Les familles des fratries retenues en otage à Gaza marquent 400 jours de captivité
Leurs parents sont doublement désemparés et ont le cœur brisé après plus d'un an d'inconnu ; "je veux juste aller à Gaza et les faire sortir moi-même", dit une mère
Sylvia Cunio ne vit plus au kibboutz Nir Oz, mais lorsqu’elle s’y rend, elle n’a qu’un seul souhait : aller à Gaza et retrouver ses deux fils qui ont été pris en otage par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023.
« J’étais à Nir Oz l’autre semaine et j’ai dit à mes amis, à ma famille ‘allons à Gaza, allons-y, allons les chercher’ », a-t-elle raconté. « Je veux juste aller à Gaza et les faire sortir moi-même. »
Les Cunio font partie d’un cercle distinct au sein du groupe plus large des familles d’otages – celles qui attendent le retour de deux frères et sœurs détenus par le Hamas à Gaza.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
De nombreuses fratries ont été prises en otage le 7 octobre, mais il n’en reste plus que quatre dans l’enclave : David et Ariel Cunio, Eli et Yossi Sharabi, Yaïr et Eitan Horn et les jumeaux Gali et Ziv Berman. Leurs familles sont désemparées et inquiètes quant à l’avenir de leurs proches.
Les fils de Sylvia , David Cunio, 34 ans, et Ariel Cunio, 27 ans, ont tous deux été enlevés au kibboutz Nir Oz. David a été emporté de force avec son épouse Sharon et leurs jumelles de trois ans, ainsi qu’avec Danielle, la sœur de Sharon, et Emilia, sa nièce, qui étaient en visite à Nir Oz ce week-end-là. Ariel a été pris en otage avec sa petite amie, Arbel Yehud.
Le 27 novembre, les sœurs Sharon et Danielle et leurs trois jeunes enfants ont été libérés et sont rentrés en Israël dans le cadre d’une trêve d’une semaine. David a été laissé derrière, blessé, amaigri et terrifié, comme l’a décrit sa femme, Sharon, qui était horrifiée à l’idée de le laisser derrière elle à Gaza.
Ariel et Arbel sont également toujours détenus à Gaza.
« J’ai de l’espoir et c’est la dernière chose que je perdrai », a déclaré Sylvia.
« Mais je ne croirai pas qu’ils reviennent tant que je ne les aurai pas vus de mes propres yeux, à côté de moi, que je ne les aurai pas serrés dans mes bras, que je n’aurai pas senti leur odeur et que je n’aurai pas cuisiné pour eux. »
Des frères séparés
Jusqu’au 7 octobre 2023, Gali et Ziv Berman, des jumeaux de 27 ans, menaient des vies parallèles poignantes. Ils vivaient l’un à côté de l’autre dans le quartier des jeunes du kibboutz Kfar Aza et travaillaient tous les deux comme techniciens du son.
Enlevés à leur domicile le 7 octobre, les jumeaux se trouvent toujours à Gaza, mais on pense qu’ils ont été séparés pendant leur captivité, selon des informations reçues par la famille il y a plusieurs mois. Au cours des dernières semaines, leurs proches ont décliné les demandes des médias.
Yossi Sharabi, 54 ans, et Eli Sharabi, 51 ans, tous deux membres du kibboutz Beeri, ont également été pris en otage le 7 octobre.
Eli serait toujours en vie à Gaza, mais on suppose qu’il ignore que son épouse et leurs filles adolescentes ont été tuées chez elles ce jour-là.
Yossi a été pris en otage avec le petit ami de sa fille et le fils adolescent d’un voisin, qui ont tous deux été libérés à la fin du mois de novembre. Des mois plus tard, le 16 janvier, il a été identifié comme ayant été tué en captivité ; son corps est toujours détenu à Gaza.
« Si nous ne récupérons pas rapidement son corps, nous n’aurons plus rien à enterrer », a déclaré Sharon Sharabi, leur frère cadet.
Sharon n’a cessé de participer à la lutte pour le retour de ses frères et est l’une des six personnes représentant les familles au sein du conseil d’administration du Forum des familles des otages et disparus.
Responsable des technologies de l’information à la Banque Hapoalim, Sharon n’a pas travaillé depuis un an. Son rôle au sein du forum implique d’être en contact avec le gouvernement, et il choisit ses mots avec soin lorsqu’il parle du Premier ministre Benjamin Netanyahu et des occasions manquées de ramener les otages.
« Je suis très reconnaissant des efforts héroïques des soldats et je souhaite que la guerre prenne fin et que nous réussissions à ramener tous les otages et toutes les personnes évacuées chez elles », a-t-il déclaré.
Le 7 octobre, Sharon se trouvait chez lui, dans l’implantation d’Alfei Menashe, en Cisjordanie. Quelques jours auparavant, toute la famille s’était réunie chez lui pour fêter Souccot.
La fratrie a grandi près de Ramat Gan, et Eli a été le premier à déménager au kibboutz Beeri, où il s’est installé alors qu’il était jeune adulte. C’est là qu’il a rencontré sa future épouse, Lianne, une jeune volontaire juive venue d’Angleterre, avec qui il a eu deux filles, Yahel et Noiya.
Son frère aîné, Yossi, l’a suivi après quelques années de voyage et de vie à l’étranger. Il a rencontré sa future femme Nira à Beeri, et c’est là qu’ils ont élevé leurs trois filles, accueillant de temps à autre la famille élargie des Sharabi pendant les vacances.
« Je n’ai pas encore fait le deuil de Yossi, je n’ai pas eu le temps de faire son deuil, de celui de Lianne et des filles parce que la mission de ma vie est de ramener Eli, pour ma mère », a déclaré Sharon. « J’ai juré de lui rendre Eli. »
La famille suppose qu’Eli a d’abord été pris en otage avant que son épouse et leurs filles ne soient abattues. Leurs corps ont été retrouvés entre le coffre-fort et le salon de leur maison de Beeri.
« Nous avons perdu quatre personnes », a souligné Sharon. « Nous nous asseyons autour de la table pour les fêtes et il y a cinq chaises qui sont vides, dont quatre ne seront plus jamais occupées. »
Il se concentre sur la lutte pour sauver Eli et pour enterrer son frère Yossi, une mesure de deuil qu’il estime vitale pour sa belle-sœur et ses nièces.
« J’essaie de ne pas penser aux terribles possibilités qui s’offrent à moi », a ajouté Sharon. « J’essaie d’être optimiste, j’essaie d’imaginer ma mère serrant Eli dans ses bras. »
Argentins à Nir Oz
Sylvia Cunio, 64 ans, dirige sa famille dans la lutte pour sauver ses deux fils qui ont été enlevés à Nir Oz.
Elle et son époux, Louis, 65 ans, ont quitté l’Argentine pour s’installer en Israël en 1986. Ils ont d’abord vécu à Ashkelon avec leur aîné, alors tout petit, avant qu’un ami ne les amène au kibboutz.
« Je ne savais rien de la vie dans un kibboutz », a raconté Sylvia, qui avait du mal à tomber enceinte. Elle décrit le soutien de la communauté du kibboutz comme
« une couveuse ».
« Ils prennent soin de vous, vous nourrissent, vous logent », a expliqué Sylvia, qui a travaillé dans la maison des enfants, le jardin d’enfants, le poulailler, la cuisine et la blanchisserie du kibboutz au fil des ans.
« J’aimais tout ça plus que mon mari. »
La famille Cunio élargie était très présente au kibboutz. Outre Sylvia et Louis, le kibboutz accueillait également Esther, la mère de Louis, âgée de 90 ans, Lucas, le fils aîné des Cunio, et sa famille, ainsi que trois de ses fils : Eitan, David et Ariel, qui vivaient tous dans des maisons avec leurs familles, à quelques minutes de marche les uns des autres.
Le 7 octobre, chaque membre de la famille Cunio se trouvait dans sa propre maison au kibboutz, a indiqué Sylvia, parlant via Zoom depuis son appartement temporaire à Kiryat Gat, où la majeure partie du kibboutz a été évacuée au cours de l’année dernière.
Les aînés Cunio ont survécu au pogrom dans leur mamad – abri anti-atomique. Lucas et Eitan Cunio ont également survécu avec leurs familles.
