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La Hongrie, 1er producteur de foie gras casher en Europe, un atout pour Orban

La production hongroise de viande casher s'est accélérée avec la Covid. Entre l'illusion de tolérance religieuse et les nombreux emplois créés, Budapest est le grand gagnant

Le rabbin Jacob Werchow présente des oies abattues par son équipe à Csengele, en Hongrie, le 29 septembre 2021. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Le rabbin Jacob Werchow présente des oies abattues par son équipe à Csengele, en Hongrie, le 29 septembre 2021. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

JTA – Les deux usines de foie gras casher d’Europe ne se trouvent pas en France, de loin le premier consommateur de ce produit. Elles ne se trouvent pas non plus en Angleterre, où vit la deuxième plus grande population juive d’Europe.

Elles se trouvent plutôt en Hongrie, où il y a peu de Juifs et pas plus d’une demi-douzaine de restaurants casher en tout.

Cette situation s’explique en partie par la réputation qu’a le Premier ministre hongrois Viktor Orban, parmi ses nombreux détracteurs, de faire de la xénophobie une arme, y compris contre les Juifs.

L’Union européenne (UE) s’est montrée de plus en plus critique à l’égard d’Orban, condamnant son refus d’admettre les demandeurs d’asile, l’érosion de l’indépendance du système judiciaire et, plus récemment, l’interdiction de communiquer des informations sur l’homosexualité aux mineurs.

De la viande de volaille casher est étiquetée dans un abattoir casher à Csengele, en Hongrie, le 15 janvier 2021. (Crédit : AP Photo/Laszlo Balogh)

Mais la Belgique, membre de l’UE, a récemment interdit la production de viande casher et halal – et la plus haute juridiction de l’UE a même confirmé cette interdiction.

Cette saga a fourni au gouvernement Orban une nouvelle occasion de lancer à ses détracteurs des accusations de violation des droits civils similaires à celles qu’ils lancent contre lui, tout en présentant la Hongrie comme la gardienne des libertés qui sont restreintes ailleurs en Europe.

Les interdictions et les décisions prises à leur sujet ne sont « pas seulement une attaque contre la liberté religieuse, mais une attaque contre notre héritage judéo-chrétien et les communautés juives d’Europe », a écrit Orban au début de cette année au président israélien Isaac Herzog.

« Par conséquent, mon gouvernement a rapidement condamné cette décision néfaste, et nous ferons tout notre possible pour élever notre voix contre elle dans tous les forums internationaux possibles. »

Le personnel travaille sur la chaîne de production de viande de volaille casher dans un abattoir casher à Csengele, en Hongrie, le 15 janvier 2021. (Crédit : AP Photo/Laszlo Balogh).

La Hongrie a fait plus que plaider contre les restrictions sur l’abattage casher, ou shehita. Elle accorde également d’importantes subventions et concessions gouvernementales aux abattoirs casher qui opèrent dans le pays.

Ces subventions, combinées aux politiques d’abattage des animaux en vigueur ailleurs en Europe et aux interruptions de la chaîne d’approvisionnement induites par la pandémie de COVID-19, ont fait de la Hongrie un improbable grand producteur de viande casher destinée à la consommation en Europe et en Israël. Parmi ses abattoirs, on trouve les deux seuls consacrés aux oies casher en Europe.

L’opposition du gouvernement Orban aux interdictions ou aux limitations sévères de l’abattage casher, que les défenseurs des droits des animaux ont réussi à imposer dans au moins sept pays européens, remonte au moins à 2014, lorsque Ferenc Kumin, un haut porte-parole du gouvernement, avait promis de s’opposer à toute tentative d’interdiction au niveau local.

Suite à l’interdiction en Belgique, un grand abattoir de poulets a quitté Anvers l’année dernière pour s’installer en Hongrie afin de rester en activité. Et lorsque la pandémie de COVID-19 a entraîné la fermeture des abattoirs casher du Royaume-Uni, ceux de Hongrie ont augmenté leur production et l’un des abattoirs d’oies, Kosher Poultry, situé dans le village de Csengele, à environ 120 km au sud-est de Budapest, s’est reconverti dans la volaille pour pallier la pénurie.

Des rabbins examinent la chaîne de production de Quality Poultry KFT à Csengele, enHongrie, en février 2017. (Crédit:Zsolt Demecs/ via JTA)

L’Angleterre et la France « nous fournissent en produits casher » tout au long de l’année, avait déclaré à l’époque Slomo Koves, un rabbin de Budapest dont le groupe, l’EMIH, supervise la cacheroute chez Kosher Poultry. « C’est maintenant à notre tour de nous occuper d’eux. »

Depuis, l’abattoir est revenu à sa spécialité : tuer, préparer et démembrer des oies qui avaient été gavées afin de produire de gros foies pour la production de foie gras.

Chez Kosher Poultry, des dizaines d’ouvriers, pour la plupart issus des communautés roms de la campagne, travaillent dans une usine ultramoderne, conçue autour de deux principes : le strict respect des lois de et un gaspillage minimal. Des centaines de milliers d’oiseaux y sont abattus chaque année.

Les oiseaux sont chargés dans des cages directement depuis le camion de l’éleveur jusqu’à la zone d’abattage, où quatre shohatim – des Juifs qualifiés pour pratiquer l’abattage rituel – utilisent des couteaux très aiguisés pour couper la trachée et l’artère principale de chaque oiseau.

Illustration : Un agriculteur français nourrit de force une oie dans le cadre de la production de foie gras. (Crédit photo : CC BY, Jerome S, Wikimedia Commons)

Cette technique, prescrite par les lois juives anciennes, va à l’encontre de l’interdiction, dans plusieurs pays, de l’abattage sans étourdissement préalable de l’animal. Les défenseurs des droits des animaux affirment que l’abattage sans étourdissement est inhumain, tandis que les experts en casheroute affirment qu’il est possible de minimiser le traumatisme des animaux sans violer la loi rituelle.

« Si l’opération est bien faite, la perte soudaine de sang désactive le système nerveux », a expliqué à la JTA le rabbin Jacob Werchow, le shokhet en chef de Kosher Poultry, lors d’une récente visite.

Mais, surtout avec les oies, « le faire assez vite demande de l’habileté et de la pratique », a-t-il ajouté. « Les oies ont des anneaux de cartilage résistants dans leur trachée et il faut frapper entre ces anneaux, sinon l’incision ne se fera pas en un seul mouvement – et vous émousserez le couteau pour la prochaine fois », a-t-il expliqué tout en étirant l’incision d’une oie mourante pour l’inspecter et la montrer à un journaliste.

Les blessures autres que celle qui a causé la mort rendent les animaux non casher, c’est pourquoi, lorsque les oies sont transformées, leurs organes sont examinés de près. Si des défauts sont découverts, la viande est transférée vers une ligne de production séparée, non casher, pour être utilisée sur le marché général.

Un rabbin vérifie la qualité de la viande de volaille dans un abattoir casher à Csengele, en Hongrie, le 15 janvier 2021. (Crédit : AP Photo/Laszlo Balogh).

Dans les deux chaînes de production, le foie est extrait, nettoyé, pesé et emballé cru ou cuit pour la congélation et la livraison. Chaque foie pèse environ 800 grammes et vaut environ 100 dollars en France, où le seul foie gras casher vendu est hongrois.

Les groupes de protection des animaux en Hongrie ont remarqué la croissance de l’industrie de la viande casher dans le pays, et cela ne les réjouit pas.

« L’abattage casher est particulièrement cruel, non seulement parce qu’il ne prévoit aucune anesthésie de la douleur liée à l’incision du cou des animaux, mais aussi parce que les animaux, pleinement conscients, voient leur famille se faire massacrer. Ils savent ce qui les attend », a déclaré Richard Kapin, fondateur de l’association hongroise de protection des animaux Soccer Fans for the Animals. Kapin, qui est né à Budapest, n’est pas juif.

Son organisation et d’autres militent énergiquement pour que la Hongrie interdise à la fois l’abattage casher et le gavage des oies, qui a été interdit en Israël, au Royaume-Uni, en Finlande et en Pologne, entre autres. De nombreux défenseurs du bien-être animal estiment que ces deux pratiques sont cruelles.

Image d’illustration d’une démonstration d’un abattage rituel de chèvres pour des étudiants juifs ultra-orthodoxes à Zichron Moshe, le 26 avril 2011. (Crédit : Yaakov Naumi/Flash90)

« Je suis très heureux que la Belgique ait interdit l’abattage casher », a déclaré Kapin. « J’espère que cela se produira ici aussi ».

Werchow a contesté ces propos, affirmant que le gavage est aujourd’hui indolore car la nourriture est transférée dans l’estomac des oies à l’aide de manchons souples en silicone qui causent beaucoup moins d’inconfort et de blessures que ceux en métal qu’ils ont remplacés ces dernières années.

« Quant à la coupure, elle constitue sa propre anesthésie. Elle est trop rapide et trop nette pour causer de la douleur et l’animal est rendu inconscient par la chute de sa pression sanguine. Il est inconscient avant de mourir », a-t-il ajouté.

Mais pour Kapin, l’abattage et le gavage sont tous deux « extrêmement cruels ». Le groupe dirigé par Kapin, 36 ans, compte 100 000 membres sur Facebook, un chiffre important dans un pays qui ne compte que 9,5 millions d’habitants.

Illustration d’un plat de foie d’oie (Crédit : Luigi Anzivino/Wikimedia commons/)

Dans d’autres pays européens, les militants des droits des animaux qui défendent des causes similaires à celles de Kapin ont fait un étrange rapprochement avec des politiciens de droite dans leurs efforts pour interdire l’abattage sans étourdissement. Geert Wilders, l’homme politique néerlandais islamophobe et le parti Vlaams Belang en Belgique font partie des dirigeants de droite qui ont promu l’interdiction de l’abattage casher et halal, conformément à leur objectif de limiter ce qu’ils appellent « l’islamisation », ou l’influence des immigrants musulmans.

Orban partage la vision critique de ces partis à l’égard de l’UE et a tenu un discours similaire sur les musulmans, qualifiant les immigrants du Moyen-Orient « d’envahisseurs musulmans ». Il est particulièrement en désaccord avec George Soros, le philanthrope d’origine hongroise qui s’oppose à Orban et finance des causes libérales en Hongrie et dans le monde entier – y compris l’UE (Mazsihisz, la plus grande organisation juive de Hongrie, a accusé Orban d’encourager l’antisémitisme avec des panneaux d’affichage critiquant Soros ; EMIH, le groupe rival affilié à Habad, a défendu le gouvernement).

Les désaccords entre Orban et l’UE sont une des raisons pour lesquelles le gouvernement Orban est susceptible de résister à la pression publique sur l’abattage sans étourdissement, selon Kalman Szalai, le secrétaire général de la Fondation hongroise pour l’action et la défense, un organe de veille pour la communauté juive locale.

Szalai est convaincu qu’Orban se soucie des Juifs hongrois et de la liberté de culte. Mais il a fait remarquer que le fait d’inviter des abattoirs casher en Hongrie « a un sens politique, car cela donne l’impression que l’UE est intolérante, et c’est financièrement bénéfique, car cela crée des emplois. C’est donc une double victoire ».

Le Premier ministre hongrois Victor Orban (C) arrive pour une réunion du Parti populaire européen (PPE) au Parlement européen à Bruxelles, le 20 mars 2019. (Crédit : Emmanuel Dunand/AFP)

Koves, le rabbin de Budapest, a déclaré qu’il ne pensait pas qu’Orban politisait l’abattage casher dans son combat contre l’UE. Mais, a-t-il ajouté, « cette question montre l’hypocrisie d’une instance qui accuse la Hongrie de violations des droits de l’homme alors même qu’elle les commet à l’encontre de communautés juives et musulmanes. »

Tout nouveau débat sur l’abattage casher ou la production de foie gras en Hongrie se heurterait à une question d’identité nationale.

« Le foie gras est une tradition locale lucrative », a déclaré Szalai. « L’interdire ou interdire sa composante casher soulèverait également un tollé ».

Parmi les quelques détaillants de viande casher de Budapest, la position pro-shehita du gouvernement est une nouvelle rassurante.

Shlomó Köves, rabbin de l’Unified Hungarian Jewish Congregation (EMIH). (Autorisation)

« Mais il n’y a pas que le gouvernement, la société hongroise elle-même est traditionaliste », explique à la JTA László Györfi, propriétaire d’un restaurant casher, Kosher MeatUp. « Cela a des inconvénients et des avantages – mais cela signifie que ce genre d’interdictions n’est pas au menu ici pour le moment. »

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