Le Kibboutz Kfar Aza, dévasté le 7 octobre, devient le lieu d’un triste pèlerinage
Des groupes d'Américains viennent aux côtés des soldats, de chercheurs, d'amis des défunts, de curieux qui veulent simplement avoir un sentiment de proximité avec ce qui s'est passé
Un groupe d’hommes orthodoxes en train de visiter un kibboutz laïc, ce n’est pas une vision commune. Et pourtant, mardi, ils sont seize à avoir bravé la pluie et le vent pour venir au kibboutz Kfar Aza dans le cadre d’un voyage-éclair de 24 heures. Pendant ce bref déplacement, ces Américains, originaires principalement de New York et de Brooklyn, ont pris l’initiative de se rendre sur les sites des massacres perpétrés par le Hamas, le 7 octobre – en cette date funeste, 3 000 terroristes, franchissant la frontière, avaient tué environ 1 200 personnes, des civils en majorité, et ils avaient pris environ 240 otages.
Ils ont apporté avec eux deux guitares – « pour approfondir leur expérience émotionnelle », disent-ils. Ils notent qu’ils iront, en fin de journée, sur le site où était organisée la rave-party Supernova, aux abords du kibboutz Reïm, où environ 360 fstivaliers venus pour s’amuser avaient été assassinés par les hommes armés du Hamas, et que leur déplacement se terminera par la visite d’un autre kibboutz décimé, le kibboutz Beeri.
Dans ce groupe américain, seul un des hommes entretient un lien direct avec les événements tragiques en cours – son frère est actuellement à Gaza.
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Les autres – comme c’est le cas d’un si grand nombre de personnes rencontrées par la journaliste que je suis à Kfar Aza, ce jour-là – indiquent être venues pour « se sentir plus proches » de ce qui s’est passé, pour en comprendre l’expérience.
Kfar Aza a perdu 62 habitants en date du 7 octobre dans des circonstances brutales, et deux autres résidents de la communauté — Yotam Haïm et Alon Shamriz — ont échappé à leurs geôliers à Gaza avant d’être accidentellement abattus par les soldats israéliens.
Dix-neuf personnes ont été prises en otage, et notamment un ouvrier thaïlandais. Onze ont été libérés ; Haïm et Shamriz ont été tués et cinq personnes, dont deux femmes, se trouveraient encore en captivité, détenues par le Hamas.
Les horreurs du 7 octobre, dont les répercussions matérielles apparaissent si vivement au regard des visiteurs, ont transformé le site en lieu lugubre de pèlerinage.
Toutes les personnes présentes ne semblent pas être sensibles au fait qu’elles se promènent – et qu’elles entrent parfois – dans les habitations des résidents. La vaste majorité de ces derniers ont été évacués et ils sont dorénavant hébergés au kibboutz Shefayim, sur la côte.
Adi Shay, qui gère les archives du kibboutz et qui fait des allées et venues entre Kfar Aza et son logement temporaire de Tel Aviv, dit que lorsqu’elle est revenue chez elle pour prendre quelques effets personnels, il y a quelques jours, elle y a trouvé deux jeunes soldates qui prenaient des photos et qui faisaient des selfies.
Sa pelouse a été abîmée par les pneus des véhicules de l’armée ayant amené les deux jeunes femmes et d’autres troupes à l’occasion d’une cérémonie de remise de médaille militaire.
Elle explique que certains documents et que certaines photographies semblent avoir disparu de l’armurerie du kibboutz, dont la porte avait été fracturée le 7 octobre. Elle n’a toujours pas été réparée.
« Ma crainte, c’est qu’une forme d’industrie du souvenir se développe ici », commente Nirit Shalev Khalifa de l’institut de recherche Yad Ben-Zvi de Jérusalem, qui est à la tête d’une équipe chargée de collecter des documents et des objets qui racontent le 7 octobre.
« Je suis sûre que les gens emmènent des souvenirs », ajoute-t-elle, soulignant qu’elle et ses collègues ont dû travailler rapidement.
Une porte-parole du kibboutz insiste sur le fait qu’il faut obtenir une autorisation préalable pour pouvoir entrer à Kfar Aza.
