La moitié d’Israël s’éloigne de la vie démocratique * Les frictions aident Biden et Netanyahu * L’affaire des cartes SIM
Face aux traumatismes du 7 octobre et de la guerre, il est compréhensible que les municipales n'aient pas eu de succès. Mais il est dommage que tant de personnes n'aient pas voté
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Pendant la majeure partie de l’année passée, suite à l’annonce par la coalition Netanyahu, en janvier 2023, de son projet d’en finir avec l’indépendance du système judiciaire, des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans la rue pour défendre notre démocratie. Chaque semaine et dans tout le pays, ces importantes manifestations sont venues rappeler que la coalition de droite, d’extrême droite et d’ultra-orthodoxes n’avait pas le droit de détruire de son propre chef le délicat équilibre issu de la séparation des pouvoirs entre [l’exécutif] majorité élue et le pouvoir judiciaire – l’unique entité de nature à réfréner les tendances antidémocratiques des dirigeants politiques.
Les manifestations n’ont pris fin que lorsque le Hamas a envahi le sud d’Israël, le 7 octobre dernier, et massacré 1 200 personnes, lorsqu’Israël s’est retrouvé plongé dans la guerre, que le Hezbollah a ouvert un second front à la frontière nord et que des centaines de milliers de réservistes ont été rappelés.
Mais les rassemblements ont repris, ces dernières semaines, cette fois pour appeler à des élections générales immédiates.
Les manifestants se sont donc de nouveau mobilisés, cette fois contre l’échec de la politique du gouvernement, avant le 7 octobre, qui consistait à tenter d’acheter le Hamas, contre le refus obstiné de Benyamin Netanyahu de reconnaître ses responsabilités, en tant que Premier ministre, pour n’avoir pas su empêcher l’attaque du Hamas, contre les dysfonctionnements persistants du gouvernement dans la gestion des conséquences de la guerre sur les citoyens, contre la détermination de la coalition à maintenir l’insupportable exclusion de l’armée et des services nationaux de la communauté ultra-orthodoxe, alors même que Tsahal réclame à corps et à cris davantage de recrues et rallonge le service obligatoire et la réserve, et enfin contre la gestion des tentative de libération des otages, et plus encore.
Samedi soir, comme avant la guerre, les manifestations ont été violemment réprimées par la police montée et les canons à eau.
Et pourtant, ce mardi, lorsque les autorités ont défié les mauvais augures pour permettre à la population d’exercer, en pleine guerre, son précieux droit de vote – lors d’un scrutin municipal organisé partout sauf dans les communautés évacuées près des frontières de Gaza et du Liban – la moitié de l’électorat ne s’est pas présentée aux urnes.
Dans la ville laïque de Tel-Aviv, cœur des manifestations anti-Netanyahu, où un taux de participation étonnamment élevé pour les candidats n’appartenant pas à la coalition aurait pu signaler la profondeur de la colère, la participation des électeurs, comme l’indique le site Internet du ministère de l’Intérieur à l’heure où nous écrivons ces lignes, n’est que de 40,6 %. (Il n’y a jamais eu beaucoup de doute, il faut le noter, autour du fait que le maire Ron Huldai, opposant à la coalition, serait réélu face à une autre figure de l’opposition, l’ex-députée de Yesh Atid, Orna Barbivai.)
À Jérusalem, où la population non ultra-orthodoxe se plaint constamment du pouvoir croissant des haredim, le taux de participation a été encore plus faible – à 31,5 % –, chiffre exacerbé par le boycott de longue date des municipales par l’importante population arabe.
Les partis ultra-orthodoxes pourraient donc, pour la première fois, sous réserve du décompte final, obtenir la majorité au conseil municipal et ses 31 sièges.
Le taux de vote des ultra-orthodoxes en Israël – aux élections nationales et municipales – est toujours élevé, et cela semble clairement avoir été une nouvelle fois le cas ce mardi. La répartition des votes par quartiers de Jérusalem n’est pas disponible au moment de la rédaction de cet article. Mais il y a un indice assez évident à Bnei Brak, banlieue ultra-orthodoxe de Tel-Aviv, où le taux de participation a été de 70,2 %.
Israël avait donné à l’ensemble du corps électoral une journée entière de congé pour permettre à tous d’aller voter. Les autorités ont même mis en place des bureaux de vote au cœur de Gaza pour le grand nombre de soldats qui s’y battent.
Israël est aux prises avec les traumatismes du 7 octobre et de la guerre. Il est compréhensible que les élections locales n’aient pas été une priorité. Mais c’est quand même dommage que la moitié du public soit restée à l’écart.
Un accord complexe, des frictions entre les États-Unis et Israël et le Ramadan
Qu’en est-il de la négociation, complexe et tendue, d’un nouvel accord en vue de la libération des otages en l’échange de prisonniers terroristes palestiniens et d’un cessez-le-feu dans la guerre de Tsahal pour détruire le Hamas ?
Parmi les voix qui se font entendre, personne ne le sait vraiment et, sans surprise, ceux qui en savent quelque chose ne n’expriment pas.
Selon nos informations, le projet rédigé par les États-Unis, dont le principe a été approuvé par Israël et qui a été transmis au Hamas par les médiateurs qataris et égyptiens, permettrait la libération de 40 otages israéliens – femmes, enfants, personnes âgées et malades – en l’échange de près de 400 prisonniers de sécurité palestiniens, au cours d’un cessez-le-feu de six semaines assorti d’options pour d’autres échanges et périodes de trêve.
Nous pensons que les dirigeants d’Israël en approuvent globalement, mais pas totalement, les conditions. Nous entendons dire par l’intermédiaire du Qatar que le Hamas les rejette et souhaite que les autorités israéliennes mettent un terme définitif à la guerre avant même le démantèlement des capacités militaires et de gouvernance du Hamas – ce qui est inenvisageable par Israël – mais que cela n’équivaut pas pour autant à un rejet complet de la part du Hamas.
Nous savons que le président américain Joe Biden a déclaré lundi, entre deux bouchées de glace, qu’il espérait un accord d’ici lundi prochain, le 4 mars, déclaration très audacieuse qui a manifestement surpris les autorités israéliennes.
Nous pensons que l’armée israélienne retarde la mise en oeuvre d’une opération majeure à Rafah, où quatre bataillons du Hamas sont intacts, soutenus par des hommes armés venus d’ailleurs dans la bande de Gaza, pour laisser le temps aux négociations d’avancer.
Nous savons que Biden et son administration ont acquis la certitude qu’Israël n’avait pas encore de plan viable pour évacuer le million de Gazaouis réfugiés à Rafah et s’attaquer au Hamas sans trop de dommages aux non-combattants, et que Tsahal a présenté au cabinet de guerre son plan pour Rafah lundi soir.
Nous savons que Biden espère qu’un cessez-le-feu temporaire permettra de « changer la dynamique » et de mettre en branle un processus destiné à mettre fin à la guerre, s’assurer que le Hamas soit chassé du pouvoir et susciter l’élan vers une solution à deux États, avec une Autorité palestinienne réformée, gouvernant à la fois en Cisjordanie et à Gaza.
Nous pensons que la perspective d’une solution à deux États, dans un avenir proche, bénéficie d’un soutien minimal en Israël depuis le 7 octobre, même parmi les Israéliens persuadés que la séparation d’avec les Palestiniens est le seul moyen de garantir l’existence d’un Israël démocratique et majoritairement juif.
Nous pouvons voir que les fréquentes allusions de Biden sur la création d’un État palestinien et ses critiques répétées de la composante d’extrême droite de la coalition de Netanyahu ont un sens politique fort pour un président américain qui se bat pour sa réélection face à l’hostilité d’une partie de son propre Parti démocrate en raison de son soutien à la volonté d’Israël de détruire le Hamas.
Nous pouvons voir que le rejet, par Netanyahu, du projet américain de régime de l’Autorité palestinienne à Gaza et d’un État palestinien pleinement souverain a un sens politique pour un Premier ministre déterminé à rester au pouvoir malgré le 7 octobre, convaincu que ses perspectives s’améliorent au fur et à mesure que le souvenir de ce Shabbat noir recule, et bien conscient de l’opposition de l’électorat à l’Autorité palestinienne et des craintes d’un renforcement de l’indépendance palestinienne.
Et, enfin, nous faisons le constat que le Ramadan est dans à peine une semaine et demie, et qu’il a le potentiel de réécrire tout ce que nous savons et pensons savoir, avec en particulier le risque de violences dans l’enceinte d’Al-Aqsa, au sommet du mont du Temple, et que cette violence se propage plus profondément dans Jérusalem-Est et sur tous les fronts intérieurs, adjacents ou régionaux.
Le cartes SIM et le manque de vision à long-terme
Dans la nuit du 6 au 7 octobre dernier, des dizaines de terroristes du Hamas à Gaza activé mis des cartes SIM israéliennes dans leur téléphone portable.
Ils avaient une seule raison – pratique – de le faire – à savoir leur permettre de communiquer depuis le territoire israélien, où les réseaux de téléphonie mobile de Gaza n’offrent pas de couverture.
Et pourtant, alors même que les services de renseignement israéliens enregistraient ce qui se passait, l’establishment militaro-sécuritaire estimait que ce devait être un exercice – parce que cela s’était déjà produit auparavant – ou, au pire, le signe d’une tentative peu importante du Hamas pour franchir la frontière.
Une équipe du Shin Bet dépêchée dans la zone frontalière n’a rien signalé d’anormal. Quelques heures se sont écoulées sans incident, et les responsables de la défense en ont conclu que l’enquête approfondie attendrait jusqu’au lendemain.
L’histoire de ces cartes SIM a été révélée cette semaine par la Quatorzième chaîne, pro-Netanyahu, qui a brisé la censure pour ce faire, parlant d’un millier de cartes SIM israéliennes installées – chiffre sans doute exagéré -, pour faire un battage médiatique autour des échecs des autorités de la Défense et en quelque sorte blanchir Netanyahu.
Le cabinet du Premier ministre a rapidement publié une déclaration affirmant que Netanyahu ignorait tout de l’incident jusqu’à la diffusion de la nouvelle par la Quatorzième chaîne, avant de faire machine arrière et de reconnaître qu’il en avait été informé, assorti du nombre exact de cartes SIM, quelques jours après le début de la guerre.
Il n’y a, bien sûr, pas lieu de tergiverser autour du cataclysme du 7 octobre dernier.
La révélation d’une nouvelle information des services de renseignement, qui aurait dû amener les dirigeants politiques et militaires à revoir leur position sur le Hamas – ils ne le pensaient pas enclin à commettre des meurtres de masse – ne fait que souligner l’ampleur insondable et inadmissible de l’échec – échec à l’ombre duquel, 145 jours plus tard, nous continuons de vivre.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel