté en raison de l’absence de bâtiments élevés et du panorama en arrière-plan.
Shani a rendu visite à la famille Khatib ainsi qu’au maire de Tamra, Moussa Abu Roumi, pour leur présenter ses condoléances. Deux jours plus tard, une grande pancarte a été installée à un rond-point de Tamra, sur laquelle on pouvait lire : « Les habitants de Mitzpeh Aviv tiennent la main des habitants de Tamra. »
Sarit Riv-Palti, psychologue à Emek Jezreel, a rencontré les premiers intervenants à Tamra pour organiser des séances individuelles.
« Nous avons eu des conversations approfondies qui ont permis aux personnes de libérer leurs émotions et ont utilisé des outils psychoéducatifs pour normaliser les réactions au stress », a-t-elle déclaré.
« Nous avons commencé à structurer un récit pour faire face à la situation et avons identifié les sources de force internes et externes. Ce fut une expérience enrichissante. Les personnes que j’ai rencontrées étaient très reconnaissantes du soutien apporté. Ce sont des personnes émouvantes et inspirantes. »
Gillan a déclaré que son groupe de bénévoles comptait désormais près de 100 personnes, toutes titulaires d’au moins un master et disposant d’une expérience significative dans le traitement des traumatismes. Elle s’attend à ce que leur implication dure plusieurs mois.
« Il faudra beaucoup de temps pour guérir les blessures et le traumatisme », a déclaré Gillan.
« Mais nous sommes là pour durer. C’est dans nos âmes. Nous vivons ensemble dans ce pays. Nous sommes voisins. »
Diab a déclaré que l’ampleur de la solidarité juive à Tamra était sans précédent.
« À Tamra, nous ressentons cela pour la première fois. Pendant toute la durée de cette guerre, nous ne savions pas ce qui se passait de l’autre côté, ni ce que ressentaient les gens. Aujourd’hui, nous le savons », a-t-il ajouté.
« Cela nous a donné le sentiment qu’il est encore possible de vivre ensemble et d’être dans un pays où Arabes et Juifs ne font qu’un, vivent ensemble et s’entraident. »
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