Netanyahu emmène Israël dans l’abîme
Seul un gouvernement déterminé à faire ce qui est déraisonnable peut prendre des initiatives visant à garantir que les juges ne pourront rien y faire
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Six mois après le dévoilement de son plan de refonte radicale du système judiciaire israélien par le ministre de la Justice Yariv Levin – un plan qui reviendrait à neutraliser le système de la justice dans le pays – et quatre mois après les mises en garde lancées par le président Isaac Herzog qui avait averti que le pays se dirigeait tout droit « vers l’abîme constitutionnel, sécuritaire, social et économique », c’est un moment historique qui est arrivé pour l’État juif.
La Knesset a adopté en première lecture, lundi, une législation qui protègera les responsables élus du réexamen judiciaire des décisions qu’ils sont amenés à prendre à l’aune de la notion juridique de la « raisonnabilité » – c’est le premier élément d’une série de lois qui ont été élaborées avec pour objectif d’octroyer à la majorité au pouvoir une quasi-toute-puissance au détriment du système judiciaire, qui ne sera plus en capacité de protéger Israël et les Israéliens face aux abus d’un gouvernement.
Seul un gouvernement déterminé à faire ce qui est déraisonnable peut prendre des initiatives visant à garantir que les juges ne pourront rien y faire – ces magistrats qui, par le réexamen judiciaire des politiques de la coalition, ont été jusqu’à présent le seul frein face au pouvoir de la majorité dans un pays qui n’a pas de Constitution, où la défense de la liberté de religion, de la liberté d’expression et autres droits fondamentaux ne sont ancrés nulle part.
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Et ce gouvernement – avec les plans déclarés des partis que le composent ; avec l’exemption de service militaire ou de service national en faveur de tous les hommes ultra-orthodoxes et les énormes subventions qui seraient versées aux haredim qui étudient la Torah à plein temps ; avec la discrimination qui serait dorénavant autorisée sur la base de la croyance religieuse ; avec l’élargissement de la souveraineté israélienne en Cisjordanie, où les Palestiniens ne jouiraient pas de l’égalité des droits – ce gouvernement, donc, est en train d’entraîner Israël sur un terrain excessivement déraisonnable.
A la veille de la première lecture du projet de loi, une lecture qui est prévue lundi, les ministre du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahu se sont livrés à une attaque en règle et sans pitié de plusieurs heures à l’encontre de la procureure-générale Gali Baharav-Miara – cette dernière s’étant rendue coupable d’avoir mis en garde contre la nature non-démocratique de la législation qui nous occupe aujourd’hui et des autres éléments de réforme qui ont été annoncés par Levin, il y six mois, avec notamment son projet d’octroyer à la coalition un contrôle presque total sur la nominations de tous les magistrats appelés à siéger dans le pays.
L’un après l’autre, ils ont fustigé la procureure-générale pour son incapacité à sévir plus durement contre les centaines de milliers d’Israéliens qui ont manifesté contre la mise aux fers programmée du système judiciaire depuis six mois. Et peu importe que, comme le chef de la police israélienne, Kobi Shabtai, le leur a rappelé, le nombre de policiers blessés pendant ces mouvements de protestation « a été de zéro » depuis le début du mois de janvier.
Levin lui-même a laissé entendre que Baharav-Miara ne devrait pas voir cherché « à prendre parti » en émettant un avis par écrit au mois de février -avis dans lequel elle avait averti que la série de réformes radicales envisagées reviendrait à accorder un pouvoir pratiquement sans limite au gouvernement, sans prévoir de protections institutionnelles pour les droits individuels ou pour le caractère démocratique d’Israël.
Elle lui a expliqué, malgré ses interruptions, qu’elle n’avait fait en cela que son travail en tant que conseillère juridique du gouvernement.
Plusieurs ministres ont appelé à son renvoi – amenant Benny Gantz, leader du parti d’opposition HaMahane HaMamlahti, a évoquer « une scène de film d’horreur ». Prenant lui aussi sa défense, le président Herzog a protesté contre « le mépris outrancier des fonctionnaires » qu’il considère lui-même, a-t-il ajouté, comme « intolérable et inacceptable ». Herzog a également appelé, en vain, l’opposition et la coalition à revenir à la table des négociations qu’il accueillait dans le cadre de sa résidence, des pourparlers qui visaient à trouver un accord consensuel sur le projet de réforme radicale du système judiciaire.
Shabtai, le chef de la police – qui a déclaré aux ministres qui vociféraient que « nous pourrions utiliser des matraques, des chevaux et disperser les manifestants qui bloquent les routes en l’espace d’une minute, mais combien y aurait-il de blessés ? » – est, pour sa part, déjà sur le départ, n’ayant pas trouvé grâce auprès du provocateur d’extrême-droite violent qui est dorénavant ministre de la police israélienne, Itamar Ben Gvir. Le commandant de la police de Tel Aviv, Ami Eshed, est déjà parti, choisissant de démissionner plutôt que d’être mis à l’écart d’une manière particulièrement humiliante.
Lors des manifestations de solidarité qui ont eu lieu immédiatement après la chute d’Eshed, mercredi dernier, les tactiques employés par la police se sont déjà avérées être plus violentes. Des canons à eau ont été utilisés contre les protestataires à une distance moindre que la distance permise à Jérusalem et en particulier à Tel Aviv, avec des blessures conséquentes. Il est indubitable que Ben Gvir choisira comme successeur de Shabtai une personnalité plus encline à infliger ce type de traitement de façon régulière aux « rebelles ».
Relançant sa campagne législative après l’avoir suspendue à la fin du mois de mars – suite à des manifestations d’une ampleur sans précédent qui avaient suivi l’annonce faite par le Premier ministre qu’il limogeait son propre ministre de la Défense, Yoav Gallant – la coalition est manifestement indifférente aux sondages qui révèlent que la plus grande partie du pays et qu’une part honorable de ses propres partisans sont opposés à la destruction de l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le système judiciaire, un équilibre sensible, déterminant dans le cadre d’une démocratie.
Alors que les dirigeants ultra-orthodoxes font avancer leur agenda séparatiste, financé de la poche des contribuables, alors que l’extrême-droite suprématiste juive savoure la perspective d’une croissance rapide des implantations et d’une annexion de la Cisjordanie, la coalition est manifestement indifférente aussi à l’effondrement des investissements dans le secteur high-tech, ce secteur qui est le moteur de l’économie du pays ; elle est manifestement indifférente au refus d’un grand nombre de réservistes, dont le rôle est vital, de servir dans un pays dont la démocratie ne serait plus digne de confiance ; elle est indifférente face à l’évanouissement de l’espoir d’une normalisation des relations avec l’Arabie saoudite ou à une détérioration plus forte des liens avec l’allié le plus important d’Israël, les États-Unis. Après que le président Joe Biden a déploré, dimanche, la présence au sein du gouvernement israélien de « certains des membres les plus extrémistes qu’il m’a été donné de voir », l’un d’entre eux, Ben Gvir, a riposté avec un dédain à la fois prévisible et inacceptable : « Le président Biden doit bien comprendre qu’Israël n’est plus une étoile supplémentaire sur le drapeau américain ».
Un homme aurait pu éviter la tragédie nationale que connaît le pays depuis six mois – c’est l’homme qui en a été à l’origine, Benjamin Netanyahu. Mais lui aussi a un ordre du jour : celui de conserver le pouvoir – avec tous ceux qui lui accorderont leur soutien et manifestement, comme nous sommes sur le point de le constater encore une fois, indépendamment du prix à payer pour ce pays crucial, miraculeux et déchiré qui est le nôtre.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel