Netanyahu est allé se promener à Lisbonne pour se vider la tête et ne rien faire
Le voyage de 48h du Premier ministre à l'autre bout de l'Europe n'a comporté que deux réunions et beaucoup de "sans commentaires". Le vrai motif de ce déplacement reste un mystère
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

LISBONNE, Portugal – Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a choisi un moment précaire pour quitter le pays. Il est plongé dans des ennuis juridiques, avec trois actes d’accusation en instance contre lui, et doit décider s’il doit demander à la Knesset l’immunité parlementaire contre ces poursuites. Il ne reste plus qu’une semaine avant que la Knesset ne se dissolve automatiquement et donne le coup d’envoi à un scénario sans précédent, un troisième scrutin en moins d’un an. Et puis il y a le député Gideon Saar, qui le défie pour la direction du Likud avec une agressivité croissante.
La raison pour laquelle il a choisi de faire cinq heures et demie de vol jusqu’au bout de l’Europe pour seulement deux réunions – une mercredi soir avec le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et une autre avec le Premier ministre portugais Antonio Costa jeudi – reste un mystère.
Les commentaires publics que Netanyahu a faits avant sa rencontre avec Pompeo n’ont donné que peu d’informations, si tant est qu’il y en ait de nouvelles – il a appelé à une pression économique accrue sur l’Iran et a indiqué qu’il ne serait pas mécontent si les manifestants iraniens renversaient le régime. Il n’y a là rien de profondément surprenant.
Et la rencontre avec Costa, le Premier ministre socialiste d’un pays auquel Netanyahu n’a pas prêté beaucoup d’attention ces dernières années – c’est un euphémisme – relevait davantage de la visite de courtoisie.
Lors d’un briefing à la fin de son voyage de deux jours, il a déclaré aux journalistes que sa rencontre avec Pompeo était d’une « importance cruciale » pour la sécurité d’Israël. Les deux hommes ont discuté du vœu de Netanyahu d’annexer la vallée du Jourdain et des plans pour un pacte de défense mutuelle américano-israélien, mais le Premier ministre n’a fait état d’aucun progrès tangible sur les deux fronts.

Au centre de sa conversation avec le diplomate américain était bien sûr l’Iran, mais là aussi, Netanyahu n’avait pas de nouvelles à offrir. Il a vaguement parlé d’une menace « imminente et concrète » émanant du régime, mais a déclaré qu’il ne pouvait divulguer aucun détail supplémentaire.
Lors de la conférence de presse, il a refusé catégoriquement d’aborder ses problèmes juridiques, ainsi que ceux de son cousin et ancien avocat personnel David Shimron, et d’autres proches collaborateurs, dans le grave scandale de corruption des sous-marins appelé l’affaire 3000. Demanderait-il l’immunité parlementaire contre les poursuites ? Aucun commentaire. Serait-il intéressé à demander une grâce présidentielle ? Aucun commentaire.
Réalisant que le Premier ministre ne voulait pas discuter de ses affaires personnelles, je lui ai demandé ce qu’il pensait du candidat du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, et s’il était d’accord pour le rencontrer s’il était élu la semaine prochaine. Encore une fois, Netanyahu a refusé de commenter, du moins officiellement. (Il a parlé du sujet pendant plusieurs minutes, mais son porte-parole a immédiatement souligné que la réponse était officieuse.)
Qu’en est-il du rapprochement avec le Maroc ? Netanyahu et Pompeo avaient discuté « de l’importance de la coopération économique avec les partenaires régionaux », selon le compte-rendu de leur réunion par le Département d’Etat, et le fait que Pompeo se soit rendu à Rabat juste après sa visite à Lisbonne a alimenté la spéculation qu’une certaine forme de reprise des liens commerciaux entre le royaume et Israël était en voie de concrétisation.
Netanyahu, encore une fois, refusa d’en parler.
Il est possible – et même très probable – que les jours et les semaines à venir révèlent l’importance réelle de ce voyage organisé à la hâte au Portugal. Après tout, il est raisonnable de supposer qu’il n’a pas pris l’avion sans une bonne raison.
Entre-temps, de nombreux analystes ont affirmé que lui et sa femme, Sara, avaient simplement besoin d’échapper à leurs problèmes à la maison et de passer quelques heures sans soucis sous le soleil de Lisbonne, dont deux dîners dans des restaurants chics et une agréable promenade dans le centre historique de la ville.
C’est là, sur un site commémoratif d’un massacre de Juifs Portugais massacrés en 1506, que Sara Netanyahu a été filmée disant que ce qui est fait à sa famille est « une inquisition pour nous ».

Le bref échange entre l’épouse du Premier ministre et Shalom Yerushalmi, journaliste pour Zman Yisrael, a suscité plus d’intérêt que tout ce qui s’est passé pendant le voyage, méritant même un message d’alerte par une grande chaîne de télévision israélienne.
L’épisode rappelle le voyage de Netanyahu en Ukraine en août, dont beaucoup d’Israéliens se souviennent surtout pour la femme du Premier ministre qui avait jeté par terre un morceau de pain ukrainien traditionnel qui lui a été offerte par des dignitaires de l’État lors de l’arrivée du couple à Kiev.
Netanyahu est rentré de cette visite avec peu de succès, si ce n’est des manchettes négatives sur la gaffe diplomatique de sa femme.
A la fin de son briefing à l’hôtel Four Seasons de Lisbonne, alors que ses assistants lui demandaient de conclure parce qu’il n’avait plus le temps, Netanyahu a insisté pour rester quelques minutes de plus dans la chambre afin de parler de ses nombreuses réalisations avec les journalistes. Il a présenté trois graphiques qui prouvent ostensiblement comment Israël est devenu une puissance militaire et économique sous sa direction.
Aucun message d’alerte n’a été envoyé.