Les ouvriers agricoles thaïlandais qui ont survécu au 7 octobre retournent aux champs après avoir surmonté leur traumatisme
Alors que nombreux sont ceux qui ont perdu leurs collègues et amis dans le pogrom perpétré par le Hamas, des ouvriers agricoles étrangers doivent toujours soutenir financièrement leur familles. Mais tout n'est pas comme avant

Alors que l’on apprend que cinq otages thaïlandais ont été relâchés jeudi, Jakkrit Noiphoothorn, dit Thon, se tient devant un poulailler du kibboutz Alumim, pointe du doigt la bande de Gaza qui se dessine à l’horizon et souhaite ardemment que les otages rentrent chez eux.
« J’aimerais que la guerre prenne fin, car nous pourrions alors mieux travailler et dormir plus tranquillement », a déclaré Thon, qui travaille au kibboutz Alumim depuis près de quatre ans.
Douze ouvriers agricoles thaïlandais et dix étudiants en agriculture népalais ont été tués dans les logements des ouvriers du kibboutz Alumim et quatre ont été emmenés en captivité à Gaza lorsque des terroristes conduits par le Hamas ont attaqué le sud d’Israël avec des tirs et des grenades le 7 octobre 2023. Ce jour-là, quelque 1 200 personnes ont été sauvagement massacrées et 251 ont été enlevées.
Cinq des huit otages thaïlandais encore détenus devraient être libérés jeudi, de même que les otages israéliens Agam Berger, Arbel Yehud et Gadi Moshe Mozes. Un ressortissant népalais et un Tanzanien sont également toujours détenus. Le Tanzanien et deux des Thaïlandais ont été déclarés morts par Israël.
Cette libération est considérée comme un geste de bonne volonté de la part du Hamas au cours de la première phase du cessez-le-feu récemment conclu, dont les conditions incluent la libération de 33 otages israéliens en échange d’un maximum de 1 904 prisonniers de sécurité palestiniens détenus par Israël.
Mais pour ceux qui ont survécu au 7 octobre et sont retournés travailler dans le kibboutz où ils ont été attaqués, les souvenirs de cette journée sont cauchemardesques.
« Je ne veux pas que cela se reproduise », a déclaré Thon. « C’est toujours dans mon esprit. Quoi que je fasse, ça ne disparaît pas ».

Pendant le massacre, Thon a parlé au téléphone avec son patron dans le kibboutz, Michael Huller, originaire de Manchester, en Angleterre, et membre d’Alumim depuis 40 ans. Huller se cachait dans l’abri de sa maison située de l’autre côté du kibboutz.
Un autre ouvrier agricole étranger, l’un des étudiants en agriculture népalais, a été tué alors qu’il parlait à Huller au téléphone.
Huller a dit à Thon de sortir par la fenêtre à côté de son lit et de ramper jusqu’à l’étable voisine, où il s’est caché sous de la bouse de vache pendant 20 heures.
Après avoir été évacué d’Alumim avec le reste des membres du kibboutz vers un hôtel de Netanya le 8 octobre, puis rapatrié par le roi de Thaïlande une semaine plus tard, Thon était de retour au kibboutz Alumim trois mois plus tard.
« Thon est revenu parce qu’il doit gagner de l’argent et qu’il a encore son visa de cinq ans », a déclaré Huller. « Le roi lui a payé un billet d’avion pour rentrer chez lui, alors il est rentré pour rendre visite. Puis il est revenu. »
Lorsque Thon est retourné à Alumim, Huller vivait à Netanya et retournait travailler au kibboutz plusieurs fois par semaine.
« Le premier jour où j’ai appris qu’il était de retour, je suis venu, nous nous sommes serrés dans les bras, nous avons pleuré ensemble », raconte Huller. « Il tremblait. »

Lors des premiers jours qui ont suivi son retour, Thon a fait chaque jour un grand détour pour se rendre au travail dans les poulaillers, en essayant d’éviter la zone de l’étable et du jardin adjacent où s’étaient déroulés la plupart des combats entre les terroristes du Hamas et l’équipe de sécurité d’Alumim ainsi que les forces de sécurité extérieures le 7 octobre.
Thon n’est pas le seul membre de l’équipe de Huller à être traumatisé par les événements du 7 octobre.
L’un des membres de l’équipe de Huller est Eitan Cunio, un habitant du kibboutz voisin Nir Oz dont les deux frères ont été capturés – le frère jumeau d’Eitan, David Cunio, et leur frère cadet, Ariel Cunio, ainsi que la petite amie d’Ariel, Arbel Yehud, qui a aussi été libérée jeudi.
La femme de David et ses filles jumelles ont également été prises en otage et libérées en novembre 2023. David, Ariel et Arbel sont toujours en captivité, et Eitan Cunio conduit un break blanc couvert de photos des membres de sa famille, dont un autocollant sur le pare-chocs qui dit « Je suis un frère otage ».

Huller a encouragé tous ses collaborateurs à reprendre lentement et à retrouver une certaine routine.
« Lorsque je suis revenu, j’avais peur, mais je suis le soutien de la famille », a déclaré Thon.
Aujourd’hui, Huller serre Thon dans ses bras chaque fois qu’il le voit.
« Depuis le 7 octobre, tout le monde fait des câlins », a-t-il déclaré. « Thon n’aime pas parler des otages – c’est en partie une question de langue et de culture – mais il sait ce qui est arrivé à la famille d’Eitan et cela remet les choses en perspective. »
C’est une histoire qui se répète dans de nombreuses communautés frontalières de Gaza attaquées le 7 octobre. Environ une trentaine d’ouvriers thaïlandais ont été assassinés, tandis qu’une vingtaine d’autres ont été enlevés au cours de l’assaut.
Dix-sept travailleurs agricoles thaïlandais ont été libérés de Gaza en novembre 2023 et renvoyés chez eux. La plupart des 10 000 autres travailleurs thaïlandais en Israël sont rentrés chez eux grâce à des billets d’avion offerts par le gouvernement thaïlandais.

Une dizaine de jours après le 7 octobre, Michal Havivian, dont la famille du mari possède une ferme biologique près de la ville d’Ashkelon, dans le sud du pays, a été informée par ses travailleurs thaïlandais que le roi de Thaïlande leur avait ordonné de rentrer chez eux.
« Ils nous ont dit qu’avec tout le respect qui leur est dû, ils devaient écouter leur famille et rentrer chez eux », a-t-elle déclaré.
Leur éthique du travail et leur sens du service font de ces travailleurs étrangers des éléments essentiels de l’industrie agricole israélienne, a déclaré Havivian.
« Ils parlent peu et font beaucoup de travail », dit-elle. « Ils trouvent de l’honneur dans ce travail et dans le fait de suivre les instructions. »
Et pourtant, même après que tant de personnes ont été tuées et prises en otage le 7 octobre, les ressortissants thaïlandais en Israël sont relativement peu connus des communautés dans lesquelles ils vivent, en partie à cause de la barrière de la langue et des structures de leur culture.
Un membre du personnel de l’ambassade de Thaïlande a déclaré au Times of Israel qu’il ne partagerait aucun détail sur les otages thaïlandais et les décès survenus le 7 octobre.
Huller n’a pas été surpris d’entendre cette déclaration de l’ambassade de Thaïlande.
« Nous sommes amicaux, je vois des photos de leur famille sur leur téléphone, je les invite à nos événements familiaux, mais ça ne va pas plus loin que cela », a-t-il déclaré. « Nous nous assurons qu’ils ont tout ce qu’il faut, mais nous savons que ce sera fini au bout de cinq ans. »
En discutant avec plusieurs travailleurs thaïlandais d’Alumim, généralement à l’aide de Google Translate sur un téléphone, il est apparu clairement qu’ils ne connaissaient pas les travailleurs thaïlandais pris en otage dans d’autres communautés.
« La Thaïlande est un vaste pays », explique Havivian, « et il y a plusieurs dialectes ».
Le 7 octobre, Korawit Kaeokoed, un employé de l’étable d’Alumim connu sous le nom de Kuay, s’est caché pendant des heures dans le faux plafond au-dessus de la réserve où sont conservés les médicaments des vaches.

Il a également été évacué vers Netanya, puis est rentré en Thaïlande pour rendre visite à sa femme et à ses deux enfants, avant de retourner à Alumim plusieurs mois plus tard.
Il est resté en contact avec Phonsawan Pinakalo, un collègue ouvrier agricole qui a été pris en otage à Alumim puis libéré en novembre 2023.
Pinkalo a décidé de rester en Thaïlande et d’ouvrir un magasin dans sa ville natale, a déclaré Kuay.
Il m’a dit : « Tu n’es pas intelligent de rester en Israël, tu n’es pas mort la dernière fois, mais tu pourrais mourir la prochaine fois », a déclaré Kuay.
« J’ai répondu que tout irait bien », a ajouté Kuay, qui parle à peine l’hébreu.
« Alumim est bien, le patron est bien, les gens sont bien, le travail est bien », dit-il en remuant une casserole de bouillon à la citronnelle et au gingembre sur le poêle dans les quartiers simples qu’il partage avec les autres travailleurs thaïlandais. « La Thaïlande n’a pas de travail, pas d’argent. Si Alumim n’était pas bon, je ne serais pas revenu ».
Le logement des ouvriers étrangers a été réduit en cendres le 7 octobre. La nouvelle structure simple en tôle ondulée comprend une cuisine commune avec au moins une douzaine de cuiseurs de riz sur les étagères ouvertes.

On entend régulièrement en arrière-plan le mugissement des vaches dans l’étable voisine, ainsi que les explosions des bombardements israéliens dans la bande de Gaza toute proche.
Même aujourd’hui, explique Kuay, il lui est difficile d’être de retour au kibboutz, où la moindre sirène ou le moindre bruit d’explosion en provenance de Gaza peut le faire paniquer. À l’expiration de son visa de travail, Kuay retournera en Thaïlande, où il prévoit de cultiver du riz.
Différences culturelles
Les Thaïlandais sont introvertis, et ils n’aiment pas parler de ce qui s’est passé le 7 octobre, explique Havivian. Il peut être difficile de se rapprocher d’eux, même après des années de travail en commun.
« Ils n’aiment pas qu’on les dérange », dit-elle. « Ce sont des gens qui passent inaperçus. »
Selon Havivian, lorsque les Thaïlandais viennent travailler en Israël, ils proposent généralement une version abrégée de leur nom pour faciliter les choses, mais aussi, peut-être, pour avoir une identité différente tant qu’ils se trouvent dans un pays étranger. Lorsqu’ils reçoivent un colis de leur pays d’origine, elle doit souvent vérifier leur passeport pour savoir à qui il est adressé.

« Ce n’est pas parce que je ne veux pas savoir, c’est simplement comme ça que ça marche », a déclaré Havivian, qui a récemment collaboré à un projet avec le centre culinaire Asif Culinary Center de Tel Aviv, dans le cadre duquel de la citronnelle a été plantée dans le projet de jardin urbain d’Asif en l’honneur de ses ouvriers thaïlandais.
« Notre communication est limitée, mais… ce sont eux qui s’occupent de nos personnes âgées et des fermes, et ils font tout le travail », a-t-elle déclaré. « Ils sont l’épine dorsale du travail que nous ne voulons pas faire. »
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