Les gagnants et les perdants du remaniement ministériel
Netanyahu a fait de son pire rival son allié, et de son allié son pire rival ; Yaalon est sorti – mais il reviendra ; le militant du mont du Temple Yehudah Glick est entré ; et Herzog pourrait avoir tout perdu
En seulement trois jours, la 20e Knesset a connu plus d’agitation que pendant toute sa session d’hiver.
Mercredi, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Moshe Yaalon avaient semblé publiquement surmonter leur précédent désaccord sur la moralité de l’armée et le droit des généraux à s’exprimer. Le chef de l’opposition Isaac Herzog était impatient d’entrer dans la coalition, même aux dépens d’une division du Parti travailliste (de plus en plus furieux), la tête de la Liste arabe unie Ayman Odeh se voyait chef de l’opposition (même si c’était improbable), et le chef du parti Yisrael Beytenu, Avigdor Liberman, agitait le doigt pour exprimer son désaccord avec Netanyahu depuis les rangs de l’opposition.
Vendredi après-midi, dans une incarnation du principe « garde tes amis près de toi, et tes ennemis encore plus près », le belliqueux Liberman était devenu le prochain ministre de la Défense, Yaalon s’était brusquement retiré de la vie politique en raison du fossé avec Netanyahu et de sa démolition, l’activiste du mont du Temple Yehuda Glick devait entrer à la Knesset comme nouveau député du Likud, Herzog retournait les mains vides vers son parti, accusant les « extrémistes de gauche » d’avoir torpillé une « rare opportunité » de paix, la députée Orly Levy-Abekasis de Yisrael Beytenu quittait le parti après les négociations de coalition, et des membres importants du Likud faisaient la course aux ministères du gouvernement remanié, particulièrement pour le convoité et vacant ministère des Affaires étrangères, qui devait être le prix de consolation de Yaalon.
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Et les négociations de coalition continuant, il pourrait encore y avoir des surprises en réserve. En attendant, voici les figures israéliennes qui ont émergé comme les « gagnants » et les « perdants » de ces manœuvres politiques.
Gagnant/perdant – le Premier ministre Benjamin Netanyahu
Avec Liberman arrivant dans la coalition, Netanyahu semble avoir résolu ses problèmes d’extorsion politique de son étroite coalition de 61 députés, dans laquelle chaque membre de la Knesset, avec le poids de son vote, a assez de levier pour faire des demandes sérieuses.
Lorsque deux députés du Likud ont passé tous les votes de la Knesset pendant des semaines en raison de la fermeture du projet d’immigration pour la communauté Falash Mura d’Ethiopie, le Premier ministre a été forcé de conclure un accord avec eux.
A présent, avec les cinq sièges de Liberman (il y en avait six, mais Levy-Abekasis a démissionné), le Premier ministre peut efficacement faire voter un budget de deux ans et a vanté la stabilité de la coalition, critiquant les renégats. (En supposant, évidemment, que les négociations non finalisées avec Liberman aboutiront à un accord).
En échange, Netanyahu aurait accepté de soutenir la peine de mort pour les terroristes (qui ne sera probablement pas votée) et d’allouer 2,5 milliards de shekels aux immigrants de l’ancienne Union soviétique qui sont arrivés dans les années 1990 en Israël trop âgés pour économiser pour leur retraite – les mêmes immigrants qui forment la base électorale de Liberman.
Netanyahu a également réussi à punir son nouvel opposant Yaalon, semblant s’accrocher à l’espoir que le député Likud humilié accepte le ministère des Affaires étrangères et reste à ses côtés. Mais cela s’est retourné contre lui, Yaalon quittant également la Knesset et jurant de revenir en politique.
En seulement trois jours, le Premier ministre a fait de son plus grand rival à droite son allié, tout en mettant de côté son allié de longue date et en se créant un nouveau rival à droite. Et le populaire Yaalon pourrait dans le futur, en s’alliant par exemple avec l’ancien député du Likud Gideon Saar, poser une menace crédible à Netanyahu.