Parmi les visiteurs, il y a un groupe de soldats qui servent à Rantis, au nord de Ramallah, en Cisjordanie, qui sont venus voir de leurs propres yeux ce qui est arrivé le 7 octobre, s’imprégner de l’atmosphère. Il y a un groupe important de Yad Tabenkin — le centre de recherche et de documentation du Mouvement du kibboutz – et des groupes variés d’Américains en visite, et notamment un petit groupe qui vient de Teaneck, dans le New Jersey.
Beryl Eckstein, son épouse Doreen, un fils du couple et l’un de ses gendres sortent de l’armurerie en compagnie d’un électricien du kibboutz. Ce dernier explique qu’il lui a été personnellement demandé de leur faire visiter les lieux.
Le couple passe la moitié de l’année en Israël et l’autre moitié en Floride. Il est venu tout spécialement pour cette visite.
« Quand vous parlez aux gens qui vivent ici et qui ont vécu ce qui s’est passé, ça vous rapproche », s’exclame Eckstein, frère cadet de feu le fondateur de l’organisation International Fellowship of Christians and Jews, le rabbin Yechiel Eckstein, alors que les tirs d’artillerie israéliens se font entendre en arrière-fond.
« Aux États-Unis, tout le monde a des parents ici [en Israël]. Tout le monde a des amis, ou des amis d’amis qui ont été tués ou pris en otage. Mon cousin a été tué à Gaza. La fille d’un ami d’enfance a été tuée à Holit [dans la région frontalière de Gaza, dans le sud du pays] le 7 octobre. Et le petit-fils de mon voisin, en Floride, est retenu en otage ».
Il évoque ainsi Hersh Goldberg-Polin, dont le bras a été sectionné à la hauteur du coude par une grenade lors de la rave-party Supernova qui était organisée aux abords du kibboutz Reim, le 7 octobre. Il a ensuite été emmené dans la bande de Gaza, où il est retenu en otage.
La famille Eckstein, venue en Israël pour une semaine, prévoit d’aller aider à récolter les fruits dans la région frontalière de Gaza avant de partir à Safed, dans le nord du pays. Suite à la mort de son frère, Eckstein a fait parvenir d’importantes quantités de dons en direction des plus défavorisés, au sein de l’État juif, ainsi qu’aux communautés déplacées par la guerre – et même à l’armée. Une distribution de ces dons doit avoir lieu à Safed par le biais de l’organisation orthodoxe Kolel Chabad.
A l’une des portes de la clôture qui entoure le kibboutz – de là, les maisons de la bande de Gaza sont visibles à l’œil nu – se tiennent Rehavia et Malka Omessi, originaires d’une communauté agricole située à proximité d’Ofakim, une ville du sud du pays, où des dizaines de personnes ont été tuées, le 7 octobre.
« On entend toutes sortes de choses au sujet de ce qui est arrivé. Il faut venir voir de ses propres yeux », explique Rehavia Omessi alors que son épouse observe avec des jumelles l’enclave côtière dirigée par le Hamas, un peu plus loin.
Plusieurs personnes déambulent dans l’un des secteurs les plus touchés du kibboutz – là où vivaient ses jeunes membres. Un grand nombre d’entre eux ont été tués et les habitations ont été incendiées.
Deux jeunes entrent dans ce qui était la petite maison de Yotam Haïm, qui était musicien dans un groupe de rock. « On jouait ensemble dans le même groupe », confient-ils au Times of Israel.
Une femme portant un gilet-pare balle est venue de Césarée, dans le nord du pays, en compagnie de sa fille et de son mari, qui porte l’uniforme militaire – il est réserviste au sein de l’armée israélienne, actuellement en permission.
Elle retient ses larmes, expliquant qu’elle a trois fils qui servent à Gaza et qu’elle veut que sa fille puisse comprendre pourquoi tous les hommes de la famille servent dans l’armée.
La journaliste que je suis demande alors si voir de ses propres yeux le spectacle des dévastations dans le kibboutz aide précisément à mieux comprendre.
« Rien ne peut réellement aider », rétorque-t-elle.
En sortant du kibboutz, un double arc-en-ciel se forme – il a un pied en Israël et l’autre à Gaza.
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