Qui a attaqué des Israéliens à Amsterdam ? Des politiciens néerlandais ne peuvent se résoudre à le dire
Victimes et autorités accusent des gangs arabes et musulmans mais aux Pays-Bas, certains parlent de "jeunes à scooter" ou de "chauffeurs de taxi" et pointent le hooliganisme israélien
AMSTERDAM, Pays-Bas – Alors que la controverse sur les allusions à la religion ou à l’appartenance ethnique des dizaines de jeunes qui ont attaqué les fans de football du Maccabi Tel Aviv à Amsterdam, le 7 novembre dernier, fait rage dans tout le pays et a même menacé de faire tomber la coalition au pouvoir, vendredi, deux débats politiques ont eu lieu ces derniers jours – l’un dans la capitale et l’autre au siège du Parlement.
Le premier débat, dominé par les partis de gauche, s’est tenu la semaine dernière au conseil municipal d’Amsterdam. L’autre a eu lieu mercredi dernier dans l’enceinte de la deuxième chambre, l’organe principal du parlement néerlandais à La Haye.
À l’hôtel de ville d’Amsterdam (surnommé le Stopera, car il fait également office d’opéra), avec l’appui de partis de centre-gauche, d’extrême gauche et islamistes, la maire Femke Halsema a facilement surmonté la motion de censure réclamée par le parti d’opposition de droite JA21.
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Lors de ce débat, l’origine religieuse et ethnique des jeunes qui ont attaqué des supporters israéliens dans les rues de la capitale néerlandaise n’a été mentionnée que par une poignée de membres du conseil de centre-droit et de droite. En revanche, il a fréquemment été question du « génocide » à Gaza et de l’islamophobie comme causes des troubles occasionnés dans la capitale – bien qu’aucun musulman n’ait été pris pour cible à Amsterdam avant, pendant ou après lesdites attaques.
Les autorités israéliennes ont fait savoir que 10 personnes ont été blessées lors des violences du 7 novembre perpétrées par des gangs arabes et musulmans locaux contre les supporters du Maccabi Tel Aviv, après un match de football qui s’est joué sur place. Par ailleurs, des centaines d’Israéliens se sont barricadés dans leur hôtel des heures durant, de crainte d’une agression.
Il s’est beaucoup dit que les forces de l’ordre néerlandaises avaient brillé par leur absence, car les touristes israéliens ont été pris en embuscade par des gangs d’assaillants masqués qui criaient des slogans pro-palestiniens et anti-Israël pendant qu’ils les pourchassaient, les battaient et les harcelaient.
Nilad Ahmadi, l’une des conseillères municipales et par ailleurs membre du parti d’extrême-gauche farouchement anti-sioniste Vonk (qui signifie « Étincelle »), a accusé le Mossad, l’agence de renseignement israélienne.
Dans l’ensemble, même si certains membres du conseil ont mis en garde contre l’antisémitisme et se sont dits inquiets du sort des Juifs néerlandais, la faute est retombée sur les prétendus hooligans du Maccabi Tel Aviv. C’est la version des principaux journaux et chaînes de télévision aux Pays-Bas, ces derniers jours, comme celle du chef de la police d’Amsterdam, Peter Holla.
Les premiers éléments chronologiques établis par la police font ainsi état de « provocations » des supporters du Maccabi Tel Aviv – comme le retrait d’un drapeau palestinien de la façade d’une maison du centre-ville d’Amsterdam ou les slogans racistes du type « Fuck the Arabs » en route pour le match contre l’Ajax, le club local.
Depuis le massacre du 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël et le conflit qui s’en est suivi à Gaza, la profanation de drapeaux israéliens lors de manifestations est devenue une pratique courante dans la capitale néerlandaise.
Cet accent mis sur les provocations, discours de haine et autres violences, côté israélien, contraste vivement avec les premières informations données par la mairie et les forces de l’ordre, pour lesquels les violences sont le fait de « jeunes à scooter » ou de « chauffeurs de taxi » qui ont mené des attaques « éclair » contre des individus ou de petits groupes de supporters du Maccabi Tel Aviv.
Ces termes sont perçus comme des euphémismes destinés à ne pas avoir à mentionner l’appartenance ethnique ou religieuse des auteurs de ces violences, et à minimiser l’ampleur et l’organisation de ce que nombre de membres de la communauté juive néerlandaise ont qualifié de « pogrom ».