A présent, Netanyahu doit aussi gérer Liberman, l’un de ses détracteurs les plus féroces en matière de sécurité, et les répercussions dans l’establishment militaire du départ de Yaalon et de la nomination de Liberman. (Non que la nomination de Liberman n’ait aucun bénéfice pour le Premier ministre ; il sera intéressant de voir si Netanyahu l’emmène avec lui à Moscou en juin.)
Pendant la guerre de Gaza en 2014, Netanyahu, Yaalon, et le chef d’Etat-major d’alors Benny Gantz ont tenu presque tous les soirs des conférences de presse sur l’évolution du conflit. Bien que rarement informatives, le trio présentait quelque chose que Netanyahu devra réussir dans le climat politique émergent : un front uni, des officiels collant à la ligne du parti. On ne peut qu’imaginer de quoi aurait l’air une conférence de presse similaire, dans des conditions similaires, avec Netanyahu flanqué de Liberman, tenant d’une ligne plus dure et prompt à la sortie de route, et de Gadi Eizenkot, chef d’Etat-major tempéré et pragmatique.
Perdant – Isaac Herzog
Dans le récit de Herzog, c’est la manière dont se sont déroulées les négociations – « des acteurs régionaux et mondiaux », dont le président égyptien, poussaient à un gouvernement d’unité pour saisir une « rare opportunité » de paix, qui, a-t-il souligné, était contingente à sa présence dans la coalition, en tant que ministre des Affaires étrangères.
Pendant un entretien agité jeudi sur la Deuxième chaîne, Herzog a affirmé que des dirigeants mondiaux avaient dit à Netanyahu qu’ils ne lui faisaient pas confiance sur le sujet de la paix israélo-palestinienne – confirmant des informations disant que l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le président égyptien Abdel-Fattah el-Sissi étaient responsables de la réconciliation entre le Likud de Netanyahu et l’Union sioniste de Herzog, créant ainsi un climat plus favorable aux efforts de paix.
« Qu’est-ce que vous croyez, que Sissi travaille pour moi ? » a dit Herzog, faisant référence au moment choisi pour la déclaration du président égyptien mardi dernier, appelant à un effort de paix pendant que Netanyahu et Herzog négociaient un accord de coalition.
Mais Netanyahu a reculé sous la pression de son parti, gâchant une chance « historique » de paix régionale, a déclaré Herzog. Il est possible, a concédé jeudi soir le chef de l’opposition, que « Netanyahu se soit joué de moi », et, probablement, des « acteurs régionaux et mondiaux » aussi.
Netanyahu jouait-il depuis le début ? Le ministre du Tourisme Yariv Levin (Likud) a déclaré jeudi à la radio militaire que les informations sur la conclusion proche d’un accord entre le Likud et l’Union sioniste étaient « loin de la réalité ».
Le Likud a courtisé Yisrael Beytenu depuis le début, a dit Levin, qui menait jeudi les négociations au nom du Likud avec Liberman. « Nous avons fait des efforts importants, au fil des mois, pas des semaines, pour convaincre Yisrael Beytenu de rejoindre le gouvernement », a-t-il déclaré, et les articles sur un gouvernement d’unité ont poussé Liberman à la table des négociations.
« Il n’y avait rien, ce n’est jamais arrivé, nous n’avons jamais accepté de geler la construction en Judée et Samarie [termes bibliques désignant la Cisjordanie], a déclaré Levin. Herzog a raison de dire qu’il s’en est tenu aux principes de son parti [pendant les négociations], et en conséquence nous n’avons pas pu atteindre d’accord. »
Des membres de sa propre Union sioniste, menés par la députée Shelly Yachimovich, ne croyaient pas au narratif de paix de Herzog. « Je ne crois pas, même pas une seconde, que Bouji [Isaac Herzog] a cru que l’initiative de paix marcherait. Il voulait sauver sa propre peau politique », a déclaré jeudi Yachimovich à la radio militaire.
Herzog, qui avait initialement accusé les « extrémistes de gauche » pour l’échec des négociations plutôt que Netanyahu, est revenu mercredi dans un parti divisé – dont la majorité a méprisé les négociations, et où plusieurs dépités l’ont appelé à démissionner en raison de ce qu’ils ont perçu comme une humiliation devant le Likud.
Mais vendredi, le Premier ministre a confirmé qu’il y avait une ouverture pour une initiative de paix régionale, et a tendu encore une autre invitation à l’Union sioniste pour qu’elle entre au gouvernement. Dans un communiqué ne faisant pas mention de Liberman, Netanyahu a déclaré qu’il y avait des « opportunités sur le front diplomatique, particulièrement en raison de certains développements dans la région sur lesquels je travaille sans cesse ».
« En conséquence, j’ai fait un effort important pour inclure l’Union sioniste dans le gouvernement, et je laisse donc la porte ouverte à cette union, qui bénéficierait à l’Etat d’Israël », a déclaré Netanyahu, laissant Herzog dans le pétrin.
Sauf à entrer dans la coalition, ce qui serait presque impossible à justifier pour le parti de centre gauche si Liberman est ministre de la Défense, il est difficile d’imaginer le genre de mesures spectaculaires que le chef de l’opposition, qui a évité de convoquer des primaires depuis plus d’un an, devra prendre pour rester à la tête de son parti divisé. Mais si le Parti travailliste a refusé de se rallier derrière son chef, et que Herzog n’agit pas, Netanyahu a peut-être effectivement mis fin à la carrière politique d’Isaac Herzog.
Gagnant – Avigdor Liberman
Depuis des années, Liberman a les yeux rivés sur le ministère de la Défense, et il serait maintenant à lui. L’ancien ministre des Affaires étrangères fera aussi plaisir à ses électeurs, dont la plupart viennent de l’ancienne Union soviétique, avec un accord pour résoudre la crise des retraites des Israéliens qui ont immigré dans les années 1990, et étaient trop âgés à ce moment, et vivent donc sans pension de retraite russe ou israélienne.
Netanyahu a promis de soutenir la proposition de Liberman pour autoriser la peine de mort pour les terroristes, mais le projet de loi ne sera probablement pas jugé satisfaisant par les autorités judiciaires ou le procureur général. Un projet de loi similaire proposé par le parti de Liberman avait échoué l’année dernière à la Knesset par 94 voix contre six. Liberman, imprédictible mais pragmatique, aurait également abandonné ses demandes sur les sujets religieux, notamment la réforme des autorités de conversion d’Israël, la mise en place du mariage civil, et l’institution d’un service national plus équitable et plus universel.
Gagnant – Yehuda Glick
Yaalon en-dehors du tableau, Glick – qui a survécu à une tentative d’assassinat par un attaquant palestinien en 2014 en raison de son militantisme pour le mont du Temple – devrait entrer au Parlement israélien avec les couleurs du Likud. Alors que cela va probablement déclencher une vague de condamnation des Palestiniens et des Etats arabes, qui craignent qu’Israël ne cherche à modifier le statu quo du lieu saint, l’entrée de Glick à la Knesset signifie qu’il ne sera plus autorisé à se rendre sur le mont du Temple. Pour apaiser les tensions, Netanyahu avait ordonné à la police d’empêcher tous les politiciens de se rendre au lieu saint.
En décembre, Glick avait déclaré au Times of Israël qu’il soutiendrait la prière juive au lieu saint s’il entrait à la Knesset.
« Comme je le fais aujourd’hui à l’extérieur de la Knesset, j’essaierai de le faire à l’intérieur de la Knesset, a déclaré le cinquantenaire. Si je suis à la Knesset, j’essaierai de faire de mon mieux pour changer la situation au mont du Temple. »
Perdants – les Arabes israéliens
Liberman a un historique de commentaires anti-arabes, dont un appel à décapiter les citoyens arabes « déloyaux » d’Israël. Il a également appelé à des échanges de territoires dans le cas d’un accord de paix qui rendraient des villes arabes à l’Autorité palestinienne. Naturellement, la nomination de Liberman à la Défense a alerté la communauté arabe israélienne.
