Présenté à Rome, « Reading Lolita in Tehran » réécrit le récit israélo-iranien
Le célèbre cinéaste israélien Eran Riklis, connu pour humaniser des conflits complexes, revient sur sa collaboration avec des actrices iraniennes pour donner vie à des mémoires datant de 2003
Le 1er octobre, le réalisateur Eran Riklis se préparait à la première italienne de son dernier film, « Reading Lolita in Tehran », qui traite d’un club de lecture iranien subversif. Le moment n’était pas propice : Israël venait d’être attaqué par des centaines de missiles balistiques tirés depuis l’Iran.
Près d’un mois plus tard, le 19 octobre, Riklis était en Italie, sur scène avec la plupart des acteurs iraniens du film, pour recevoir deux prix au festival du film de Rome : un prix du public et un prix spécial du jury pour les actrices du film.
Quelques jours plus tard, le 26 octobre, Israël a procédé aux représailles promises pour le déluge de missiles du 1er octobre, en frappant des installations militaires iraniennes au cours d’une attaque qui aura duré plusieurs heures.
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Ce prix est en quelque sorte une revanche pour Riklis, qui a passé des années à essayer de réaliser ce film basé sur les mémoires d’Azar Nafisi, qui ont été récompensées par un prix. Alors qu’Israël est en proie à la guerre et que ses actions militaires font l’objet de critiques internationales de plus en plus virulentes, il n’a pas été facile de faire entrer le film dans le circuit des festivals, de nombreux artistes et créations israéliens n’étant pas pris en considération sur la scène internationale.
« C’est très symbolique ; cela signifie que le public italien s’est assis là, a regardé le film et n’a pas eu peur de certaines vérités », a expliqué Riklis au Times of Israel lors d’une interview réalisée plusieurs jours après la cérémonie de Rome.
Le film avait été rejeté par plusieurs autres festivals. Riklis a déclaré qu’il était difficile de lutter contre ceux qui refusaient le film sans en connaître la raison. Dans certains cas, le film a été accepté, mais certains organisateurs ont exprimé leur crainte d’être soumis à des manifestations anti-Israël s’ils projetaient le film.
« Peut-être qu’ils n’ont tout simplement pas aimé le film », a-t-il suggéré pour justifier ces refus.
« Personnellement, je n’ai pas peur de quoi que ce soit. Le film exprime ce que je pense. Si les gens veulent blâmer Israël pour Gaza ou les Palestiniens, alors asseyons-nous et débattons. »
Le film sera projeté en Israël pour la première fois en février, a indiqué Riklis.
Publié en anglais en 2003, Reading Lolita in Tehran (« Lire Lolita à Téhéran ») raconte l’histoire de Nafisi, professeure de littérature anglaise et écrivain, qui est rentrée en Iran après avoir étudié à l’étranger en 1979, au moment où la révolution islamique transformait l’État pro-occidental en une théocratie radicale.
Dans le cadre de sa résistance au nouveau régime, elle a formé un club de lecture secret avec sept de ses étudiantes de l’Université de Téhéran, qui se réunissaient chez elle pour discuter d’œuvres de littérature occidentale.
Riklis a immédiatement pensé à en faire un film après avoir lu ses mémoires, mais il était sur le point de commencer à travailler sur le film primé « The Human Resources Manager », sorti en 2010.
Âgé aujourd’hui de 70 ans, Riklis réalise des films depuis une quarantaine d’années. Au cours des vingt dernières années, ses films se sont concentrés sur des histoires qui traitent de conflits de grande ampleur en les transposant à un niveau humain.
Parmi ses films précédents, citons « The Syrian Bride » (« La fiancée syrienne »), « Lemon Tree » (« Les Citronniers ») et « Dancing Arabs » (« Mon fils »), qui traitent tous de l’expérience des Arabes et des Druzes en Israël. Il pensait donc savoir comment faire un film sur les Iraniens à Téhéran.
En 2017, dix ans après avoir lu pour la première fois le livre, qui a été traduit en hébreu et dans des dizaines d’autres langues, Riklis l’a remarqué sur son étagère et a pris contact avec Nafisi, qui vit désormais à Washington.
« Elle m’a dit que les droits étaient disponibles, mais qu’elle n’avait pas accepté les diverses tentatives d’adaptation dans le passé », a déclaré Riklis. « Je lui ai demandé s’il était logique qu’un réalisateur israélien s’occupe de son histoire et elle m’a répondu que c’était tout à fait logique. »
Une semaine plus tard, Riklis s’est rendu au domicile de Nafisi pour obtenir les droits de réalisation du film.
Nafisi a expliqué à Riklis qu’elle avait été impressionnée par son film de 2008, « Les Citronniers », qui relate l’histoire d’une veuve palestinienne de Cisjordanie qui défend ses droits. « L’homme qui peut raconter l’histoire d’une femme palestinienne peut raconter mon histoire », a déclaré Riklis, citant Nafisi.
Nafisi n’a pas répondu aux demandes d’interview du Times of Israel, mais elle a fait des commentaires similaires lors d’autres apparitions dans les médias.
Riklis a commencé à présenter l’histoire à des producteurs dès 2019, et son premier sponsor a été Moshe Edery de United King Films, qui avait soutenu d’autres films de Riklis. Le regretté Michael Sharfshtein a également été l’un des premiers investisseurs.
« Moshe est très intuitif et même si son opinion politique n’est pas la même que la mienne, il a l’esprit extrêmement ouvert », a déclaré Riklis.
« Il a adoré le projet et m’a soutenu pour faire aboutir le scénario. »
Riklis a cherché d’autres sponsors pour financer son film, mais ses partenaires habituels en France et en Allemagne n’étaient pas intéressés. Lorsqu’il s’est rendu en Italie en 2021 dans le cadre d’un événement, deux producteurs italiens se sont montrés intéressés, le financement final provenant de l’Italie et de la Fondation Rabinovich, soutenue par l’État d’Israël.
Riklis s’est promis de ne faire jouer que des acteurs iraniens, sachant qu’il y avait suffisamment de talents iraniens en dehors de l’Iran, avec de nombreux expatriés vivant à Londres et à Berlin, à Paris, à New York et à Los Angeles.
La distribution de « Reading Lolita » comprend l’excellente Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani, Lara Wolf, Isabella Nefar et Raha Rahbari.
Riklis avait dirigé Farahani dans le film « Shelter » (« Le Dossier Mona Lina ») en 2017, et Amir Ebrahimi avait co-réalisé le thriller « Tatami » en 2023 avec Guy Nattiv, marquant la première collaboration entre des cinéastes iraniens et israéliens.
« Un réalisateur israélien pour un film iranien, cela peut paraître fou », a déclaré Riklis. « Mais les Iraniens et les Israéliens n’ont aucun problème à dialoguer les uns avec les autres. »
Riklis a dit qu’il aurait préféré tourner le film en Israël, mais cela n’a pas fonctionné avec une équipe d’anciens ressortissants Iraniens. Il a donc opté pour Rome, qui est également une plaque tournante pour les expatriés Iraniens.
Le film est consacré à l’Iran des années 1980 et 1990, mais pour Riklis, il s’agit en réalité de l’oppression dans le monde entier.
« L’oppression règne quasiment partout dans le monde, ou est sur le point de se manifester », a déclaré Riklis. « Il y a une poussée de l’extrême-droite en Amérique, en Europe, en Israël, les sociétés sont en proie à des frictions. »
Riklis a achevé le tournage de « Reading Lolita » au cours de l’été 2023 et était encore en train de monter le film en Israël le 7 octobre 2023, lorsque quelque 6 000 Gazaouis dont 3 800 terroristes dirigés par le groupe terroriste palestinien du Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël, tué plus de 1 200 personnes, principalement des civils, enlevé 251 otages de tous âges – commettant de nombreuses atrocités et perpétrant des violences sexuelles à grande échelle. Il a terminé la post-production du film pendant les mois de guerre qui ont suivi. Au moment où le film a été projeté à Rome, les combats n’avaient fait que s’intensifier, Israël ripostant face aux attaques du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah et devant faire face à des attaques directes de l’Iran pour la première fois de son histoire.
« C’est notre histoire en tant qu’Israéliens, on apprend à vivre avec », a-t-il souligné.
« C’est la tragédie du Moyen-Orient et au-delà. En tant qu’artistes, nous devons d’une certaine manière aller au-delà et nous plonger dans les histoires réelles des gens dans ces endroits, dans l’espoir qu’elles soient comprises. »
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