Les tensions avec les alliés menacent-elles la liberté d’action de l’armée à Jénine ?
Si Washington et nos alliés arabes comprennent l'obligation de lutter contre la terreur, le potentiel d'escalade est fort et le raid peut être perçu comme servant l'extrême-droite
Ce n’est pas un secret que les relations entretenues par Israël avec ses alliés les plus déterminants ont connu des tensions depuis que Benjamin Netanyahu est revenu au pouvoir fin décembre dernier.
Des crispations qui sont particulièrement évidentes dans les liens tissés entre l’État juif et les États-Unis, l’allié le plus proche du pays.
Six mois après avoir pris le pouvoir, Netanyahu n’a toujours pas été invité à la Maison Blanche par Joe Biden dans un contexte de désaccords avec Washington concernant le plan controversé du refonte du système judiciaire israélien qui est avancé par le gouvernement, avec pour objectif de limiter les pouvoirs des tribunaux au profit de la puissance de l’exécutif.
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Les États-Unis se sont également ouvertement inquiétés des violences commises par des justiciers du mouvement pro-implantation israélien à l’encontre des Palestiniens, évoquant également l’expansion des implantations et les déclarations faites par les ministres d’extrême-droite qui siègent au sein de la coalition de Netanyahu.
Pour leur part, les responsables israéliens ne cachent pas leur opposition à un éventuel accord entre les États-Unis et l’Iran portant sur le programme nucléaire de la république islamique.
Et alors même que Netanyahu rêve de conclure un accord de normalisation avec l’Arabie saoudite, ses relations avec les pays arabes qui reconnaissent Israël montrent également des signes de refroidissement.
Il n’y a pas eu de visite de haut-rang – de la part des deux parties – organisée avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc. Et les deux pays du Golfe (cela a été en particulier le cas des EAU) ont condamné publiquement et de manière répétée les leaders israéliens et les politiques mises en place sous le nouveau gouvernement.
Les ambassadeurs des alliés d’Israël, dans le Golfe, ont fait le choix de ne pas se montrer lors d’un dîner qui était organisé pour l’iftar, pendant le ramadan, par le ministère des Affaires étrangères de Jérusalem, souhaitant ainsi transmettre un message.
Les données montrent également une tendance préoccupante et qu’il est impossible d’ignorer : le temps passant, les Accords d’Abraham perdent en popularité dans les rues des nations arabes signataires, qui avaient tourné une nouvelle page dans leur histoire avec l’État juif avec la signature des Accords historiques.
Par ailleurs, le mois dernier, le Maroc a pris la décision d’annuler son projet d’organisation d’un sommet très attendu qui devait réunir les chefs de la diplomatie d’Israël, des États-Unis et de plusieurs pays arabes, suite à des initiatives prises par Jérusalem – des initiatives qui visent à élargir de manière significative les implantations israéliennes en Cisjordanie.
Et aujourd’hui, tandis qu’Israël a lancé une opération très attendue à Jénine, le pays a besoin d’être couvert par ses alliés de manière à pouvoir bénéficier de suffisamment de temps pour éradiquer les infrastructures terroristes dans la ville. Mais le gouvernement pourrait bien découvrir que ses partenaires se montrent moins réceptifs à sa cause qu’il pourrait le souhaiter de prime abord.
« La fusion a d’ores et déjà été très courte avec un certain nombre de pays », déclare au Times of Israel un diplomate européen.
Une défense forte
Et le fait que Netanyahu et Biden ne se sont pas encore physiquement rencontrés ne renforce très certainement pas la perspective d’une compréhension mutuelle.
« Ce n’est jamais une bonne chose quand le président américain et le Premier ministre israélien ne se rencontrent pas et qu’ils échangent des opinions sans la présence d’un médiateur », estime Eldad Shavit, chercheur au sein de l’Institut national d’études sécuritaires.
En même temps, Biden et ses hauts-conseillers ont souligné de manière répétée le droit d’Israël à se défendre contre le terrorisme, ajoute-t-il – pas plus tard que ce lundi.
Alors que les relations politiques restent à la traîne, les relations en matière de Défense progressent, pour leur part, de façon réjouissante.
Le ministre de la Défense Yoav Gallant et le secrétaire d’État américain à la Défense, Lloyd Austin, ont évoqué l’élargissement de la relation bilatérale entre les deux pays contre l’Iran lors d’une rencontre qui avait eu lieu en Europe, il y a deux semaines, et Mark Milley, le président des chefs d’état-major conjoints, Austin et le commandant du CENTCOM, Erik Kurilla, sont tous allés en Israël pour se coordonner avec leurs homologues israéliens.
« Ils ont beaucoup parlé », explique Jonathan Schanzer, vice-président de la Fondation pour la défense des démocraties. « On peut constater qu’il y a eu bon nombre de conversations au sujet de la Cisjordanie ».
« Je ne pense pas que ce qui est en train de se passer soit une surprise pour les hauts-responsables du Pentagone », estime-t-il, évoquant l’intensification des actions de l’armée israélienne en Cisjordanie.
De plus, alors qu’elle est amenée à relever d’autres défis pressants à l’international – comme la guerre en Ukraine et la menace de la Chine – et avec une période électorale qui pointe à l’horizon, la Maison Blanche de Biden n’a pas besoin d’une crise à part entière avec Israël.
Le rejet de l’agression
La réponse qui était apportée lundi soir par les pays arabes à ce qui est apparemment la plus importante opération antiterroriste à avoir lieu en Cisjordanie en l’espace de deux décennies était prévisible.
La Jordanie a ainsi émis un communiqué dénonçant « l’agression israélienne » et appelant la communauté internationale à exercer des pressions sur Israël pour que le pays mette un terme au raid avant que la situation « n’explose ».
Même son de cloche en Égypte. Le Caire a ainsi froidement souligné son « rejet total des attaques et des incursions israéliennes répétées contre les villes palestiniennes, » déplorant « les victimes civiles innocentes » d’un « usage de la force excessif et hasardeux ».
Les EAU ont aussi condamné l’opération – mais en des termes plus mesurés. Ils ont appelé à « l’arrêt immédiat des campagnes répétées et croissantes contre le peuple palestinien ».
Et si le ministère des Affaires étrangères de Bahrein a pris le temps de féliciter le Rwanda et la Biélorussie à l’occasion de leurs Journées respectives de l’Indépendance, il n’avait pas réagi sur le raid en cours dans l’après-midi de lundi.
« Est-ce que je pense qu’ils vont rappeler leurs ambassadeurs ? Non », dit Joshua Krasna, directeur du Centre des politiques énergétiques émergentes au Moyen-Orient, faisant référence aux partenaires arabes d’Israël. « Est-ce que je pense qu’ils vont arrêter les touristes israéliens ? Non plus ».
Mais ils ne sont pas non plus désireux outre-mesure de lâcher la bride à Israël. Les alliés arabes du pays continuent à être frustrés par les politiques du gouvernement concernant les implantations, et notamment par Netanyahu qui a offert un contrôle quasi-total en matière d’approbation des constructions, dans les implantations de Cisjordanie, au ministre des Finances d’extrême-droite, Bezalel Smotrich, résident d’implantation lui-même et défenseur fervent du mouvement nationaliste.
Le gouvernement de Netanyahu a annoncé qu’il prévoyait de construire des milliers de nouveaux logements dans les implantations, y compris dans le nord de la Cisjordanie. Il a aussi renversé l’interdiction faite en 2005 de la présence israélienne dans quatre implantations de la Cisjordanie qui avaient été évacuées dans le cadre du retrait de Gaza.
Des politiques qui risquent de faire passer l’opération menée par Tsahal, aux yeux des partenaires arabes de l’État juif, comme un raid visant au final à protéger l’expansion des implantations israéliennes à proximité de Jénine et de Naplouse.
« De leur point de vue », déclare Krasna, « ce qui se passe dans le nord de la Cisjordanie entre dans le cadre d’une tendance plus large et une opération de lutte contre le terrorisme sera perçue comme faisant partie intégrante de cette tendance plus large de la droite, ou de l’extrême-droite, du gouvernement israélien à dicter ses politiques ».
Le fait que les partenaires arabes d’Israël ne sont pas eux-mêmes des pays démocratiques rendra aussi plus difficile pour eux de saisir les demandes de la politique de coalition qui sont à l’origine d’un grand nombre des décisions prises par Netanyahu.
Finalement, déclare Shavit, « tout dépendra du genre de l’opération, tout dépendra de sa durée et de la manière dont elle affectera les civils palestiniens ».
Mais le potentiel d’escalade est élevé à Jénine. Le mois dernier seulement, l’armée avait utilisé un hélicoptère pour procéder à des frappes qui avaient permis de couvrir l’évacuation de soldats blessés – un véhicule de l’armée avait roulé sur une bombe en bordure de route. Le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne avait alors annoncé que cinq personnes avaient été tuées dans ces affrontements inattendus, qui avaient fait aussi au moins 91 blessés.
La planification de l’opération à Jénine n’avait pas été un secret et les terroristes, dans la ville, avaient eu le temps nécessaire pour préparer des pièges et installer des explosifs. L’armée pourrait être bien obligée d’utiliser massivement des armes pour évacuer ou pour protéger ses troupes, ce qui accroît la probabilité qu’un grand nombre de Palestiniens soient tués.
« Il y a cette idée que les forces de sécurité de l’AP sont inefficaces et que la seule manière de reprendre le contrôle, c’est l’armée », explique Schanzer. « Je ne pense pas que ce soit difficile à comprendre au moment qui nous occupe. La vraie question reste : Est-ce qu’il y aura des surprises et est-ce que ces surprises obligeront Israël à prendre des mesures plus dures ? »
« C’est à ce moment-là qu’un durcissement de la rhétorique pourrait bien être constaté », ajoute-t-il.
A LIRE – Meïr Ben-Shabbat: « Pourquoi Israël va à Jénine ? Parce que l’AP ne fait pas son travail. »
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