La semaine dernière, alors que l’Union sioniste cherchait à entrer dans la coalition, Odeh, dirigeant de la coalition des partis arabes, la Liste arabe unie, s’était positionné pour être le prochain chef de l’opposition. Au même moment, le parti Meretz avait appelé à une alliance à gauche pour bloquer Odeh et il est peu probable que les députés de l’opposition Yair Lapid, Shelly Yachimovich et Tzipi Livni (qui seraient probablement restées dans l’opposition) lui auraient laissé le poste sans se battre. Néanmoins, Herzog restant chef de l’opposition, Liberman a aussi empêché Odeh de rechercher ce poste.
Perdant/Futur gagnant – Moshe Yaalon
Il a été évincé sans cérémonie du ministère de la Défense, mais Yaalon quitte la Knesset en étant populaire, et en étant resté droit dans ses bottes sur la morale de l’armée. Et il a promis de revenir.
Gagnantes – Shelly Yachimovich et Tzipi LIvni
En refusant avec constance de se compromettre en entrant dans le gouvernement de Netanyahu, Yachimovich et Livni ont pu se positionner aux yeux de leurs électeurs comme des dirigeantes de l’opposition plus efficaces que Herzog, qu’elles accusent de s’être prostitué pour un gain politique.
Perdants – les partis ultra-orthodoxes
Yahadout HaTorah et Shas ont une longue histoire d’aversion intense pour Liberman, qui en veut à leur contrôle sur les affaires religieuses et a à plusieurs reprises accusé Netanyahu de se « plier » à toutes leurs demandes. Si des sujets comme l’enrôlement de soldats ultra-orthodoxes pour le service national sont à nouveau soulevés, et si des projets de loi sur des sujets comme le contrôle de l’Etat sur les mikvés [bains rituels] sont en voie pour un vote à la Knesset, un combat entre Yisrael Beytenu et ces partis ne sera qu’une question de temps.
Perdants – les médias israéliens
Pendant son entretien jeudi, le ministre du Tourisme Levin a remercié la presse israélienne pour ses mois d’articles peu sourcés sur les progrès des négociations avec l’Union sioniste, ce qui a mené Liberman à négocier. « Soit dit en passant, merci à vous, via les rumeurs », Liberman est venu à la table des négociations, a déclaré Levin. « Nous sommes heureux d’aider », a répondu cyniquement le journaliste politique de la Deuxième chaîne, Amit Segal.
Gagnants – les retraités russophones
Les représentants de Liberman demandaient 2,5 milliards pour résoudre la crise des retraites. Le ministère des Finances ne savait pas encore où trouver ces financements, mais devait accéder à cette demande. Parallèlement, des rumeurs circulaient cette semaine disant qu’à présent que la majorité de Netanyahu n’était plus tenue en otage par les députés du Likud David Amsalem et Abraham Neguise au sujet de l’immigration éthiopienne, le Premier ministre pourrait ne pas tenir ses promesses.
Le porte-parole d’Amsalem a déclaré au Times of Israel qu’il ne s’agissait « que de rumeurs ». Mais avec les nouveaux financements alloués aux retraites, et le ministère de l’Intégration qui passe du Likud à Yisrael Beytenu, et l’aversion générale de Netanyahu envers les menaces politiques de « petits » politiciens, il sera intéressant de voir, au moment de la finalisation du budget, si l’accord sur l’immigration éthiopienne est mis en place comme promis.
La Knesset a repris dimanche sa session d’été, et sa première plénière a lieu lundi. Avec une opposition plus fragmentée et énervée que jamais auparavant, la coalition s’ajustant aux changements, et des membres du Likud demandant des postes plus importants, cela promet d’être intéressant.
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