Israël en guerre - Jour 538

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Analyse

Pourquoi le diplomate en chef du Bahreïn, favorable à Israël, est-il limogé ?

Khaled ben Ahmed al-Khalifa, qui a reconnu publiquement le droit d'Israël à exister - et à se défendre - est remplacé après 15 ans ; sa soudaine révocation est entourée de mystère

Raphael Ahren

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le ministre des Affaires étrangères bahreini Cheikh Khalid ben Ahmed al-Khalifa, au sommet sur le développement économique et social du monde arabe, à Beyrouth, le 20 janvier 2019. (Crédit : AP/Bilal Hussein)
Le ministre des Affaires étrangères bahreini Cheikh Khalid ben Ahmed al-Khalifa, au sommet sur le développement économique et social du monde arabe, à Beyrouth, le 20 janvier 2019. (Crédit : AP/Bilal Hussein)

Alors que les dirigeants israéliens continuent à s’enthousiasmer du rapprochement croissant de l’État juif avec certaines parties du monde arabe, l’un des partisans les plus visibles de ce processus – le seul haut responsable du Golfe ayant défendu à plusieurs reprises non seulement le droit d’Israël à exister mais aussi son droit à se défendre militairement – est démis de ses fonctions.

Le ministre des Affaires étrangères du Bahreïn, Cheikh Khaled ben Ahmed al-Khalifa, qui était en poste depuis 2005, est remplacé par Abdullatif bin Rashid Al Zayani, a décidé le monarque de cette petite nation du Golfe au début de ce mois. Les raisons de l’éviction soudaine du diplomate ne sont pas claires.

Le remaniement prendra effet en avril, une fois que Zayani aura terminé son mandat actuel de secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe. Khalifa, qui a fait les gros titres à plusieurs reprises pour ses déclarations et ses interventions pro-israéliennes, quittera le ministère des Affaires étrangères et occupera une nouvelle fonction, pour l’instant vague, de « conseiller pour les affaires diplomatiques » du roi Hamad.

En annonçant le remaniement, le gouvernement de Manama n’a pas indiqué si Khalifa était promu ou rétrogradé, mais les analystes s’accordent à dire que le retrait du ministère des Affaires étrangères ne peut être considéré que comme une rétrogradation.

Ce dont les analystes ne sont pas sûrs, c’est le contexte dans lequel ce choix a été opéré.

« Nous devons être très prudents et ne pas tirer de conclusions hâtives. Mais ce ministre des Affaires étrangères a été très pro-Israël ces dernières années, mais il est revenu ces dernières semaines à une position plus conservatrice et démodée vis-à-vis d’Israël », a commenté Yoel Guzansky, chercheur principal à l’Institut des études de sécurité nationale de l’Université de Tel Aviv, qui se concentre sur les États du Golfe.

Plus précisément, le chercheur faisait référence au discours de Khalifa du 23 novembre lors d’une conférence régionale à Manama, au cours de laquelle le ministre des Affaires étrangères avait tenu des propos peu flatteurs pour Israël, déplorant que Jérusalem « continue d’ignorer le droit international… alors qu’elle étend ses colonies en Cisjordanie et poursuit son occupation du plateau du Golan ».

Israël ne peut « vraiment bénéficier de meilleures relations avec la région » que s’il montre sa volonté de faire la paix et s’engage dans la création d’un État palestinien, avait-il alors ajouté.

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, (à gauche), écoute le ministre des Affaires étrangères du Bahreïn Khalid bin Ahmed al-Khalifa lors d’une session d’urgence de la Ligue arabe au Caire, en Égypte, le 28 mai 2016. (AP Photo/Amr Nabil)

« J’ai vu ce discours comme un mauvais présage », indique Yoel Guzansky. « Il a fait un bond en arrière » par rapport aux commentaires précédents sur son désir d’améliorer les relations avec Israël. « Peut-être qu’il était allé trop loin. »

L’expert avance que les autorités à Bahreïn en étaient peut-être venues à croire que l’administration américaine – qui avait publié la première partie de son plan de paix israélo-palestinien à deux volets à Manama – ne publierait pas la deuxième partie de sitôt. « Ou peut-être s’inquiétaient-ils de l’Iran et d’autres éléments radicaux. Peut-être que leurs mécènes saoudiens ont dit : ‘Vous êtes allés trop loin’ ? ».