« Je ne pense pas que leur mode de transport ou la mention de leur profession soit déterminant en la matière », explique au Times of Israel Kevin Kreuger, membre du conseil de JA21. « Il y avait clairement une motivation islamiste dans ces attaques. » Kreuger regrette ces réticences à parler des agresseurs en faisant mention de leur origine et de leurs motivations, qu’il décrit comme « la haine des Juifs puisée dans l’islam ».
« Tout le monde a vu les vidéos et entendu les agresseurs parler arabe. Tout se passe comme s’ils étaient un groupe sur lequel nous devons nous apitoyer et que nous devons protéger », poursuit Kreuger.
Pendant ce temps, à La Haye
Le débat au Parlement néerlandais s’est focalisé sur la montée de l’antisémitisme au sein de l’importante minorité musulmane du pays comme de la gauche radicale, les partis progressistes accusant les « provocations de l’extrême-droite » d’être à l’origine des violences qui secouent la capitale.
Dilan Yesilgoz, cheffe du parti libéral de centre-droit, a apporté un éclairage unique sur les événements d’Amsterdam. Elle a été ministre de la Justice et de la Sécurité sous l’ex-Premier ministre Mark Rutte, a combattu l’antisémitisme en tant que députée et a commencé sa carrière politique au conseil municipal d’Amsterdam.
Née à Ankara, elle est la fille d’immigrants turcs. Tout comme Kreuger, elle a noté la tendance des partis de gauche à se garder de mentionner l’origine ethnique ou religieuse des attaquants du 7 novembre.
« C’est déjà assez grave que les institutions juives comme les écoles et les synagogues doivent être protégées, mais maintenant il y a des jeunes qui exigent de voir les papiers des gens pour voir s’ils sont israéliens ou juifs. Et si c’est le cas, ils les tabassent », explique Yesilgoz au Times of Israel.
« Amsterdam n’était jamais tombée aussi bas et c’est le signe d’une mauvaise intégration des migrants au sein de la société néerlandaise. Les agresseurs étaient probablement d’origine marocaine : la police mène son enquête là-dessus », ajoute-t-elle.
Yesilgoz dit avoir connu ces préventions à évoquer ce qui fait l’identité des personnes tout au long de sa carrière.
« Je peux parler librement de l’antisémitisme de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite, mais dès que je mentionne l’islam, alors là tout le monde se raidit et commence à parler d’exclusion et d’islamophobie », résume Yesilgoz. « Mais comment lutter contre un problème si on ne peut pas en parler ? »
D’origine marocaine, Nora Achahbar a démissionné vendredi de son poste de ministre des Finances suite aux propos d’autres ministres accusant de jeunes Néerlandais d’origine marocaine d’avoir attaqué les supporters israéliens, explique le média local NOS, citant des sources proches du gouvernement. « Achahbar aurait fait savoir qu’en sa qualité de ministre, elle était en opposition avec les propos de certains de ses collègues », précise NOS.
Le nouveau gouvernement néerlandais de centre-droit a toutefois annoncé qu’il souhaitait traiter les agressions antisémites violentes comme du terrorisme, ce qui, en vertu de la loi néerlandaise, permet de déchoir leurs auteurs de la nationalité néerlandaise sous réserve qu’ils détiennent un passeport d’un autre pays. Cela pourrait avoir un impact sur les nombreux immigrants marocains installés aux Pays-Bas, voire sur leurs enfants et petits-enfants.
Les rouages de la justice commencent à tourner
La semaine dernière, les images de cinq jeunes auteurs « des violences les plus graves » ce soir-là ont été diffusées à la télévision néerlandaise, mais avec les visages floutés, pour leur laisser une chance de se manifester d’eux-mêmes.
Deux d’entre eux ont par la suite été placés en détention et des photos non floutées des trois autres ont alors été rendues publiques par la police.
La police néerlandaise a expliqué dimanche enquêter sur 45 personnes liées à ces agressions violentes, neuf d’entre elles ayant d’ores et déjà été identifiées et arrêtées.
Il est clairement apparu, très peu de temps après les attaques, que l’on avait affaire à de la préméditation, car les messages de plusieurs groupes WhatsApp associés aux agresseurs incitaient à la violence, parlant même d’une « chasse aux Juifs ».
Dès avant le 7 novembre, il n’était pas rare que des gangs de rue, souvent composés d’immigrants marocains de troisième génération, fassent preuve de violences envers la police, les membres de la communauté LGBTQ et parfois ce que l’on appelle aux Pays-Bas les « Juifs visibles » (liens néerlandais). Parce qu’il y a peu de Juifs ultra-orthodoxes aux Pays-Bas, les violences verbales et physiques frappent souvent les rabbins, aisément reconnus en raison de leur tenue vestimentaire.
Contrairement aux terroristes islamistes du début de ce siècle – le plus célèbre – et de sinistre mémoire – étant Mohammed Bouyeri, l’assassin du critique de l’islam Theo van Gogh – les gangs de rue d’aujourd’hui ne sont dans l’ensemble ni politisés ni particulièrement religieux (lien néerlandais). Les premiers éléments de l’enquête n’ont pas mis en évidence l’existence d’ingérences étrangères et il est fort peu probable que la suite révèle un niveau sophistiqué d’organisation ou de financement des attaques.
La guerre à Gaza a sans doute mis de l’huile sur le feu d’un antisémitisme qui, selon plusieurs études (lien néerlandais) de ces dernières décennies, couvait déjà grandement au sein des familles musulmanes, bien davantage que dans les autres groupes religieux ou ethniques néerlandais.
Nombre de foyers marocains s’informent sur le conflit Israël-Hamas grâce aux chaînes de télévision satellite d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Dans les grandes villes des Pays-Bas, les enseignants ont souvent du mal à parler de manière neutre des guerres à Gaza et au Liban à leurs élèves musulmans : dans certains quartiers d’Amsterdam, ces derniers sont majoritaires dans les classes.
Bien que la ville ait été le lieu de résidence de la célèbre chroniqueuse de la Shoah, Anne Frank, avant de périr dans le camp de concentration de Bergen-Belsen, en Allemagne, les professeurs d’histoire ne peuvent souvent pas faire cours sur la Shoah en raison des réactions racistes et parfois agressives de leurs élèves.
Les Juifs des Pays-Bas seront les prochains ?
Selon David Beesemer, président du Maccabi Pays-Bas et Europe, les Juifs néerlandais sont « très inquiets » à l’idée d’être peut-être les prochaines cibles.
« Maintenant qu’il n’y a plus d’Israéliens à chasser à Amsterdam, qu’est-ce qui va empêcher ces hordes de marcher sur Buitenveldert ? », interroge-t-il en parlant de la banlieue aisée d’Amsterdam, dans laquelle vivent de nombreux Juifs.
Beesemer fait partie des chefs communautaires qui, dans la nuit du 7 au 8 novembre, ont organisé des « missions de sauvetage » pour évacuer les Israéliens bloqués dans le centre-ville et les conduire dans des endroits sûrs voire à l’aéroport, où ils ont été rapatriés sur des vols spécialement affrétés par Israël.
« Chaque jour, nous sommes contactés par des membres de la communauté, effrayés, qui ont l’impression de vivre un cauchemar », poursuit Beesemer.
« Les autorités communautaires tentent de faire bonne figure, mais la pression sur les Juifs néerlandais est énorme. Le lendemain de la « chasse », les manifestations haineuses se sont poursuivies, tout comme les contrôles d’identité et les agressions du type Gestapo. »
Pas plus tard que mercredi dernier, la police néerlandaise a arrêté 281 manifestants anti-Israël et pro-Palestine qui s’étaient retrouvés dans le centre d’Amsterdam, au mépris de l’interdiction imposée suite aux violences contre les supporters de football israéliens. Des dizaines de manifestants, dont certains brandissaient des drapeaux palestiniens, ont scandé « Amsterdam dit non au génocide » et « Palestine libre ».
« C’est une honte que la ville d’Anne Frank ait fait parler d’elle à cause de cet antisémitisme des plus violents et, de surcroît, que la priorité du conseil municipal semble consister à tout mettre sur le dos des Israéliens ou du gouvernement de La Haye », conclut Yesilgoz, cheffe du parti libéral de centre-droit.
« Mais bon sang, je suis citoyenne d’Amsterdam. Montrez-moi que vous êtes capables – et que vous avez envie – d’assurer ma sécurité. Montrez-nous au moins que vous vous souciez de nous. »
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