Esther Hayut part à la retraite mais reste impliquée dans les affaires en cours
Les arrêts de la présidente de la Cour suprême ont inclus des décisions critiques défiant le gouvernement
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, arrivera au terme de son mandat lundi, après sept ans à la tête de la plus haute juridiction israélienne, ayant atteint l’âge de la retraite obligatoire de 70 ans.
Hayut a rédigé des avis majoritaires sur certaines des questions les plus cruciales auxquelles le pays a été confronté ces dernières années, qu’il s’agisse de la possibilité pour le Premier ministre d’exercer ses fonctions tout en étant inculpé, de la légalité des avant-postes construits sur des terres palestiniennes privées ou de la nature même du caractère national d’Israël.
La cérémonie traditionnelle de départ à la retraite à la Cour suprême a été annulée en raison de la guerre en cours à Gaza.
Les juges de la Cour suprême disposent de trois mois après leur départ à la retraite pour rédiger des avis sur les affaires qu’ils ont entendues. Dans les mois à venir, Hayut le fera probablement dans l’affaire peut-être la plus importante jamais portée devant la Cour : la récente législation du gouvernement connue sous le nom de loi du « caractère raisonnable », qui limite le pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour suprême sur les décisions administratives prises par le gouvernement et les ministres.
L’affaire est d’une importance capitale puisqu’elle porte sur un amendement à l’une des Lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël – dont aucune n’a été, à ce jour, invalidée par la Cour. Il est probable que, même si Hayut et le reste de la Cour décident de ne pas invalider purement et simplement la loi du « caractère raisonnable », la présidente de la Haute Cour renforcera les avis qu’elle a émis par le passé et qui confortent la position de la Cour, à savoir qu’elle a le droit de procéder à un contrôle judiciaire des dispositions constitutionnelles du pays dans des circonstances dites « graves ».
Elle devrait également participer à l’examen d’une deuxième modification récente de la Loi fondamentale : Le Gouvernement. La loi de « récusation » vise à empêcher la Cour d’ordonner à un Premier ministre de se récuser.
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, ayant refusé de convoquer la commission de sélection des juges, aucun nouveau président ne peut être choisi. L’actuel vice-président Uzi Vogelman deviendra président intérimaire de la Cour mardi.
Hayut a été nomméee à la Cour suprême en tant que juge permanent en 2004, après avoir siégé au tribunal de première instance de Tel Aviv et au tribunal de district.
En tant que présidente de la Cour suprême depuis 2017, Hayut a rédigé des opinions pour la majorité dans certaines des affaires les plus importantes portées devant la Cour au cours des 20 dernières années.
« Hayut a défendu avec acharnement l’indépendance du pouvoir judiciaire face aux graves attaques dont il a fait l’objet. Elle l’a fait calmement et sans être trop conflictuelle, mais elle a tenu bon quand il le fallait », a déclaré Guy Lurie, expert juridique à l’Institut israélien de la démocratie (IDI).
Il a relevé le discours provocateur et très inhabituel qu’elle avait prononcé en janvier dernier devant l’Association israélienne de droit public pour fustiger le plan de refonte du système judiciaire annoncé par Levin, les questions directes et combatives qu’elle a posées lors des auditions portant sur la législation relative à la refonte et sa décision novatrice, et sans précédent, d’autoriser les retransmissions d’auditions cruciales en direct.
Moshe Cohen-Eliya, maître de conférences en droit constitutionnel au College of Law and Business, a déclaré que la présidente Hayut savait comment créer un consensus au sein de la Cour, même à une époque où les divisions entre libéraux et conservateurs n’ont cessé de croître au sein de la magistrature.
Il a noté que malgré la présence de quatre juges clairement conservateurs, la Cour est récemment intervenue dans la loi dite de « Tibériade » du gouvernement, statuant à l’unanimité en juillet contre une législation qui semblait conçue spécifiquement pour permettre à un certain candidat de se présenter à la mairie.
Et dans l’affaire explosive dans laquelle la Cour avait été saisie pour interdire au Premier ministre Benjamin Netanyahu de former un nouveau gouvernement en 2020 alors qu’il était inculpé au pénal, Hayut avait obtenu une décision unanime des 11 juges du panel qui avaient rejeté les recours déposés.
Parmi les autres affaires à fort impact pour lesquelles elle a rédigé l’opinion majoritaire, citons le cas de la loi sur les arrangements en matière de avant-postes, qui permettait à l’État de légaliser rétroactivement des avant-postes illégaux construits sur des terres palestiniennes privées, mais que la Cour avait invalidée en 2020, à huit voix contre une.
En janvier de cette année, Hayut a défié le gouvernement et le Premier ministre en rédigeant l’avis majoritaire selon lequel le chef du parti le Shas, Aryeh Deri, ne pouvait pas être ministre en raison de sa récente condamnation pour des délits fiscaux.
L’avis le plus important qu’elle ait rendu jusqu’à présent est sans doute celui qu’elle avait donné pour la décision majoritaire concernant la loi controversée sur l’État-nation en 2021. Bien que la Cour ait décidé de maintenir la nouvelle Loi fondamentale, Hayut avait affirmé à l’époque que la Haute Cour avait le pouvoir d’exercer un contrôle judiciaire sur la proto-constitution d’Israël, dans des circonstances très spécifiques : tous les cas où la Knesset, par le biais d’une Loi fondamentale, chercherait à révoquer « l’essence d’Israël en tant qu’État juif et démocratique ».
Le développement de cette doctrine, connue sous le nom d’amendement « constitutionnel inconstitutionnel », constitue la base de l’argument avancé par les libéraux, dont ceux qui siègent à la Cour suprême, selon lequel la Cour peut contrôler et intervenir dans les Lois fondamentales si elles portent atteinte aux composantes fondamentales du caractère d’Israël.
Si la Cour finit par invalider la récente législation sur la Loi fondamentale ou intervenait d’une autre manière, ce sera très certainement en développant cette doctrine.
« Hayut veut que l’on se souvienne d’elle comme d’une leader et d’une ‘juge imposante’ qui a su faire traverser à la Cour la crise la plus grave qu’elle ait connue. Elle considère qu’il s’agit d’un moment historique et veut que l’on se souvienne d’elle comme de quelqu’un qui a mis fin au type de recul démocratique observé en Hongrie et en Pologne ces dernières années », a déclaré Eliya.