Les Juifs français luttent pour trouver du travail en Israël et envisagent la yerida
Entre la langue, le coût de la vie et l'intégration parfois difficile, beaucoup d'olim désenchantent et retournent vivre en France

RAANANA – (JTA) Avant de quitter sa France natale pour Israël, Catherine Berdah dirigeait une pharmacie qui marchait plutôt bien dans une banlieue animée située à l’est de Paris.
Pharmacienne de 50 ans, titulaire d’un diplôme de master en business et disposant d’une dizaine d’années d’expérience, Berdah gagnait 6 000 euros par mois et dirigeait une entreprise en pleine croissance qui employait 14 personnes.
Mais Berdah a tout vendu l’année dernière et a déménagé avec son mari et leurs deux adolescentes vers cette ville du centre d’Israël, Raanana parce qu’elle craignait pour leur futur en France en raison de la montée de la violence antisémite.
Berdah espérait ouvrir une nouvelle pharmacie dans l’Etat juif. Mais six mois après leur installation ici, elle a déjà quitté un travail de caissière, payé 5,5 euros de l’heure, qui ne lui offrait aucune perspective d’évolution et un autre dans une clinique de santé où on lui demandait de ranger des boîtes dans une pièce de stockage. Berdah a quitté ce deuxième emploi parce qu’elle ne pouvait pas soulever les boîtes.
« A 60 ans, on m’a dit que je n’étais bonne que pour lever des boîtes, a expliqué Berdah. C’est à ce moment là que j’ai commencé à me sentir humiliée ».
Aujourd’hui, Berdah étudie l’hébreu et attend de pouvoir passer un examen qui lui accordera une licence de pharmacienne israélienne. Mais avant qu’elle puisse le faire, elle doit remplir une série d’exigences, y compris fournir son rapport de stage en pharmacologie qu’elle avait réalisé il y a 30 ans avec un pharmacien français qui est mort depuis.
Selon Qualita, un groupe de 12 associations d’immigrants français en Israël, l’examen présente un taux d’échec de 80 %.
Tout cela pousse Berdah à se demander si elle n’a pas fait une terrible erreur en abandonnant sa vie confortable en France pour tenter une meilleure vie en Israël.
« Je vais essayer une autre année, a déclaré Berdah. Mais ça ne va pas très bien ».
Environ 15 000 Juifs français se sont installés en Israël au cours des deux dernières années, poussés entre autres, par une montée de l’antisémitisme et la stagnation économique.
Mais si leur influence se ressent en Israël, avec l’ouverture de multiples pâtisseries casher, de crèches pour francophones et des jeunes garçons portant une kippa qui imitent leurs vedettes de cinéma préférées sur la place Yad L’Banim de Raanana, les nouveaux venus francophones d’Israël luttent pour trouver leur place au niveau économique.
Leurs difficultés rappellent celles des immigrants russes qui sont arrivés en Israël dans les années 1990, dont de nombreux d’entre eux étaient très bien formés professionnellement avec des diplômes de haut niveau pour travailler dans des emplois peu qualifiés comme éboueurs ou balayeurs de rue parce que leur qualifications n’étaient pas reconnues.
« Des médecins, des infirmières et des pharmaciens qui ont étudié 5 ou 8 ans ne travailleront pas ici comme des agents d’entretien comme l’ont fait d’autres immigrants russes dans les années 1990, a déclaré Mickael Bensadoun, le directeur de Qualita. Ils sont sionistes, mais il y a une limite. Et si l’on en arrive là, ils retourneront en France ou partiront vers d’autres pays demandeurs de nouveaux immigrants qualifiés, comme le Canada« .
Bensadoun et Berdah pensent que les autorités israéliennes ont présenté des obstacles inutiles pour protéger les professionnels locaux de la compétition des immigrants.
Le ministère israélien de la Santé a refusé de répondre à l’accusation et a renvoyé toutes les demandes au ministère pour l’Immigration, qui a déclaré au JTA que des efforts sont en cours pour simplifier le processus de certification pour les professionnels de santé.
« Nous représentons une aubaine pour Israël, alors, s’il vous plaît, ne nous faites pas vivre un enfer bureaucratique », a écrit David Tibi, un dentiste qui a immigré en Israël en 2014, dans une lettre adressée le mois dernier au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Dans le même temps, les immigrants français prennent les choses en main.
En 2014, ils ont lancé un effort de lobby agressif pour se débarasser des obstacles bureaucratiques qui les empêchent de s’insérer pleinement au sein de la société israélienne pour ceux qui sont déjà dans le pays, décourageant beaucoup d’autres de venir.
Le groupe de pression, dirigé par Qualita et ses organisations membres, a déjà conduit à plusieurs changements, y compris la simplification des exigences pour les médecins français en 2014 et une loi en attente qui exempterait les dentistes français d’avoir à passer un examen de certification.
D’autres professionnels doivent toujours passer des tests très difficiles pour travailler, sans prendre en compte leur expérience ou les niveaux français qu’ils ont acquis.
Le mois dernier, l’effort de pression a reçu un grand soutien de Meyer Habib, un député juif de l’Assemblée nationale et ami de Netanyahu, qui a déclaré qu’il déconseillerait aux Juifs français de déménager en Israël à moins que des progrès ne soient réalisés dans les trois mois.
« Je ne peux pas soutenir une situation qui crée des tragédies dans les vies des gens », a récemment déclaré Habib sur Facebook.
Selon Bensadoun, environ 300 à 400 professionnels français de la santé ne peuvent pas travailler dans leur domaine de compétence à cause des questions de certification. Il a aussi pointé du doigt des chiffres officiels suggérant que la situation conduit 15 à 20 % des immigrants français à rentrer en France dans les deux ans.
Pourtant, Bensadoun reste optimiste, en partie grâce aux leçons tirées des difficultés des immigrants russes dans les années 1990.
« Le succès des olim russes et l’immense contribution à l’image d’Israël vue comme une nation start-up a permis à la Knesset et au public de se rendre compte du potentiel d’olim éduqués, a déclaré Bensadoun, en utilisant le mot hébreu pour olim. D’une certaine façon, nous naviguons dans son sillage ».
Malgré tous ces problèmes, Berdah n’est pas prête à abandonner Israël. Mais la situation a créé des difficultés dans son couple. Son mari, Michel, voudrait que la famille rentre en France.
« Vous pensez que vous avez quelque chose à offrir ici ? explique Michel quand ils se disputent sur le sujet. Israël ne veut rien de vous. »
Berdah, de son côté, a ses propres désaccords avec sa plus grande fille, Clara âgée de 18 ans, qui veut rester en Israël et, à la grande peine de Berdah, servir dans une unité de combat de l’armée israélienne.
Sa plus jeune fille, Naomi, s’est bien habituée au lycée, où elle étudie dans une classe spéciale pour les nouveaux immigrants et envisage de faire carrière dans le mannequinat.
« La situation paradoxale est que les filles s’intègrent vraiment très bien, a déclaré Berdah. Je me demande si Israël nous veut vraiment ou seulement nos enfants ».
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