Pour les Druzes, l’enveloppe de 3,9 Mds de NIS va répondre à des demandes de longue date
Après l'attaque à l'arme blanche à Haïfa, qualifiée à tort de terroriste, le plan des autorités annoncé dimanche redonne à la communauté druze unie l'espoir de la "fin de ses problèmes"

Un homme druze en a poignardé un autre à mort et en a blessé quatre autres à Haïfa, le 3 mars dernier, dans ce qui a dans un premier temps été qualifié d’attaque terroriste et a suscité une véritable onde de choc et de peur et réveillé le besoin de se défendre des Druzes israéliens, connus pour leur loyauté envers l’État israélien.
Dès qu’Eman Atalla a appris la nouvelle, sa première pensée a été : « C’est une mauvaise nouvelle parce que les gens vont penser que les Druzes sont des terroristes », expliquait-elle au Times of Israel, chez elle mardi dernier à Yarka, un village druze de Galilée occidentale.
Le 3 mars, une enquête policière a révélé que l’auteur de l’attentat, Jethro Shaheen, 20 ans, abattu sur place par un agent de sécurité à la gare routière Lev Hamifratz de Haïfa, souffrait de maladie mentale.
Selon la fille aînée d’Atalla, Boshra, « les Druzes ont tous été soulagés de savoir qu’il ne s’agissait pas d’une attaque terroriste ».
Six jours plus tard, dimanche, le hasard faisait que le gouvernement validait un plan quinquennal d’une valeur de près de 3,9 milliards de shekels destiné à résoudre les problèmes de logement et d’urbanisme qui affligent les minorités druze et circassienne, dont l’effectif s’élève respectivement à 150 000 et 5 000 dans le nord d’Israël.
« J’espère que ce plan apportera des solutions réelles et pratiques dans les domaines de l’urbanisme et de la construction et mettra fin à ce problème difficile, qui touche principalement la jeune génération et les membres des forces de sécurité », confie le cheikh Mowafaq Tarif, chef de la communauté druze, par voie de communiqué.

Le ministre de la Défense Israel Katz a également annoncé dimanche qu’Israël autoriserait bientôt les Druzes syriens à entrer dans le pays pour y travailler, trois mois après la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie.
« Si la paix règne et que les gens peuvent venir de Syrie et gagner leur vie ici, alors ce sera bon pour tout le monde », explique Eman Atalla, qui a cinq filles et un fils.
L’identité druze en Israël
Il y a environ un million de Druzes dans le monde. En Israël, la plupart vivent dans le nord, en Galilée et sur le plateau du Golan. Il existe également des communautés druzes en Syrie et au Liban.
Les relations entre les Druzes et les Juifs d’Israël remontent à avant la création de l’État d’Israël, en 1948.
« Il faudrait que l’on sache que les Druzes d’Israël sont des partenaires à part entière de l’État, qu’ils font leur service militaire et qu’ils s’acquittent de leurs devoirs civiques », affirme Raid Shanan, président du Conseil suprême des Druzes en Israël, pour le Times of Israel. « Cela s’est vu on ne peut plus clairement lors de la guerre du 7 octobre. »
Cette guerre a commencé le 7 octobre 2023, lorsque plus de 5 000 terroristes dirigés par le Hamas se sont introduits en Israël pour y assassiner plus de 1 200 personnes et faire 251 otages, dans des circonstances atroces, accompagnées de viols et d’actes de torture.
Dans le nord, le Hezbollah, organisation terroriste libanaise agissant pour le compte de l’Iran, a attaqué Israël dès le lendemain en signe de soutien au Hamas, à Gaza.
Selon Shanan, la guerre a coûté la vie à 14 officiers et soldats druzes et des dizaines d’autres ont été blessés. Des civils druzes ont également été tués par des tirs de roquettes dans le nord, dont 12 enfants tués dans la ville druze de Majdal Shams, sur le plateau du Golan.
« Tout le monde a à l’esprit le massacre du terrain de football », poursuit Shanan en évoquant l’attaque du Hezbollah qui, le 27 juillet 2024, a tué 12 enfants et en a blessé des dizaines d’autres à Majdal Shams, sur le plateau du Golan.

Israël s’est emparé de la majeure partie du plateau du Golan lors de la guerre des Six Jours de 1967. Lorsqu’il a annexé le plateau du Golan en 1981, il a offert à tous les résidents – presque tous druzes – la citoyenneté israélienne, ce que seule une petite minorité a accepté. On compte aujourd’hui 20 % de druzes, en augmentation depuis l’attaque du Hezbollah et le changement de régime en Syrie.
Depuis 1956, les citoyens druzes de sexe masculin sont tenus de faire leur service au sein de l’armée israélienne. La communauté ne représente que 2 % de la population mais, selon l’armée, les Druzes représentent 3 % des soldats de carrière et certains d’entre eux s’élèvent à des grades très élevés.
Shanan souligne le patriotisme des Druzes israéliens qui, dit-il, « feront toujours tout pour leur pays et son bien-être ».

La loi controversée de l’État-nation
Les Druzes sont une branche mystique qui s’est séparée de l’islam chiite au 11e siècle. Leur religion est secrète, mais ils considèrent Abraham, Moïse, Jésus et Mahomet comme des prophètes. Seuls les aînés spirituels de la communauté peuvent lire les textes sacrés druzes.
Tous les membres de la communauté peuvent suivre une formation pour le devenir, mais seuls les Druzes de naissance peuvent exercer la religion druze. Il n’existe pas de convertis.
En 2018, la Knesset a adopté la loi controversée sur l’État-nation, qui stipule qu’Israël est le « foyer national du peuple juif ». Cette loi est considérée par la communauté druze – ainsi que par d’autres minorités non juives – comme une loi d’exclusion.
L’année précédente, la Knesset a par ailleurs adopté un amendement à la loi sur l’urbanisme (connue sous le nom de loi Kamenitz du nom d’un fonctionnaire du ministère de la Justice) afin d’agir plus facilement et rapidement contre les constructions illégales, sans passer par la justice. Il n’est un mystère pour personne que cet amendement vise la population arabe, qui se voit presque toujours refuser les permis de construire et construit donc illégalement.

Dans une lettre de novembre 2023, Tarif a demandé au gouvernement et à la Knesset d’amender la loi sur l’État-nation afin d’« ancrer constitutionnellement le statut de la communauté [druze] et les droits de ses membres ».
Tarif a également demandé l’annulation des ordres de démolition pris à l’encontre de structures édifiées sans permis dans des villages druzes, pour autant qu’elles l’aient été sur des terres privées, ainsi que celle des amendes imposées aux Druzes pour des constructions en Galilée et dans les montagnes du Carmel.
« Il ne fait aucun doute que nous avons de nombreux problèmes au niveau local et régional », réagit M. Tarif à l’annonce du nouveau plan. « Et c’est bien normal que les membres des communautés du secteur druze reçoivent ce à quoi ils ont droit après tant de temps. »
« Pris en tenailles »
À quelques minutes de la famille Atalla de Yarka, Malak Khizran, 30 ans, est assise avec moi, journaliste du Times of Israel, dans le salon de sa maison, entourée d’oliviers et de verdure.
Khizran est professeure d’anglais dans une école primaire hébraïque de la banlieue de Haïfa, à 26,5 kilomètres de là. Elle est membre fondatrice du Druze Youth Congress, organisation qui compte 200 membres et permet aux jeunes Druzes de se former aux responsabilités, entre autres événements.

Fin mars, elle se rendra à Londres avec Together Vouch for Each Other (en hébreu, BYachad Arevim Zeh LZeh), l’organisation fondée par Yoseph Haddad pour relier le secteur arabe à la société israélienne.
Mère de deux filles, Khizran dit avoir passé beaucoup de temps à réfléchir à son identité, surtout depuis le massacre du Hamas du 7 octobre.
« Au début, j’avais peur de parler arabe parce que j’avais peur que les Juifs m’en veuillent », confie-t-elle.
Elle dit avoir parfois eu le sentiment d’être « prise en tenailles ».
« Certains Arabes m’ont dit que j’étais une traîtresse parce que mon grand-père, mon père et mon frère avaient fait leur service dans les rangs de l’armée israélienne », dit-elle. « Par ailleurs, j’ai l’impression que les Juifs ont parfois l’impression que nous ne faisons pas partie du pays. »
Interrogée sur la loi de l’État-nation, Khizran évoque plutôt l’une des idées promues par la communauté druze, en faveur d’une loi spéciale pour les Druzes, pour reconnaître leur contribution à l’Etat d’Israël.

« Certains disent que la loi sur l’État-nation devrait être amendée pour y inclure le principe d’égalité pour tous », ajoute-t-elle. « Ces idées sont toujours en discussion. »
Elle espère que ces nouveaux fonds publics « apporteront de réels changements et permettront de faire des choses importantes au niveau éducatif, du logement et de l’emploi au sein de notre communauté ».
Ce qui la frustre, dit-elle, c’est que la « loyauté de la communauté druze est connue et on ne peut plus évidente ».
« Pour nous, le respect et l’honneur sont précieux », ajoute Khizran. « Nous ne devrions pas avoir à faire nos preuves. »
‘Pita druze’
« Les gens ne savent rien de la communauté druze si ce n’est sa pita », estimait Lorena Kizel Khateeb, 28 ans, journaliste druze et militante sociale, la semaine dernière, lors d’un entretien téléphonique avec le Times of Israel. « Mais nous sommes bien plus que des pitas druzes. Nos femmes et nos hommes sont des chefs de file dans les domaines des nouvelles technologies, de l’éducation, partout en fait. »

Selon Khateeb, le nouveau plan du gouvernement est « une étape très importante ». « Le partenariat entre Israël et les Druzes devrait également donner lieu à des droits, pas seulement à des devoirs et des obligations sur le champ de bataille », poursuit-elle.
La semaine dernière, Khateeb a pris la parole à la Knesset pour parler du manque de défenseurs arabophones d’Israël.
« Pour parler à l’ennemi, rien de tel que de lui parler dans la langue qu’il comprend », ajoute-t-elle en soulignant la nécessité de s’améliorer et d’aider les arabophones à être « en première ligne pour défendre Israël ».
Khateeb compte des dizaines de milliers d’abonnés sur ses réseaux sociaux et elle fera également partie de la délégation à Londres.
La première fois que Khateeb a fait partie d’une délégation d’étudiants en Europe, avec d’autres Arabes et Juifs israéliens, elle était la seule Druze. C’est lors de ce voyage qu’elle a « compris le pouvoir des mots, le pouvoir de mon histoire en tant que minorité, en tant que femme et en tant qu’arabophone ».
Chez elle, dans son village de Kisra-Sumei en Galilée, elle essaie « de changer les choses et de se battre pour les droits de ma communauté ».
Mais en dehors d’Israël, poursuit Khateeb : « Je n’essaie pas de dire que tout est parfait en Israël. Non, Israël, comme tout autre pays, n’est pas parfait. Mais je connais la réalité de terrain. En tant que femme issue d’une minorité, je vois autour de moi les femmes des pays arabes et la manière dont on les traite. Donc, hors d’Israël, je me bats pour mon pays. »
Afin de sensibiliser le public à la société druze, le ministère de l’Éducation a annoncé en novembre le lancement d’un nouveau programme d’études intitulé « Société druze : histoire, patrimoine et culture », destiné aux collégiens, afin de mettre en évidence « le partenariat historique entre les Druzes et l’État d’Israël », excursions dans les communautés druzes comprises.
Le ministère de l’Éducation, Yoav Kisch, a déclaré que le programme mettrait en évidence « la courageuse société druze et son profond engagement envers l’État d’Israël ».

« La communauté druze est l’une des minorités les plus prospères ici en Israël », conclut Khateeb. « Nous nous acquittons de nos devoirs et nous devrions avoir des droits. Même si nous n’obtenons pas toujours les droits auxquels nous aspirons, nous pouvons toujours nous battre pour eux. Nous faisons partie intégrante de la société israélienne et nous sommes fiers de notre idendité. »
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