La nouvelle exposition au Musée d’Israël, une complainte poignante post-7 octobre
Utilisant les œuvres d'art contemporain de ses collections, la plus grande institution d'art de tout le pays reflète l'état d'esprit de la nation dans "L'aube de l'obscurité : L'élégie dans l'art contemporain"
Le musée d’Israël, la plus grande institution culturelle d’Israël, avait rapidement répondu à l’attaque meurtrière qui avait été commise par le Hamas, le 7 octobre, dans le sud d’Israël.
Pour commencer, le musée avait accroché un tableau peint par Ziva Jelin, résidente du kibboutz Beeri, coloré de rouge, percé par une balle et par un éclat d’obus lors de l’attaque qui avait aussi pris pour cible la galerie d’art communautaire, une galerie que gérait Jelin.
Dans les semaines qui avaient suivi le 7 octobre, l’institution avait accueilli des familles d’évacués, leur faisant visiter le musée ou organisant des ateliers de travail et, comme un grand nombre d’autres établissements culturels, il avait mis ses chef-d’œuvres en sécurité.
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Aujourd’hui, le musée a ouvert une nouvelle exposition appelée « L’aube de l’obscurité : L’élégie dans l’art contemporain » dans sa galerie principale d’art contemporain, qui sera à découvrir jusqu’au 16 novembre. Sa curatrice, Suzanne Landau, la directrice par intérim du musée, a pioché dans la collection de l’institution en cherchant à créer un espace de méditation où chaque visiteur pourra se lier aux œuvres et les ressentir intimement.
« J’avais déjà ces œuvres à l’esprit parce que je connais très bien la collection », explique Landau, qui a récemment pris son poste de directrice du musée par intérim. Après 30 années passées au musée d’Israël, elle était partie au musée d’art de Tel Aviv, qu’elle avait dirigé.
« Cela a été facile pour moi de réfléchir aux œuvres qui intègreraient l’exposition, de trouver les mots qui expriment cette idée d’élégie », ajoute Landau. « J’ai d’abord commencé par faire une liste. »
L’espace – qui devait initialement accueillir une exposition dorénavant reportée des géants artistiques viennois Egon Shiele, Gustav Klimt et Oskar Kokoschka – est consacré au secret du chagrin et de la tristesse, à la réflexion sur les deuils qui ont marqué cette funeste journée du 7 octobre, avec des œuvres qui parlent des réactions des artistes face aux douleurs du passé et du présent.
L’exposition s’ouvre sur une chanson de Susan Philipsz – un air rempli de mélancolie qui donne le ton aux œuvres présentées dans la galerie « avec l’atmosphère que nous ressentons tous de manière différente », dit Landau. « C’est quelque chose d’universel. Cette exposition, ce n’est pas seulement le 7 octobre ; c’est plus universel que cela ».
L’attention du visiteur est immédiatement attirée par les photographies d’Anthony Goicolea, né aux États-Unis de parents qui avaient immigré de Cuba – avec deux immenses clichés montrant un dîner festif de famille, une photo redessinée puis transformée en collage avant d’être à nouveau immortalisée par l’objectif sous la forme de chaises vides autour de la table, un hommage aux chers disparus qui, avec le temps, ont rejoint l’autre côté du miroir.
A côté, il y a une photo de Hans-Peter Feldmann qui montre deux petites filles en train de jouer dans les années 1940. L’image de l’une des deux fillettes est supprimée de la photo, ne laissant que son ombre – une démonstration de l’éternité de son esprit et de son âme.
Aucune de ces œuvres n’a été créée récemment – mais tout est une question de contexte, explique Landau.
« Je crois fortement dans la force du contexte », s’exclame-t-elle. « Si vous placez la même œuvre d’art dans un contexte différent, alors sa signification sera différente. Et c’est ce qui est arrivé ici ».
Dans cette exposition, la seule œuvre à avoir été créée dans le sillage du 7 octobre a été réalisée par l’artiste israélien Shuki Borkovsky, qui avait transmis à Landau un message accompagné d’images du travail qu’il était en train de faire.
Pour chaque jour de la guerre, Borkovsky a dessiné le mots « larmes » dans des langues variées, en anglais, en hébreu, en latin, en arabe et en yiddish. Il l’a fait jour après jour, déclare Landau, utilisant un cahier de papier millimétré acheté dans la Vieille Ville de Jérusalem, plusieurs années auparavant.
Utilisant toujours une double page, Borkovsky a écrit le mot « larmes » en typographies différentes, créant une collection d’environ 160 versions du même mot.
Landau en a choisi plus d’une dizaines, les accrochant au mur et elle a placé le reste dans une boîte en plexiglas posée à terre, groupement des pages de cahier qui prennent la forme élégante d’un diamant.
Borkovsky a parlé à Landau des petites bouteilles de larmes que les femmes collectaient pour les présenter à leurs époux à leur retour de la guerre au Moyen-Age en gage de loyauté.
« Mais lui le fait encore », ajoute-t-elle. Il m’a dit : ‘C’est ma bouteille de larmes’. »
Certains artistes présents dans le cadre de l’exposition entretiennent une relation de longue date avec le musée et avec Landau, et c’est notamment le cas de Christian Boltanski, qui avait présenté ses œuvres au sein de l’institution en 1973 pour la toute première fois.
Son installation est accrochée sur tout un mur de la galerie. C’est un ensemble de petits portraits, chacun placé sur une petite boîte éclairée en forme de boîte à cigare qui ressemblent à autant de minuscules autels. Ces photos sont celles d’habitants de Jérusalem en train de célébrer différents moments de leur existence, des clichés empruntés à une boutique de photographie que Boltanski avait visitée lors de sa toute première exposition au musée.
Il avait créé cette œuvre en 1989, année où il travaillait avec Landau au musée en tant qu’artiste en résidence. Il avait offert l’œuvre à l’institution à ce moment-là.
Landau explique que ces photos lui rappellent les images des otages, dont les visages figurent sur des affiches qui ont été collées partout dans le pays et qui sont omniprésents sur les réseaux sociaux.
De l’autre côté, il y a les marguerites brillantes d’Anya Gallaccio dans son œuvre « Préserver la Beauté », avec environ 900 fleurs fraîchement cueillies qui ont été placées sous verre, commençant à faner et à mourir lentement. Des matériaux artistiques familiers pour Gallaccio qui travaille souvent avec des fleurs ou avec des bougies, déclare Landau — des matériaux qui ont pour particularité d’évoluer et de changer avec le temps.
L’installation vidéo massive, à l’arrière de la galerie, s’appelle « Ghardy, Voix locales », une œuvre de Yehudit Sasportas dont le frère, Avi Sasportas, avait été la première victime israélienne du terrorisme du Hamas en 1989.
La famille était composée de six frères et sœurs et après le kidnapping et le meurtre d’Avi, il avait fallu des années pour retrouver sa dépouille. Sasportas avait créé une installation sur six écrans avec des images troubles, en noir et blanc tandis que l’un de ses frères avait composé la musique de l’œuvre dont le nom, « Ghardy, » est un acronyme de tous les prénoms de la fratrie.
Les références faites au temps qui passe sont partout dans l’exposition, prenant la forme de l’image numérique d’une bougie, une œuvre de Jonathan Munch et de l’horloge de Melik Ohanian, intitulée « temps trouble », avec les minutes qui s’écoulent rapidement derrière une paroi en verre flou, soulignant l’idée d’un temps qui est néanmoins compté.
« L’aube de l’obscurité : L’élégie dans l’art contemporain » est à découvrir au musée d’Israël de Jérusalem jusqu’au 16 novembre.
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