Al Araby, un site web lancé par Azmi Bishara, un ancien membre en fuite de la Knesset israélienne proche du Qatar, a consacré un long article à diverses spéculations sur le remaniement du gouvernement bahreïni.

Parmi les raisons possibles citées pour l’éviction de Khalifa, il y avait ses « attitudes hostiles » envers l’Iran et le Qatar, sa réputation de « l’un des parrains de la normalisation avec Israël », ses déclarations publiques en faveur du droit d’Israël à se défendre et les intrigues internes au palais royal à Manama.

Simon Henderson, grand spécialiste de Bahreïn au Washington Institute for Near East Policy, a déclaré que le départ de Khalifa n’était pas inattendu, car le ministère des Affaires étrangères à Manama était devenu un « bateau ivre » sous sa direction.

Khalifa était un ardent défenseur du développement des relations avec Israël. Il a également été franc dans sa condamnation du Qatar. Zayani pourrait tempérer cette expression

Lui-même membre de la famille royale, Khalifa est un allié du prince héritier Salman, le chef du camp modéré dans la monarchie de Bahreïn, a ajouté Henderson.

Le départ de M. Khalifa entraînera probablement des « changements cosmétiques dans la politique », a-t-il estimé. « Il était un ardent défenseur du développement des relations avec Israël. Il a également été franc dans sa condamnation du Qatar voisin. Zayani pourrait tempérer cette expression, peut-être sur les deux sujets. »

Le rôle futur du ministre des Affaires étrangères sortant dans l’élaboration de la politique étrangère « pourrait bien être minime », a indiqué M. Henderson, malgré son titre fantaisiste de « conseiller diplomatique » du roi Hamad.

Une tour de bureaux à Manama, Bahreïn, sur laquelle figurent des portraits du roi de Bahreïn Hamad bin Isa Al Khalifa, (au centre), du Premier ministre Khalifa bin Salman Al Khalifa, (à gauche) et du prince héritier Salman bin Hamad Al Khalifa, (à droite), le 3 octobre 2011. (AP Photo/Hasan Jamali, File)

Quelle que soit la véritable raison de ce remaniement, toutes les parties concernées ont fait publiquement bonne figure.

Dans son annonce du 2 janvier, le prince héritier Salman a loué les succès de Khalifa à la tête du ministère des Affaires étrangères, « en particulier sa contribution à l’avancement et à la promotion de l’agenda international du Royaume ». Il a poursuivi en lui souhaitant « le meilleur dans ses nouvelles fonctions de conseiller de Sa Majesté le Roi pour les affaires diplomatiques ».

Le même jour, Khalifa, qui se décrit comme un « voyageur du monde et bon vivant » sur son compte Twitter, s’est connecté à la plateforme pour signaler son consentement à ce changement. « J’ai servi Sa Majesté et mon pays avec tout ce que je pouvais. Je continuerai à les servir aussi longtemps que je vivrai », a-t-il écrit, ajoutant qu’il « remettait maintenant le flambeau à un frère précieux et compétent qui m’a beaucoup appris ».

Quelques jours plus tard, le roi Hamad recevait dans son palais son diplomate de haut rang sortant, lui souhaitant une grande réussite et le félicitant pour « les efforts précieux » qu’il a déployés pour renforcer les relations extérieures de Bahreïn.

Pour sa part, l’intéressé a remercié le roi pour le soutien qu’il lui a accordé au fil des ans, ajoutant que les « instructions pertinentes » de Sa Majesté lui ont permis de mener la diplomatie de Bahreïn vers des sommets inconnus et de défendre « les intérêts du royaume à l’étranger et [de] renforcer sa position de pionnier sur le plan régional et international ».

Une photo de la réunion, publiée sur le site web du ministère des Affaires étrangères, montre les deux hommes se souriant – bien qu’ils soient assis loin l’un de l’autre.

Lundi, Khalifa a accueilli Zayani au ministère des Affaires étrangères. Curieusement, le compte-rendu de la réunion cite les deux hommes se congratulant l’un l’autre, mais ignore totalement le cœur du sujet – à savoir que le ministre évincé accueillait son successeur désigné.

On sait très peu de choses de l’influence que Zayani entend exercer sur la politique étrangère de Bahreïn, dont les principes fondamentaux sont fixés par le roi.

Notant le fait que Khalifa n’aurait pas osé se positionner comme favorable à Israël sans le feu vert du palais royal, certains analystes supposent que Manama poursuivra son rapprochement avec Jérusalem – mais peut-être de façon plus discrète.

Abdullatif bin Rashid Al-Zayani, secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe, s’exprime lors d’une conférence de presse à l’issue du sommet du Conseil de coopération du Golfe à Riyad (Arabie saoudite), le 10 décembre 2019. (AP Photo/Amr Nabil)

En Israël, le départ imminent de Khalifa a été à peine remarqué, et les responsables politiques du pays indiquent qu’ils s’attendent à ce que le réchauffement des relations avec le Golfe se poursuive sans relâche.

« L’occasion de développer de nouvelles relations avec les pays arabes, cette possibilité est plus grande que jamais », a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors de la réunion hebdomadaire du cabinet, dimanche. « Nous y travaillons. J’y travaille, tous les jours, y compris récemment. Je crois que cela pourra bientôt porter ses fruits ».

Premier ministre des Affaires étrangères du Golfe à s’adresser aux médias israéliens

Khalifa a été dans une large mesure le visage du rapprochement entre Israël et les États du Golfe, étant le premier chef de la diplomatie de la région à accorder des entretiens enregistrés à des journalistes israéliens et même à se faire photographier avec son homologue israélien.

En mai 2018, à la suite d’une frappe aérienne israélienne sur des cibles iraniennes en Syrie, Khalifa avait tweeté en arabe : « Tant que l’Iran maintiendra le statu quo actuel de ses forces et de ses roquettes opérant dans la région, tout pays – y compris Israël – a le droit de se défendre en éliminant la source du danger ».

En février 2019, il faisait valoir que le processus de paix israélo-palestinien se porterait beaucoup mieux sans le comportement malveillant de l’Iran.

« Nous avons grandi en parlant de la question israélo-palestinienne comme étant la question la plus importante » qui devait être « résolue, d’une manière ou d’une autre », avait-il déclaré lors d’un événement à huis clos en marge d’une conférence sur la sécurité à Varsovie. « Mais, à un stade ultérieur, nous avons vu un plus grand défi, nous avons vu un défi plus toxique – en fait le plus toxique de notre histoire – qui venait de la République islamique ».

Quatre mois plus tard, Khalifa accordait trois entretiens à des médias israéliens, dont le Times of Israel, au cours desquels il a explicitement reconnu le droit d’Israël à exister. « Nous pensons donc qu’Israël est un pays qui va rester, nous voulons une meilleure relation avec lui et nous voulons la paix avec lui », nous avait-il fait savoir.

Le ministre des Affaires étrangères israélien Israel Katz et son homologue bahreïni Khalid bin Ahmed Al-Khalifa, (à droite), posent pour une photo au Département d’Etat à Washington, le 17 juillet 2019. (Autorisation)

En juillet, Khalifa posait pour une photo sans précédent avec son homologue israélien Israel Katz en marge d’un événement à Washington, ce que ce dernier a salué comme « un autre exemple de nos relations diplomatiques croissantes ».

Le ministre avait par la suite publié un communiqué indiquant que la réunion avait été organisée par des responsables du Département d’État américain et que lui et Khalifa « avaient discuté de l’Iran, des menaces régionales et des relations bilatérales » et avaient convenu de rester en contact.

Le diplomate bahreïni, de son côté, n’a jamais évoqué publiquement cette rencontre.

Adam Rasgon a contribué à cet article.

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