Seule dans son appartement du kibboutz, Esther a réussi à garder son sang-froid face aux terroristes qui se sont introduits chez elle. Elle a su les distraire en entretenant avec eux une conversation sur la star du football argentin, Lionel Messi. L’un des terroristes a pris une vidéo d’Esther tenant une kalachnikov avant de la laisser seule, une vidéo qui est devenue virale lorsqu’elle a, par la suite, été découverte.
Ce n’est que plus tard dans la journée du 7 octobre, lorsque les survivants se sont retrouvés, que Sylvia a appris d’un voisin ce qui était arrivé à David, Sharon et leurs filles.
Le voisin avait été pris en otage sur un tracteur du kibboutz volé avec David, sa femme Sharon et leur autre fille de 3 ans, ainsi que quelques autres personnes. L’autre jumelle a passé 10 jours seule en captivité avant de retrouver sa famille à Gaza.
Alors que les terroristes conduisaient le tracteur à travers les champs du kibboutz en direction de Gaza, un hélicoptère de l’armée israélienne a ouvert le feu, ignorant manifestement l’existence d’otages dans le véhicule.
L’un des otages a été tué, d’autres ont été blessés et le voisin a fait le mort avant de sortir du tracteur et de ramper pendant plus de deux heures jusqu’au kibboutz.
Les Cunio n’ont appris que plus tard que leur fils cadet, Ariel, et sa petite amie, Arbel, avaient également été pris en otage. La dernière fois qu’ils ont eu des nouvelles d’Ariel, c’était à 8h28, lorsqu’il a envoyé un SMS sur le groupe familial dans lequel il disait qu’ils se trouvaient en plein film d’horreur.
Près de treize mois plus tard, tout cela reste un choc pour Sylvia, qui reconnaît n’avoir plus sa force et son énergie habituelles, mais affirme toutefois s’efforcer de se surpasser chaque fois qu’elle le peut.
Elle s’occupe de son mari Louis, qui est malade, et fait tout ce qu’elle peut pour ses enfants et ses sept petits-enfants. Ce qui lui donne de la force, c’est de parler à des groupes, principalement des groupes de femmes pratiquantes réunies par l’intermédiaire d’une nouvelle amie à Carmei Gat.
Son amie l’amène à parler avec des personnes moins exposées aux nouvelles et aux histoires personnelles de la guerre et du 7 octobre.
« Ils ont peut-être entendu parler de certaines choses, mais rencontrer une mère dont les deux enfants sont retenus en otage, c’est autre chose », a expliqué Sylvia.
« Quand ils me voient pleurer, ils me prennent dans leurs bras et cela me donne de la force. J’ai besoin de raconter mon histoire. »
De Buenos Aires à Israël
Comme les Cunio, Yaïr Horn, 46 ans, faisait également partie d’une importante communauté d’expatriés argentins de Nir Oz.
Yaïr accueillait son jeune frère Eitan dans le kibboutz pour le week-end de la fête de Simhat Torah lorsque l’assaut barbare et sadique a été lancé.
Eitan vit à Kfar Saba, tout comme sa mère, Ruty Strum, et un autre de ses frères, Amos, avec sa famille. Leur père, Itzik Horn, vit à Ashkelon.
Itzik a raconté qu’il se réunissait régulièrement avec ses fils dans différents lieux. Au cours de ces rencontres, a-t-il dit, « nous faisons toujours un barbecue, un vrai barbecue argentin, pas des ailes de poulet ».
« Nous sommes une famille sioniste », a raconté Itzik, qui a survécu à l’attentat terroriste de 1994 contre le centre juif AMIA à Buenos Aires.
« Nous sommes venus ici pour [pouvoir] être juifs, pour être dans un endroit où il n’y a pas d’antisémitisme. Ce qui me retient, c’est l’espoir qu’ils vont bien et qu’ils reviendront, mais le gouvernement ne fait pas [tout] ce qu’il peut. »
Itzik suit des séances de dialyse trois fois par semaine à l’hôpital Ichilov de Tel Aviv, d’où il se rend généralement au siège du Forum des familles des otages et disparus, pour apporter son aide dans la mesure du possible.
Il a reçu de Tsahal quelques bribes d’informations sur ses fils, mais ne peut les divulguer. Il a parlé avec d’anciens otages libérés en novembre dernier qui ont vu ses fils, mais ces témoignages remontent maintenant à près d’un an.
« J’attends un vrai message », a souligné Itzik.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel