La Haute Cour pourrait décider d’invalider la loi du « caractère raisonnable » – média
La Cour dénonce la fuite d'un document contenant la position non définitive de chaque juge et souligne que la rédaction de l'arrêt n'est pas terminée ; Levin demande aux juges de ne pas statuer en temps de guerre

Selon un projet de décision divulgué aux médias mercredi soir, la Haute Cour de justice est susceptible d’invalider la loi très controversée du « caractère raisonnable » adoptée par le gouvernement cet été dans le cadre de son plan de refonte du système judiciaire, dans ce qui serait un jugement retentissant marquant la première fois que la plus haute juridiction d’Israël invalide une Loi fondamentale quasi-constitutionnelle.
Dans une décision potentiellement historique et polarisante, un panel de 15 juges comprenant tous les membres de la Cour est divisé en huit « pour » et sept « contre » l’invalidation de la loi, a rapporté mercredi la Douzième chaîne, citant un document divulgué contenant la position non définitive de chaque juge.
Le reportage a immédiatement suscité de vives réactions, les membres de la coalition fustigeant la décision attendue et la considérant comme une atteinte à l’unité nationale affichée dans le cadre de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas. Le groupe qui a déposé un recours pour l’invalidation de la loi a affirmé que la fuite était une tentative d’intimider les juges et de les pousser à modifier leur décision et à ne pas invalider la législation.
Un amendement à la Loi fondamentale : Système judiciaire adopté en juillet, la loi du « caractère raisonnable » interdit à tous les tribunaux, la Haute Cour comprise, de délibérer ou de statuer sur des décisions gouvernementales et ministérielles sur la base du critère juridique du « caractère raisonnable« .
Cette doctrine permet à la Haute Cour d’invalider les décisions gouvernementales et ministérielles si elle estime qu’il y a eu des problèmes de fond avec les considérations utilisées dans ces décisions, ou avec le poids donné à ces considérations.
Une audience sans précédent a eu lieu en septembre, au cours de laquelle les 15 juges de la Cour ont supervisé un débat de 13 heures. Cette audience a permis d’approfondir les fondements du système de gouvernement israélien et l’équilibre entre les différentes branches des pouvoirs.

Les requérants contre la loi, ainsi que la procureure générale Gali Baharav-Miara, ont fait valoir qu’elle supprimait des garde-fous cruciaux protégeant la démocratie israélienne, en particulier l’indépendance de certains hauts responsables de l’application de la loi, et qu’elle renforçait le pouvoir du gouvernement aux dépens du pouvoir judiciaire, au point de compromettre Israël en tant que démocratie.
Le gouvernement et les partisans de la loi ont fait valoir que la norme avait donné au tribunal un champ d’intervention trop large dans les décisions politiques et lui avait permis de substituer sa propre vision du monde à la volonté de la majorité. En outre, la coalition de droite et les conservateurs juridiques ont vigoureusement soutenu que les Lois fondamentales ne sont pas soumises à un contrôle judiciaire et que le tribunal n’a pas le pouvoir de les invalider.
Le ministère du porte-parole de l’Autorité judiciaire a publié une déclaration mercredi soir pour condamner la fuite et dire que la rédaction de l’arrêt n’était pas encore terminée.
« Nous considérons les fuites non autorisées avec une grande sévérité et nous ne ferons aucun commentaire à ce sujet. L’arrêt sera publié une fois que [le processus de] rédaction sera achevé », peut-on lire dans la déclaration.

Dans son avis écrit en faveur de l’invalidation de la législation, tel que rapporté par la Douzième chaîne, l’ancienne présidente de la Cour suprême Esther Hayut – qui a pris sa retraite un mois après l’audience – a été citée comme ayant écrit que la loi « représente une déviation par rapport au ‘schéma de constitution’ et aurait donc dû être adoptée avec un large accord, et non avec une majorité de coalition insignifiante ».
Hayut est une libérale qui a fortement critiqué la loi au cours de l’audience. Les juges peuvent soumettre des opinions écrites sur les audiences qu’ils ont présidées jusqu’à trois mois après leur départ à la retraite.
Hayut avait, dans des décisions précédentes, invoqué une doctrine judiciaire connue sous le nom « d’amendement constitutionnel inconstitutionnel », qui affirmait – théoriquement jusqu’à présent – qu’une Loi fondamentale qui porte atteinte au caractère fondamental d’Israël en tant qu’État à la fois Juif et démocratique peut être jugée inconstitutionnelle par la Cour.
Le juge Ofer Groskopf, qui a également décidé d’invalider la loi, aurait écrit que « l’exemption [du gouvernement et des ministres du gouvernement de la norme du caractère raisonnable] s’applique à ceux qui se tiennent au sommet de la pyramide – mais l’exigence de voir la règle de droit s’appliquer à eux est au cœur de l’impératif selon lequel personne n’est au-dessus de la règle de droit ».
Du côté des opposants, le juge conservateur Yechiel Kasher aurait écrit dans son opinion que « le travail constitutionnel de [l’adoption] des Lois fondamentales relève de l’autorité de la Knesset et non de cette juridiction ».
Cette position reflète l’affirmation des partisans de la retenue judiciaire selon laquelle les Lois fondamentales d’Israël, en tant que descendants historiquement mandatés d’une constitution complète et adoptées par la Knesset dans son rôle d’assemblée constituante et de représentant du peuple souverain, ne peuvent pas être révisées par la Cour.
Hayut, ayant pris sa retraite le 16 octobre, n’a que jusqu’à la mi-janvier pour se prononcer sur cette question constitutionnelle extrêmement délicate. L’ancienne juge de la Cour suprême, Anat Baron, a pris sa retraite le 12 octobre et n’a, elle aussi, que jusqu’à la mi-janvier pour se prononcer sur la loi du « caractère raisonnable ».
Leur inclusion dans la décision rapportée est cruciale car Hayut et Baron auraient toutes deux décidé d’invalider la Loi fondamentale, et le résultat sans leurs décisions serait de sept contre six en faveur de l’invalidation de la législation.

Les députés de l’opposition ont réagi avec fureur à la fuite du projet de décision.
« La tentative d’influencer la décision de la Haute Cour et de modifier les opinions écrites des juges qui ont fait l’objet d’une fuite est méprisable et illégitime », a déclaré la députée Karin Elharar (Yesh Atid), qui a été l’une des principales voix contre la loi du « caractère raisonnable » lorsqu’elle était en préparation au sein de la commission.
« Les juges doivent statuer en toute indépendance et sans crainte. »
Le député Gilad Kariv (Avoda), un autre fervent opposant à la loi du « caractère raisonnable » et à la refonte judiciaire de manière plus générale, a condamné la fuite comme « une honte » et a allégué que c’était des sources gouvernementales qui étaient derrière.
« Ce qu’ils ont fait perturbe les opérations de la Cour suprême d’une manière sans précédent et constitue une preuve évidente de leur volonté de nuire à son statut et à ses juges », a affirmé Kariv.
L’ONG Mouvement pour un gouvernement de qualité (MQG), l’un des principaux requérants dans cette affaire, a demandé à la procureure générale Baharav-Miara « d’ouvrir immédiatement une enquête criminelle sur la fuite du projet de décision et d’enquêter sur les menaces proférées à l’encontre de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut ».
Le député Simcha Rothman, chef de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, qui est à l’origine du projet de refonte et de la loi du « caractère raisonnable », a qualifié la décision attendue « d’acte d’irresponsabilité nationale », qui « modifie les principes fondamentaux de l’État d’Israël par une marge infime ».
Arguant que lui et la coalition n’adoptaient désormais des lois qu’avec un large consensus, en guise de leçon des profondes dissensions causées par la précédente refonte, Rothman a exhorté la Cour à « revenir à la raison et à se connecter à l’esprit d’unité et de responsabilité qui surgit dans toutes les parties du public, et à éviter de créer des divisions inutiles au sein de la nation ».
Le groupe a affirmé que la fuite était une tentative « d’intimider les juges et d’affecter leurs opinions professionnelles », la qualifiant de « conduite mafieuse et dangereuse qui convient à des régimes sombres et non à une démocratie qui respecte l’indépendance de la Cour et des juges ».
Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, chef du parti HaTzionout HaDatit, a fait remarquer qu’à l’heure où la nation s’unit derrière l’effort de guerre suite à l’assaut du Hamas du 7 octobre, « certains insistent pour nous ramener au discours du 6 octobre ».
« Invalider une Loi fondamentale pour la première fois dans l’histoire du pays, dans une décision furtive et étriquée, est attristant et approfondit la division », a-t-il souligné.
« Tout comme la Knesset ne propose pas actuellement de lois litigieuses, il est approprié et attendu des autres branches du pouvoir qu’elles fassent de même. L’heure est à la victoire et à l’unité. »
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, a demandé à la Haute Cour de justice de ne pas annoncer son avis sur la loi du « caractère raisonnable » pendant la guerre en cours à Gaza et à la frontière nord, affirmant qu’une décision à ce moment serait trop clivante.

Ses remarques font suite à la fuite indiquant que la Cour aurait l’intention d’invalider la loi.
« Alors que nos soldats se battent ensemble sur différents fronts, et à un moment où la nation entière souffre de la perte de nombreux soldats, le peuple d’Israël ne devrait pas être divisé par des différends », a souligné Levin.
« Les citoyens d’Israël attendent de la Haute Cour qu’elle ne publie pas de décision controversée, même parmi ses juges, pendant une guerre », a-t-il ajouté.
Mais les députés de l’opposition ont critiqué l’appel du ministre de la Justice, demandant à la Haute Cour de ne pas publier son avis sur la loi en temps de guerre, affirmant qu’il sait parfaitement que cela ferait finalement basculer la décision de la Cour en faveur du gouvernement.
L’ancienne présidente de la Cour suprême Hayut, et l’ancien juge de la Cour suprême Baron, ayant toutes deux pris leur retraite à la mi-octobre, ne peuvent rendre des décisions que sur les affaires qu’elles ont entendues jusqu’à la mi-janvier.
Étant donné qu’elles seraient toutes deux en faveur de l’invalidation de la loi, la Cour étant divisée à 8 contre 7, attendre jusqu’à la fin de la guerre permettrait de créer une majorité opposée à l’invalidation de la législation.
« Il s’agit d’une tentative idiote du ministre de la Justice d’influencer la décision alors qu’elle est encore en cours de rédaction », a écrit la députée Meirav Cohen (Yesh Atid) sur X.
« Il sait que deux juges, dont l’ancienne présidente de la Cour, ne peuvent plus rendre de décisions après le 12 janvier et il sait que la guerre ne sera pas terminée d’ici là. Le ministre de la Justice tente en réalité d’influencer la décision de la Haute Cour en modifiant rétroactivement la composition de la magistrature. »
La députée Elharrar a souligné à Levin que ses propos attestent qu’il ne saisit pas le rôle du pouvoir judiciaire.
« Ce ne sont pas des politiciens et leur travail consiste à statuer sur les recours sans instructions de quiconque, y compris du ministre de la Justice. Le ministre est censé respecter chaque décision, même s’il n’est pas d’accord avec elle », a-t-elle écrit sur X.